Si l’Europe entend maîtriser son destin en matière de transition énergétique, les batteries occupent une place essentielle. Mais il n’y a pas que leur fabrication et l’extraction des matières premières indispensables à leur production, le recyclage est un élément très important, trop souvent négligé. L’unité énergie et climat de l’Ifri (Institut français des relations internationales) a publié au début de l’année une étude approfondie sur l’importance du recyclage des batteries et la nécessité pour l’Europe de se doter rapidement d’une telle filière industrielle. Elle est encore plus d’actualité au lendemain de la pandémie, quand les gouvernements européens et la Commission annoncent leur intention d’accélérer la transition vers la voiture électrique et tentent de créer une industrie européenne des batteries pour réduire une dépendance aujourd’hui totale envers les producteurs asiatiques.
L’auteur de l’étude, Raphaël Danino-Perraud du BRGM (Bureau des ressources géologiques et minières) et du laboratoire économique de l’université d’Orléans, a également résumé ses conclusions dans un article publié par EnergyPost.
Dépendance à l’égard de l’Asie
Sa thèse principale est la suivante: pour des raisons à la fois économiques, stratégiques et environnementales, l’Europe doit mettre fin à sa dépendance totale envers l’Asie pour la fabrication et le recyclage des batteries lithium-ion indispensables aux appareils électroniques comme aux voitures électriques. L’Asie produit aujourd’hui 90% des cellules de batteries dans le monde dont la moitié est fabriquée dans des usines chinoises. L’Europe tente tardivement de réagir avec son «Airbus de la batterie» et n’a plus le droit à l’erreur.
Dans cette stratégie qui vise à sauver l’industrie automobile européenne, le recyclage est une carte importante à jouer. Les batteries des voitures ne sont pas aujourd’hui recyclées à grande échelle parce que le marché est encore balbutiant et qu’il faut plus d’une dizaine d’années pour que les batteries des véhicules électriques soient totalement usées. Mais ce moment, celui de la nécessité de recycler un grand nombre de batteries composées de métaux rares et polluants, est proche. Et l’Asie est aujourd’hui la mieux placée pour contrôler également l’industrie du recyclage des batteries. Tout simplement parce qu’elle le fait déjà pour les batteries lithium-ion des appareils électroniques.
Pour Raphaël Danino-Perraud, le recyclage des batteries est donc à la fois un enjeu environnemental, économique, en permettant le développement d’un écosystème industriel, et stratégique avec la récupération de ressources minières que l’Union Européenne n’exploite pas sur son sol et qu’elle pourra réinjecter directement dans son industrie.
Retard de compétences et fluctuation des prix des matières premières
Cela dit, les obstacles sont nombreux. Le nombre de véhicules électriques est aujourd’hui marginal et encore plus ceux qui ont atteint leur fin de vie, ce qui laisse de nombreuses questions ouvertes. On ne connait pas encore bien leur durée de vie. Les processus de collecte des batteries usagées ne sont pas mis en place et les processus industriels de recyclage sont multiples.
Le manque de connaissances et de compétences en Europe sur la fabrication et la composition des batteries est un premier frein à l’efficacité des procédés de recyclage. Le marché de la batterie est caractérisé par des évolutions technologiques rapides. Elles ont une influence directe sur les matières premières utilisées dont les cours sont soumis à une grande volatilité. Cela rend les investissements dans le recyclage très incertains.
Par exemple, le cobalt, considéré comme le métal le plus rentable et le plus facile à recycler, a vu son prix tripler entre 2017 et 2019. Il a ensuite été divisé par quatre en quelques mois avant de remonter brutalement. La pandémie change encore évidemment la donne. Par ailleurs, l’utilisation croissante du nickel, qui remplacera partiellement le cobalt, contraint les entreprises de recyclage à s’adapter et à faire évoluer leur modèle économique.
Usage stationnaire et seconde vie des batteries?
Il y a de nombreuses autres questions sans réponses. Celle d’une possible seconde vie pour les batteries souvent mise en avant… en théorie. Elles pourraient être utilisées quand leurs performances déclinent pour des usages stationnaires, notamment dans les habitations pour stocker de l’électricité provenant de panneaux photovoltaïques. Une filière va-t-elle se mettre en place et doubler alors peut-être la durée de vie des batteries?
Le volet réglementaire doit aussi rapidement être mis en place. Et cela s’annonce compliqué. La législation doit à la fois protéger l’environnement dans les différentes étapes du cycle de vie de la batterie, mais ne pas créer des obstacles à la pratique industrielle et à sa compétitivité face à l’Asie. La première des choses à faire est l’obligation de recyclage d’une batterie lithium-ion. Elle ne concerne aujourd’hui que 50% de ses batteries mais est de 90% pour celles au plomb.
Enfin, l’industrie européenne du recyclage doit d’une façon ou d’une autre donner naissance à des d’acteurs d’envergure internationale. Elle n’en a pas, à l’exception d’Umicore, et est même totalement absente dans certains segments de cette activité.
La possibilité pour l’Europe de développer cette activité stratégique va se jouer dans les toutes prochaines années. Après il sera trop tard, comme pour les panneaux photovoltaïques et la fabrication même des batteries.