La commissaire européenne à l’Énergie, l’Estonienne Kadri Simson, s’est livrée au cours des derniers jours à un exercice assez stupéfiant d’autosatisfaction. Celle qui est qualifiée parfois « d’incapable » a souligné, à juste raison, que l’Union Européenne (EU) a réussi à surmonter la perte brutale de l’approvisionnement en gaz naturel russe après l’invasion de l’Ukraine en février 2022.
Présentant son rapport 2024 sur l’état de l’Union de l’énergie, elle s’est félicitée du fait que l’UE a réussi en deux ans à réduire sa dépendance au gaz russe de 45% à 18%, ce qui est une performance. « Nous avons mené une refonte massive de notre politique énergétique ces cinq dernières années », expliquait-elle mardi 10 septembre.
Le modèle énergétique européen, un repoussoir
Mais elle est passée rapidement sur le fait que cette transformation s’est traduite par un renchérissement massif des coûts de l’énergie (gaz et électricité), par une désindustrialisation accélérée et par un appauvrissement de fait des populations. L’envolée des prix de l’énergie est non seulement la conséquence de la crise née de la guerre en Ukraine, mais aussi d’une politique du tout renouvelable qui mécaniquement accroit les prix de l’électricité et la fragilité des réseaux. En matière énergétique, l’UE se trouve ainsi aujourd’hui dans une situation très défavorable face aux Etats-Unis et même la Chine. Avec son hubris coutumière, la Commission voulait faire de la transition énergétique européenne le modèle à suivre. Elle en a fait un repoussoir…
Et ce ne sont pas seulement des opposants aux institutions européennes qui l’affirment, mais Mario Draghi, l’ancien président de la BCE (Banque centrale européenne) dans son volumineux rapport de près de 400 pages très attendu sur la compétitivité, plus exactement la perte de compétitivité, de l’Europe (on peut le trouver ici). Mario Draghi fait tout simplement du coût de l’énergie l’explication majeure aux difficultés industrielles européennes…
Un constat sans appel
Le constat de l’ancien président de la BCE est sans appel. Les prix du gaz dans l’UE sont entre trois et cinq fois plus élevés qu’aux États- Unis. Et pour l’électricité, les prix industriels sont deux à trois fois supérieurs à ceux pratiqués outre-Atlantique ou en Chine.
Coût de l’électricité (à gauche) et du gaz (à droite) pour les industries de l’UE, de la Chine et des États-Unis (€/mégawattheure). Source: Rapport sur l’avenir de la compétitivité européenne.
Kadri Simson a même eu le toupet de dénoncer la France, en retard sur les renouvelables. Elle oublie ainsi délibérément que l’objectif premier de la transition énergétique est de décarboner et que la France est l’un des pays européens les plus vertueux dans ce domaine avec 92% de sa production électrique bas carbone, grâce au nucléaire. Mais le tout renouvelable sur le modèle allemand de l’Energiewende, qui est un échec cuisant, est un mantra, pas une stratégie construite sur une analyse objective de ses avantages et inconvénients.
Une stratégie en échec et des objectifs inatteignables et coûteux
Il arrive tout de même à Kadri Simson d’avoir parfois des éclairs de lucidité. Elle a ainsi reconnu, elle ne pouvait pas faire autrement, que « les prix de l’énergie sont encore trop élevés. Ces prix pèsent sur nos citoyens et sur nos entreprises à forte intensité énergétique et ont un impact sur la compétitivité internationale de l’Europe ». Un minimum quand une multitude de groupes industriels ont soit arrêté des chaînes de production en Europe, soit décidé de les délocaliser, la plupart du temps en Amérique du Nord. Et non seulement les prix de l’énergie sont encore trop élevés, mais ils vont le rester si la stratégie de transition énergétique imposée par la Commission continue à ignorer les réalités techniques, économiques et sociales.
Ainsi Kadri Simson persiste dans des objectifs de décarbonation, c’est-à-dire de développement à marches forcées des renouvelables intermittents (éolien et solaire) et des véhicules électriques, qui sont à la fois inatteignables et extrêmement coûteux. Pour ce qui est des véhicules électriques, les consommateurs n’en veulent pas et les constructeurs automobiles européens se trouvent de ce fait dans une situation qui devient de plus en plus difficile. Et pour ce qui est des renouvelables, les équipements viennent essentiellement de Chine et leur intermittence contraint à maintenir des moyens très importants et coûteux, car peu utilisés, de production fossiles (centrales à gaz et au charbon) de substitution. Le nucléaire présente une autre possibilité mais se heurte toujours à une opposition permanente au sein des institutions européennes.
Le problème de l’hydrogène
Dernier problème de taille, la réponse à l’intermittence de la Commission, inspirée de celle de l’Allemagne, consiste pour stocker l’électricité intermittente à produire de l’hydrogène vert, par électrolyse avec de l’électricité bas carbone. Mais les plans grandioses de développement de l’hydrogène tardent à se concrétiser et à convaincre les investisseurs et les acheteurs potentiels. L’objectif de la Commission consistant d’ici à 2030 à produire 10 millions de tonnes d’hydrogène vert sur le sol européen et à en importer 10 millions de tonnes n’a aucune chance d’être atteint. Et c’est la Cour des comptes européenne qui le dit.