En matière de transition énergétique, la politique européenne peut se résumer depuis plusieurs années à cette formule lapidaire: se donner des objectifs contraignants toujours plus ambitieux et qui souvent ressemblent à des vœux pieux… en espérant que l’intendance suive. Communication politique et technocratie ont beaucoup de mal avec les réalités industrielles, technologiques et financières. Cela s’est traduit il y a quelques semaines par une révolte soudaine et inattendue contre la disparition imposée des véhicules neufs à moteur thermique d’ici 2035. Cela débouche aujourd’hui sur un affrontement violent entre deux blocs de pays de l’Union sur la façon de produire de l’hydrogène décarboné qualifié de vert, avec ou sans nucléaire. Les 11 pays partisans du nucléaire sont menés par la France et les 11 pays anti-nucléaires par l’Allemagne. Et sans surprise, la Présidente de la Commission Ursula van der Leyen a choisi son camp… celui de Berlin, en considérant que «le nucléaire n’est pas stratégique».
La dernière initiative européenne en date concerne les infrastructures de recharge des véhicules bas carbone, électrique à batteries et électriques à hydrogène. L’un des principaux obstacles au développement des véhicules électriques est celui de la densité et de la capacité en termes de puissance délivrée des infrastructures de recharge dites publiques… c’est-à-dire accessibles au public.
Des contraintes légales pour tous les pays de l’Union
La question de la capacité à pouvoir recharger les véhicules notamment lors de longs trajets est essentielle pour rendre ainsi leur usage et leur utilité proches de ceux des véhicules thermiques. Cette question est même considérée par de nombreux experts comme étant encore plus importante que celle du coût élevé à l’achat des véhicules électriques et des problèmes économiques et environnementaux liés à la quantité considérable de métaux dits stratégiques nécessaires à la fabrication des centaines de kilos de batteries qui se trouvent dans chacun des véhicules électriques.
La solution trouvée par les eurodéputés et les États de l’Union européenne consistent à renforcer considérablement les contraintes légales pesant sur les pays pour le déploiement des stations de recharge. Ils se sont mis d’accord mardi 28 mars sur des objectifs particulièrement ambitieux pour déployer des stations de recharge d’électricité et également d’hydrogène à intervalles réguliers le long des grands axes routiers. Et ce n’est pas un hasard si cet accord est intervenu quelques heures seulement avant l’approbation définitive par les ministres de l’Énergie des Vingt-Sept du texte marquant l’interdiction de la commercialisation des véhicules neufs à moteurs thermiques dans l’UE à partir de 2035sauf pour ceux qui fonctionneront avec des carburants synthétiques bas carbone.
Les réseaux électriques devront être rapidement développés et renforcés
Le compromis trouvé entre négociateurs du Conseil (l’organe représentant les États) et le Parlement européen fixe pour chaque pays des objectifs minimums obligatoires pour les infrastructures. D’ici 2026, des bornes de recharge pour véhicules électriques, d’une puissance minimum de 400 kW, devront être installées tous les 60 km sur toutes les principales autoroutes de l’Union Européenne. Cette obligation sera étendue aux autoroutes secondaires d’ici à 2030. Toujours d’ici 2026 et toujours sur les principales autoroutes, des stations plus puissantes, de 1.400 kW à 2.800 kW, devront être opérationnelles tous les 120 km à l’intention notamment des camions et bus. Leur puissance devra être rapidement augmentée au cours des années suivantes. Et d’ici 2031, des stations de ravitaillement en hydrogène devront être installées tous les 200 km sur les grands axes routiers.
Ce que ses contraintes impliquent en termes de développement des réseaux électriques pour acheminer la puissance le long des autoroutes et de capacités de production et de transport d’hydrogène sont des questions qui ne semblent pas vraiment concerner les eurodéputés qui semblaient très satisfaits d’eux-mêmes et les ministres de l’énergie des 27 pays de l’Union. Après tout, l’intendance suivra…
Pour donner un ordre d’idée, dans une étude publiée le 28 mars, le cabinet d’études Bloomberg NEF (New Energy Foundation) évalue à 21,4 mille milliards de dollars les investissements nécessaires dans le monde dans les réseaux électriques d’ici 2050. Cela signifie que les investissements annuels dans les réseaux électriques devront passer de 274 milliards de dollars l’an dernier à 871 milliards en deux décennies. Il faudra construire 80 millions de kilomètres de nouvelles lignes électriques en trente ans.
Autosatisfaction des eurodéputés
Le texte du Parlement européen prévoit tout de même des dérogations pour les routes «à très faible trafic», les régions ultrapériphériques et les îles. Et les automobilistes «devront avoir la possibilité de payer facilement aux points de recharge ou de ravitaillement» où le prix facturé devra être «raisonnable, aisément et clairement comparable, transparent», précise le Parlement.
«Les nouvelles règles permettront de déployer sans plus tarder les infrastructures pour les «carburants alternatifs», faisant en sorte qu’il soit aussi simple et pratique de conduire et recharger une voiture de nouvelle génération qu’une voiture à essence», a expliqué l’eurodéputé socialiste Ismail Ertug, rapporteur du texte. «C’est une brique essentielle à la transition vers une mobilité zéro émission», a ajouté l’eurodéputé Pascal Canfin (Renew, libéraux), président de la commission Environnement.
L’ONG Transport&Environment a salué «une avancée concrète pour en finir avec l’angoisse de la recharge», puisque les États «seront légalement tenus de massifier les infrastructures à mesure que les voitures électriques seront mises en circulation».