Le conflit en Ukraine a mis en lumière la trop grande dépendance de l’Europe au gaz russe. Dès 2021, plusieurs mois avant l’invasion de l’Ukraine, la Russie avait activé son arme gazière en prétextant des problèmes techniques afin de remplir au minimum les stocks européens et enfermer un peu plus les pays occidentaux dans cette dépendance, limitant de facto leur capacité de réaction après l’attaque d’un pays ami.
Contraint de remplacer une partie du gaz russe par du GNL
Pour réduire et dans l’urgence cette dépendance, le recours au gaz naturel liquéfié (GNL) arrivant par la mer pour se substituer au gaz russe est l’une des réponses les plus logiques. Elle a été rendue inéluctable par la destruction en août 2022 des gazoducs NordStream1 et NordStream2, réduisant considérablement et pour longtemps les capacités d’importation de gaz russe du continent européen
Pour autant, la livraison par gazoduc ou méthanier n’est pas du tout la même chose. Le coût n’est pas le même et techniquement les différences sont aussi importantes. Les terminaux méthaniers ne permettent pas de débarquer du gaz en flux tendu au moment où nous en consommons le plus : en hiver. Les stocks gaziers inter-saisonniers ont donc pris une importance capitale et sont surveillés de très près depuis 18 mois pour éviter les pénuries et une grave crise énergétique.
Des stocks remplis à 99,4%
L’Union Européenne avait ainsi fixé un objectif de 90% de remplissage des stocks de ses pays membres à la fin de l’année 2022 pour la campagne hivernale 2023-2024. Et comme l’an dernier, mais moins dans l’urgence et à n’importe quel prix, cet objectif a été très largement atteint. A ce jour, les stocks européens sont ainsi remplis à 99,4%, autant dire, à 100%. Ces stocks représentent 1.133 TWh de gaz ainsi prêt à l’usage pour la période froide, soit l’équivalent de 3 fois la consommation annuelle française.
Pour autant, ils sont insuffisants pour répondre seuls à la demande hivernale. Tandis qu’un peu plus de la moitié de la consommation européenne de gaz se concentre sur les trois mois d’hiver afin de chauffer les bâtiments et les logements, les stocks ne représentent «que» 30% de la consommation annuelle des 27.
Il faudra encore trouver 1.000 TWh pour passer l’hiver et le début du printemps sans crainte
Si les stocks représentent une garantie certaine, il reste toujours environ 1.000 TWh à trouver en flux direct pour couvrir la consommation à venir. Que ceux-ci proviennent des terminaux méthaniers (GNL en provenance du Qatar et des Etats-Unis entre autres), mais aussi de producteurs locaux (comme la Norvège) ou même… la Russie.
Il n’existe en effet pas d’embargo strict sur le gaz russe, contrairement à ce que l’on entend parfois. Le paquet de sanctions occidentales touchant la précieuse matière première ne fixe ainsi qu’un prix maximum d’achat, visant à empêcher Moscou de tirer profit d’une éventuelle augmentation des prix du marché pour faire de juteux bénéfices.
Importer du gaz russe reste légal et personne ne s’en prive
Les cours du gaz étant bien plus bas qu’en 2022, ce prix maximum, fixé en décembre 2022 à 180€/MWh, n’a en réalité jamais été activé. Les marchés oscillent ainsi entre 40 et 60€/MWh, loin du plafond fixé par le législateur européen.
Dans ces conditions, importer du gaz russe au prix du marché reste tout à fait légal et disons le clairement, personne ne s’en prive. La seule limite se trouvant être les capacités de liquéfaction en Russie, avec la disparition d’une majeure partie des possibilités de livraisons par gazoducs.
Le bon taux de remplissage de nos stocks de gaz nous permet ainsi d’envisager avec sérénité et… prudence l’hiver à venir. Mais croire que cela suffit à baisser la garde ou, pire, penser qu’on s’est intégralement libéré de la dépendance russe serait une erreur. Le chemin est encore long pour cela.
Philippe Thomazo