Le Soleil est la source de la vie sur la Terre. Il nous apporte en permanence 1.360 watts par mètre carré, soit une puissance totale de 3,8 x 1026 watts. Quelle est la source de cette énergie? Quelles sont les preuves?
Notre étoile, née il y a 4,6 milliards d’années, est une gigantesque boule de gaz (2×1033 grammes) composée essentiellement d’hydrogène (75%) et d’hélium (24%), avec environ 1% d’éléments lourds (oxygène, carbone, fer…).
Dès la fin du XIXe siècle, de premières idées sont avancées, par exemple la transformation d’énergie gravitationnelle en chaleur. Mais celle-ci n’aurait pas permis à notre étoile de briller plus de quelques dizaines de millions d’années.
En 1919, avec les débuts de la physique nucléaire, Jean Perrin spécule sur la transformation d’hydrogène en hélium, sans élaborer. Peu après, Arthur Eddington comprend qu’au cours de cette transformation la différence de masse entre quatre noyaux d’hydrogène et un noyau d’hélium libère l’énergie qui permettrait au Soleil et aux étoiles de vivre très longtemps.
Les calculs prendront du temps. Il faudra attendre 1938 et les travaux pionniers de Hans Bethe et Carl von Weiszacker pour comprendre que ce sont des cycles compliqués de réactions nucléaires qui sont à l’œuvre au cœur des étoiles, tous basés sur la fusion de quatre atomes d’hydrogène en un atome d’hélium (une réaction différente des réactions exploitées dans nos centrales nucléaires puisqu’il s’agit ici de fusion et non de fission). Cette fusion crée une toute petite quantité d’énergie, 26,7 méga-electronvolts, soit quelques millionièmes de millionième de Joule ou un milliardième de milliardième de kilowatt-heure. En d’autres termes, il faut transformer une quantité phénoménale d’hydrogène en hélium –600 tonnes par seconde– pour atteindre la puissance du Soleil.
Cycle de réactions nucléaires proton-proton. Davide Franco, Author provided
Tout commence par la fusion entre deux protons (deux noyaux d’hydrogène) au cœur du Soleil, où la température est de 15 millions de degrés Celsius. Il s’ensuit une série de réactions secondaires qui aboutissent à la formation d’hélium-4. Comment prouver la réalité de ces mécanismes au cœur du Soleil? Nous avons la chance d’avoir des témoins directs, les neutrinos, qui sont émis dans plusieurs des réactions nucléaires en jeu.
Les neutrinos permettent d’observer «en direct» (ou presque) ce qui se passe au cœur du Soleil
Huit minutes après avoir été produits, les neutrinos solaires arrivent jusqu’à nous à la vitesse de la lumière, après avoir traversé le Soleil en deux secondes –alors que l’énergie dégagée par ces mêmes réactions nucléaires mettra en moyenne près de 200.000 ans pour nous parvenir à travers le dense plasma. Les neutrinos sont un moyen privilégié de savoir en direct ce qui se passe au cœur de notre étoile. Mais il n’est pas facile de les observer sur la Terre, car ils ont la faculté de traverser de grandes quantités de matière sans interagir.
Au début des années 60, l’astrophysicien John Bahcall et le chimiste Ray Davis se lancent dans la détection des neutrinos solaires. Une expérience radiochimique où les neutrinos transforment un atome de chlore-37 en argon-37 est mise en œuvre dans la mine de Homestake dans le Dakota du Sud, aux États-Unis. Les premiers résultats, en 1968, montrent un déficit d’un facteur 3 des neutrinos observés par rapport aux prédictions des modèles du Soleil. Ce mystère n’a été expliqué qu’en 2001 : l’expérience SNO, conduite par Art McDonald, prix Nobel de physique 2015, a montré que les neutrinos solaires n’avaient pas disparu, mais que, produits comme des neutrinos «électroniques», ils s’étaient en partie transformés en neutrinos «muoniques» ou neutrinos «tauiques» et n’étaient donc pas comptés dans la bonne colonne.
Cycle de réactions nucléaires « CNO », enfin mesurées en 2020. Davide Franco, Author provided
Ce n’est qu’en 2014 que les neutrinos issus de la fusion entre deux protons au cœur du Soleil ont été observés directement, grâce à l’expérience Borexino. Borexino a également détecté les neutrinos provenant des réactions secondaires (la réaction proton-électron-proton, la capture électronique du béryllium-7 et la désintégration du bore-8).
Une des énigmes de la physique du Soleil mesurée en 2020
Si ces expériences permettaient déjà de savoir que 99 % de l’énergie émise par le Soleil provient des réactions nucléaires en son cœur –brûlant 600 millions de tonnes d’hydrogène par seconde–, il restait à mesurer le 1% restant, c’est-à-dire la composante dite «CNO» des neutrinos solaires.
La réaction «CNO», pour «Carbone-Azote-Oxygène», est un autre moyen de fabriquer de l’hélium à partir de l’hydrogène, où le carbone, l’azote et l’oxygène jouent le rôle de catalyseurs. Ce cycle CNO n’est responsable que d’environ 1% de la production d’énergie du Soleil, mais il joue un rôle crucial en astrophysique nucléaire puisqu’il est dominant dans les étoiles plus massives que notre Soleil.
Les neutrinos émis par le cycle CNO ont été observés pour la première fois en juin 2020 par Borexino, confirmant ainsi après plus de 80 ans les prédictions de Bethe et Weiszacker: l’énergie du Soleil est 100% nucléaire.
De plus, les neutrinos CNO sont la seule sonde qui permet de retracer la composition chimique du Soleil au moment de sa formation, car le flux de neutrinos CNO dépend directement de la composition du noyau solaire.
La composition «métallique» du noyau (son contenu en éléments chimiques plus lourds que l’hydrogène et l’hélium) est l’une des principales énigmes de la physique du Soleil aujourd’hui. En effet, alors que les mesures de la métallicité de la couche externe de l’atmosphère solaire (la photosphère) sont compatibles avec les modèles de faible métallicité du noyau, les données d’héliosismologie (la science qui étudie les modes de vibration du Soleil) indiquent une forte métallicité.
Chercher un neutrino dans une botte de foin
Afin d’atteindre la sensibilité requise pour cette mesure, Borexino a été installé dans un laboratoire souterrain mille mètres sous la montagne du Gran Sasso en Italie, pour s’abriter de sources parasites qui miment les interactions de neutrinos qui nous intéressent réellement. Le détecteur est un peu comme une poupée russe. Il est constitué d’une sphère métallique de 13,7 mètres de diamètre entourée de 2000 tonnes d’eau. Cette sphère est remplie de 900 tonnes de liquide non scintillant qui entoure la cible centrale, une sphère en nylon qui contient 300 tonnes de liquide scintillant, le «pseudocumène». Les neutrinos interagissent avec les électrons de la cible, qui vont parcourir quelques centimètres (longueur proportionnelle à l’énergie) en émettant de la lumière qui sera recueillie par les 2.200 photomultiplicateurs disposés tout autour de la sphère métallique.
Pour illustrer la faiblesse de l’interaction des neutrinos, observons que 1,5 x 1021 (1,5 millier de milliards de milliards) neutrinos solaires traversent chaque jour le détecteur et que seulement 150 sont capturés en émettant un petit signal lumineux. Le challenge est d’isoler ce petit nombre de signaux de tous les signaux parasites (radioactivité naturelle, rayons cosmiques). Un des exploits de Borexino a été d’obtenir une cible très purifiée en uranium et en thorium (un milliard de fois moins que dans un verre d’eau pure). L’analyse nécessite ensuite une compréhension détaillée des phénomènes physiques liés au signal attendu, mais aussi aux signaux parasites qu’il faut soustraire.
Le résultat de 2020 a été rendu possible grâce au travail de toute une collaboration, en particulier au groupe d’ingénieurs et de physiciens qui a réussi à stabiliser toutes les composantes du détecteur (stabilité du très faible niveau de radioactivité et stabilité thermique) ; au groupe de physiciens qui a mis en œuvre des outils d’analyse performants et innovants capables d’isoler un signal de quelques signaux par jour au milieu de milliers de bruits lumineux divers. Malheureusement, la précision de la mesure ne permet pas encore de trancher entre les deux options de la métallicité
Est-ce la fin de l’histoire? Au-delà de la confirmation de l’origine 100% nucléaire de l’énergie du Soleil et de toutes les étoiles, il faudra un jour mesurer avec une meilleure précision l’ensemble des composantes de cycle CNO pour résoudre l’énigme de la métallicité.
Davide Franco Directeur de recherche, Université de Paris
Daniel Vignaud Directeur de recherche émérite, Université de Paris
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation.