L’Europe affronte sa crise énergétique la plus grave depuis 1973 et le premier choc pétrolier.
Si le déclencheur – la guerre en Ukraine – est bien connu et souvent mis en avant, celle-ci repose aussi et avant tout sur un ensemble de facteurs qui ont depuis longtemps fragilisé l’approvisionnement du vieux continent en énergie. L’un des principaux est la croyance répandue chez beaucoup d’hommes politiques qu’il est possible de remplacer des moyens de production d’électricité pilotables (nucléaire, charbon, gaz voire fioul) par des moyens dits intermittents (éolien et photovoltaïque principalement).
Or, c’est oublier que certes, contrairement à ce que l’on peut entendre souvent, l’électricité se stocke mais difficilement et partiellement. Nos capacités de stockage (dans la quasi-totalité composées de STEPs, pour station de transfert d’énergie par pompage) sont relativement limitées.
Les moyens de production d’électricité pilotables sont indispensables
C’est pourquoi la sécurité d’approvisionnement électrique repose sur des moyens de production dit pilotables, donc des moyens mobilisables au moment des pics de consommation, et éventuellement mis à l’arrêt le reste du temps. Et ce d’autant plus que le réseau est composé de moyens de productions intermittents, ne produisant pas à la demande. Par exemple, le photovoltaïque, qui ne produit pas la nuit, ou l’éolien dépendant du vent.
Il est donc de coutume de dire qu’il est nécessaire d’installer autant de moyens pilotables que de moyens intermittents afin d’assurer la délivrance en toutes circonstances et la stabilité du système. C’est l’atout français. Ses 61.000 MW de puissance nucléaire installés permettent de suivre la consommation et d’offrir, hors période d’indisponibilité…, une grande sécurité au réseau.
L’Allemagne a préféré le charbon au nucléaire
L’Allemagne offre un parfait contre-exemple. De par sa phobie du nucléaire, Berlin a privilégié la sortie de l’atome à la sortie du fossile. Soyons clairs: l’Allemagne n’a jamais été dans la situation française. A l’origine, le nucléaire représentait une minorité de ses capacités électriques, largement dominées par le fossile et notamment le charbon
Dès lors, développer les énergies renouvelables n’était absolument pas un non-sens, bien au contraire. Par contre, ce qui est parfaitement contre-productif était de développer ces énergies intermittentes en fermant en priorité le nucléaire pilotable. Il était dès lors impossible d’envisager une fermeture sèche des centrales au charbon.
La conséquence immédiate a donc été le double choix de remplacer le potentiel au charbon par des centrales au gaz, profitant du gaz russe très peu cher. Mais aussi de profiter du potentiel d’export de la France quand son parc nucléaire tournait à plein régime.
Pour remplacer le charbon l’Allemagne n’a plus d’autre choix que le gaz
Et puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie est arrivée qui s’est traduite par une baisse considérable de l’approvisionnement de l’Europe en gaz russe déjà commencée des mois auparavant, et au même moment ou presque la défaillance temporaire du nucléaire français. Et pour finir, l’approvisionnement en gaz russe a été définitivement compromis avec le sabotage des gazoducs Nordstream 1 et 2.
L’Allemagne n’avait plus d’autre choix que de relancer, en urgence, 26 centrales au charbon qui avaient été mises sous cocon (ce qui correspond à une fermeture, mais en laissant le matériel en état «au cas où»), et un recul historique sur leurs engagements de réduction d’émissions de CO2.
Mais, et c’était à prévoir, l’accélération du déploiement des énergies intermittentes ne répond pas à l’impérieuse question de la sécurité d’approvisionnement du pays. Et dès l’été 2022, Markus Krebber, dirigeant de l’énergéticien allemand RWE estimait à 20 à 30 GW de centrales à gaz nécessaires très rapidement pour sécuriser leur réseau électrique.
Et Berlin vient de trancher. Dans son rapport semestriel, l’agence fédérale des réseaux (l’équivalent de RTE) prévoit la construction extrêmement rapide (d’ici 2031) de 17 à 21 GW de centrales au gaz, et de sécuriser leur fourniture par des infrastructures… GNL.
Face à son obsession anti-atomique, l’Allemagne n’a donc pas le choix que de persévérer dans sa dépendance au gaz fossile pour compenser l’intermittence de ses autres moyens de production. Et ce, malgré le prix largement plus élevé du GNL par rapport au gaz russe initial.
Le pays qui avait construit sa stratégie industrielle sur la base d’une énergie très bon marché se retrouve donc très durablement fragilisé. Et cela pourrait bien faire les affaires de la France, souvent tancée pour son incapacité à défendre son industrie.
Philippe Thomazo