<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Energie: quelques légendes urbaines à revisiter

13 novembre 2024

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Energie: quelques légendes urbaines à revisiter

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Ignorer la réalité ou la travestir peut durer longtemps. Mais en matière d’énergie, cela finit toujours par se payer un jour ou l’autre. Par Léon Thau. Article paru dans le numéro 22 du magazine Transitions & Energies.

L’un des problèmes avec les questions énergétiques tient au fait que presque tout le monde a une opinion, plus ou moins bien informée et plus ou moins bien intentionnée, et surtout se sent autorisé à la partager. Si on y ajoute la propagande militante et les intérêts des lobbys économiques et politiques, cela explique la confusion qui règne dans ce domaine et l’accumulation de mauvaises décisions prises depuis de nombreuses années. Il est plus facile de suivre les modes et de relayer les légendes urbaines, reprises en boucle dans les médias, que de reconnaître la complexité des systèmes énergétiques, l’ampleur et la difficulté des transformations à effectuer pour mener la transition… et leurs conséquences économiques et sociales.

La première difficulté vient de l’ignorance bien plus largement répandue qu’on pourrait le croire de l’importance de l’énergie et de l’échelle des infrastructures et équipements existants. Une personne dans le monde consomme en moyenne chaque année l’équivalent de 800 litres de pétrole. Cela équivaut à l’énergie dégagée en un an par 60 personnes travaillant jours et nuits sans interruption. Et on peut multiplier par deux ou trois ce chiffre dans les pays développés. L’accès à une énergie abondante, bon marché et fiable est la condition sine qua non de la prospérité matérielle de l’humanité.

Une vision très théorique de la réalité de la production

Pour cela, plus de 60 000 centrales délivrent aujourd’hui de l’électricité à plus de 7 milliards de personnes. Les autres sont toujours privées d’électricité… La taille additionnée de tous les pipelines et gazoducs transportant le pétrole et le gaz représente 2 millions de kilomètres. Le système énergétique permet de produire tous les ans 7 milliards de tonnes de matériaux industriels. Ramené à dimension humaine, cela représente 800 kilos de fer, de ciment, de plastique, d’ammoniac… par personne chaque année. Enfin, plus de 1,5 milliard de véhicules fonctionnant avec des moteurs à combustion interne sillonnent les routes de la planète. Ils fonctionnent presque exclusivement avec des carburants fossiles.

La plupart des économistes oublient ces réalités et s’en rappellent soudain quand les prix de l’énergie s’envolent, comme lors des chocs pétroliers des années 1970 ou de la crise de 2022. Bon nombre d’entre eux ont aussi une vision théorique de la réalité de la production. Ce qui compte à leurs yeux, c’est le travail et le capital. Les prix de l’énergie, qui ne représentent qu’un faible pourcentage du PIB (autour de 4-5 %), et son abondance ont une importance limitée. Sauf que rien ne se peut se faire sans énergie…

La première transition est toujours en cours

L’étendue et la complexité du système construit depuis deux siècles et la révolution industrielle suffisent à expliquer pourquoi la transition sera forcément lente. Le seul exemple historique que nous ayons en apporte la preuve. Les combustibles fossiles et l’électricité hydraulique et nucléaire (venue plus tard) sont passés de 2 % de l’énergie primaire consommée en 1800 à 95 % en 2020. Mais après plus de deux siècles, la première transition énergétique, qui consistait rappelons-le à remplacer les énergies traditionnelles de la biomasse par les fossiles, n’est toujours pas terminée…

Non seulement le système énergétique est gigantesque et complexe, mais il est aussi relativement performant. Notamment du fait de cette donnée essentielle, également méconnue, la densité énergétique. Les carburants tels que le diesel ont une densité énergétique gravimétrique (par unité de poids) environ 50 fois supérieure à celle des batteries utilisées dans les voitures électriques. Cela permet de transporter beaucoup d’énergie facilement et en en consommant relativement peu. Cela dit, le système énergétique actuel est loin de n’avoir que des avantages.

Gaspillage et émissions de gaz à effet de serre

Environ les deux tiers de l’énergie consommée sont gaspillés, principalement en raison de la faible efficacité énergétique de leur conversion en énergie mécanique, en électricité, en chaleur… et de l’utilisation des combustibles fossiles. Mais le principal problème de ce système est qu’il produit en grandes quantités des gaz à effet de serre. Il est à l’origine de plus de 85 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2).

Il y a un autre revers à la complexité de systèmes comme ceux de l’énergie et du climat. Ils produisent une foule de données et d’anecdotes qui peuvent étayer à peu près n’importe quelle théorie, ce qui permet à l’observateur partial de trouver des arguments en faveur de la thèse la plus stupide. Avec deux méthodes en général : en ignorant le contexte ou en affirmant que la corrélation équivaut à la causalité, la principale erreur d’un raisonnement pseudo-scientifique. Ce n’est pas parce que deux phénomènes se produisent en même temps ou presque que l’un est la cause de l’autre…

Des raisonnements douteux

Dans le premier cas, les prévisions selon lesquelles le changement climatique pourrait provoquer 60 000 décès supplémentaires par an du fait du paludisme sont répétées sans cesse par les activistes climatiques. C’est bien sûr tragique, mais en même temps, le nombre actuel de décès annuels résultant de cette maladie est supérieur à 600 000. Ou encore, les opposants aux véhicules électriques évoquent les incendies de batteries lithium-ion sans mentionner le fait que les voitures à essence prennent aussi feu parfois et en proportion bien plus importante, ce que montrent toutes les statistiques.

Autre exemple de détournement, le changement climatique serait la faute du capitalisme. Comme si les autres systèmes ne consommaient pas d’énergies fossiles et si les hommes où qu’ils soient n’aspiraient pas à une meilleure vie matérielle… L’idée de départ est qu’à cause du capitalisme, la recherche du profit encourage les entreprises à ne pas dépenser d’argent pour contrôler les émissions. Ce qui n’est pas sans fondement. Mais le raisonnement pèche en partant du principe que la corrélation est égale à la causalité. Les pays communistes de l’Union soviétique à la Chine en passant par le Venezuela n’ont pas été et ne sont toujours pas vraiment des modèles de vertu environnementale. Ils sont même souvent bien pires que les démocraties capitalistes.

Une partie de l’équation

Les partisans des énergies renouvelables et des véhicules électriques défendent pour la plupart l’idée que l’offre de pétrole est proche d’un sommet permanent et que les prix, allant monter en flèche, vont rendre leurs produits plus compétitifs. On attend toujours ce fameux peak oil, le pic de production de pétrole, qui nous est invariablement annoncé depuis des décennies quand les médias ou les éditeurs manquent de sujets brûlants.

Les renouvelables éoliens et solaires et les véhicules électriques offrent des solutions à la décarbonation. Mais ils ne sont pas la panacée annoncée (il n’y en a pas), et présentent de sérieux inconvénients. Ils ont une empreinte carbone non négligeable et nécessitent des combustibles fossiles pour leur fabrication, leur installation, leur transport et leur entretien. Et le coût des renouvelables n’est pas aussi favorable qu’on le laisse entendre à longueur de temps, même si le prix des équipements a fortement baissé au cours de la dernière décennie. Mais ce n’est qu’une partie de l’équation. Les renouvelables intermittents nécessitent des réseaux électriques et des capacités de stockage adaptés à leur fonctionnement, des capacités de production de substitution. Ils produisent soit trop, soit trop peu (quand il y a ou pas du vent et du soleil) et augmentent considérablement la volatilité du prix de l’électricité.

De la même façon, le nucléaire est aussi une solution partielle. Il s’agit bien de la source d’énergie permettant de produire l’électricité la plus décarbonée, mais le coût et le temps nécessaires pour construire les infrastructures sont très importants, l’entretien exigeant et la souplesse et l’adaptabilité ne font pas vraiment partie de ses qualités.

On peut aussi évoquer l’hydrogène vert décarboné, car produit par électrolyse avec de l’électricité elle-même décarbonée. Ce vecteur d’énergie (comme l’électricité) est et sera indispensable pour décarboner de nombreuses activités industrielles essentielles (fabrication d’acier, d’ammoniac [pour produire des engrais azotés], chimie…) et pour les transports sur longue distance, notamment aérien et maritime. Pour autant, sa fabrication demande de très grandes quantités d’électricité décarbonée, que nous ne sommes pas près d’avoir, et a des coûts très élevés. Cela signifie qu’il faudra absolument définir des priorités et pendant longtemps sur l’utilisation de l’hydrogène vert.

La conclusion de ce florilège est simple. Il n’existe pas de solution miracle et sans inconvénients. Il faut se méfier des donneurs de leçons et des experts instantanés autoproclamés.

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