Les batteries sont au même titre que les panneaux solaires et les éoliennes, un élément clé de la transition énergétique. Elles sont évidemment le composant essentiel des véhicules électriques mais doivent aussi servir de plus en plus à stocker l’électricité pour stabiliser les réseaux fragilisés par le caractère intermittent et aléatoire de la production des renouvelables éoliens et solaires.
Après avoir décidé d’imposer aux constructeurs automobiles et aux consommateurs le véhicule électrique, l’Union Européenne s’est rendu compte tardivement que la dépendance des constructeurs automobiles européens aux fournisseurs asiatiques et plus particulièrement chinois de batteries les mettait dans une situation économique intenable. Elle pose aussi un réel problème de souveraineté. Voilà pourquoi ont été lancées des initiatives du type «Airbus des batteries» et pourquoi de nombreux constructeurs ont investi lourdement dans la construction d’usines en Europe de fabrication de cellules de batteries. Des fabricants chinois ont aussi décidé de venir s’implanter en Europe tout comme le constructeur américain Tesla d’ailleurs.
La Chine contrôle de fait les chaînes d’approvisionnement
Le marché des batteries lithium-ion est aujourd’hui entre les mains de six groupes industriels: le Japonais Panasonic, les Sud-Coréens LG-Chem et Samsung SDI, les Chinois Contemporary Amperex Technology (CATL) et BYD et l’Américain Tesla. Ils assurent plus de 80% de la production mondiale. Cela explique le sauve-qui-peut industriel des constructeurs automobiles européens qui sont tous associés à des projets de fabrication de batteries le tout alimenté par une course aux subventions. Il existe ainsi aujourd’hui dans toute l’Europe pas moins de 38 projets différents d’usines de batteries pour un total d’investissements de plus de 40 milliards d’euros. Le dernier annoncé l’a été le 1er février par Emmanuel Macron. Dans une interview à la Voix du Nord, le Président de la République a confirmé l’implantation de l’usine de Verkor à Dunkerque. Deux autres projets de gigafactory ont été annoncés auparavant dans la région à Douvrin (ACC) et Douai (Envision). Verkor est partenaire de Renault, qui a pris 20% du capital de cette start-up grenobloise en juin dernier.
Mais la multiplication des usines de batteries ne fait que déplacer le problème. Les producteurs européens de batteries sont dépendants de métaux et matières premières dits stratégiques (lithium, nickel, cobalt, cuivre, graphite…) dont la menace de pénuries a fait s’envoler les cours et qui pour certains d’entre eux (dont le lithium) sont raffinés presque exclusivement en Chine… La stratégie économique chinoise consiste à se rendre indispensable au fonctionnement des chaînes d’approvisionnement, notamment dans les domaines clés de la transition énergétique. A savoir les panneaux solaires, les turbines d’éolienne, les batteries de véhicules électriques et à terme l’hydrogène er plus particulièrement les piles à combustibles, et les réacteurs nucléaires de nouvelle génération.
Bon nombre de matières premières que la Chine va extraire hors de ses frontières le sont via des mines exploitées par des sociétés publiques qui les ramènent sur le sol chinois afin de les transformer en métaux et produits utilisables dans l’industrie. Pour la plupart, ces groupes publics le font à perte, mais cela permet de fournir les industries nationales avec des ressources bon marché leur permettant d’être très compétitives sur les marchés mondiaux. Ainsi, la Chine contrôle, par exemple, 86,5% des exportations de cobalt de la République Démocratique du Congo (RDC). La RDC représente 60% de la production mondiale de Cobalt. Des entreprises chinoises ont investi dans les 12 grandes mines de Cobalt du pays et de fait les contrôlent toutes.
Les ministres de l’industrie des 27 pays de l’Union tentent d’élaborer une stratégie commune
La Chine stocke aussi les terres rares et des minéraux stratégiques pour en réserver l’utilisation à ses propres usines et les favoriser pour faire face à l’augmentation rapide de la demande de véhicules électriques à batteries dans le monde. Le prix de ces minéraux n’est pas du tout le même pour les fabricants chinois de batteries et pour ceux à l’étranger qui les achètent en Chine.
Voilà pourquoi, les ministres de l’Industrie des 27 pays de l’Union se sont retrouvés le 1er février, dans le nord de la France dans l’ancien bassin minier de Lens, près de Douvrin qui doit accueillir l’une des usines «géantes» de batteries prévues sur le vieux continent. Le constat est simple, l’Europe ne produit quasiment aucun des métaux stratégiques. «Nous avons une vraie dépendance aux matières fossiles pour les voitures actuellement… nous ne voudrait pas passer d’une dépendance à une autre», explique-t-on au cabinet de la ministre française de l’Industrie Agnès Pannier-Runacher, puissance invitante de la réunion européenne.
D’ici 2030, l’Europe a pour ambition de représenter 25% de la production mondiale de batteries… contre 3% en 2020. Reste à être capable d’alimenter les usines en métaux stratégiques. Les besoins de cobalt et de graphite devraient doubler d’ici la fin de la décennie en Europe à respectivement 83.000 et 610.000 tonnes par an. Et la demande de lithium devrait décupler à 61.000 tonnes. Dans ces trois filières, la Chine domine totalement le marché -première productrice et souvent première consommatrice- en ayant mis la main sur de nombreux sites d’extraction minière et en multipliant les usines de raffinage.
Des dizaines de tonnes de minerais à traiter pour fabriquer une seule batterie
Les besoins sont considérables. Pour donner un ordre d’idées, voilà avec quoi est fabriquée une batterie lithium-ion de 400 kilos d’une technologie classique. Elle contient 15 kilos de lithium, 30 kilos de cobalt, 60 kilos de nickel, 90 kilos de graphite et 40 kilos de cuivre. Plus parlant encore, pour en retirer les 15 kilos nécessaires, il faut traiter 10 tonnes de saumure de lithium. Pour obtenir les 30 kilos de cobalt, c’est 30 tonnes de minerai. Pour les 60 kilos de nickel, on en est à 5 tonnes de minerai. Il faut 6 tonnes pour les 40 kilos de cuivre et une tonne pour les 90 kilos de graphite.
Les ministres ont entendu les témoignages de trois industriels, le suédois NorthVolt, qui a inauguré fin 2021 la première «giga-usine» de batteries lithium-ion en Europe, le groupe français Caraester, spécialiste du recyclage d’aimants, et l’autrichien Wolfram, qui exploite une ligne de tungstène et présentera les enjeux du potentiel extractif européen.
Sécuriser l’approvisionnement en batteries et maîtriser leurs coûts est crucial pour l’avenir des constructeurs automobiles européens. Allié à Nissan et Mitsubishi, Renault pense «réduire par deux le coût des batteries d’ici 2030», a indiqué il y a quelques jours son patron Jean-Dominique Senard.
Parmi les solutions immédiates pour réduire la dépendance et sécuriser l’accès aux métaux et matières premières, figurent la constitution de «plateformes» d’importation auxquelles seraient liées des usines de raffinage européennes. L’Europe compte aussi sur le recyclage des batteries usagées. Mais la clé est l’ouverture de mines et d’usine de traitement et de raffinage sur le sol européen ce qui ne va pas sans créer des problèmes environnementaux…
Pour ce qui est du lithium, élément indispensable s’il en est et dont plusieurs études montrent un sérieux risque de pénurie dans les prochaines années, quatre projets de mines existent en Europe: Cinovec en République tchèque, porté par European Metals, Keliber en Finlande par Keliber Oy, Wolfsberg en Autriche par European Lithium, et un projet en Allemagne, Zinnval, porté par Deutsche Lithium. Ces quatre projets, s’ils aboutissent, ce qui est loin d’être assuré, pourraient théoriquement couvrir à terme 80% des besoins européens. Le vice-président de la Commission européenne, Maros Sefcovic, mène par ailleurs «des discussions avec la Serbie» qui vient de rompre ses négociations avec le géant australien Rio Tinto pour l’exploitation controversée localement d’une mine de lithium.
La France a aussi un potentiel important sur son territoire, notamment dans le bassin rhénan. Les nappes d’eau chaude profondes situées en Alsace contiennent des quantités importantes de lithium. Un projet a ainsi été lancé l’an dernier par le groupe Arverne. Il a déposé une demande de permis de recherche afin d’explorer le potentiel géothermique et de production de lithium au nord de l’Alsace.