Embargo sur le pétrole russe, un bilan nuancé

9 octobre 2024

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Embargo sur le pétrole russe, un bilan nuancé

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Si l’Union Européenne a réussi à ne plus être dépendante du pétrole russe, l’embargo et le plafonnement à 60 dollars le baril des exportations de pétrole de Moscou n’ont pas vraiment affecté les recettes de l’Etat russe. Il a trouvé d’autres acheteurs, à commencer par la Chine et l’Inde.

En mai 2022, l’Union européenne (UE) décidait d’un embargo sur le pétrole brut importé de Russie par voie maritime. Bien que cet embargo ait été partiel (il ne touchait et ne touche pas le pétrole russe importé par oléoduc), il s’agissait d’une décision majeure puisque l’UE renonçait ainsi à 90% des volumes de pétrole russe qu’elle achetait avant la guerre en Ukraine. Cet embargo est entré en vigueur le 5 décembre 2022. Le 5 février 2023 un autre embargo débutait, celui-ci sur les produits raffinés en provenance de Russie, notamment le gazole.

« Réorientation des flux pétroliers mondiaux… »

Le but de ces sanctions était de réduire les recettes de l’État russe afin de rendre sa guerre contre l’Ukraine plus difficile à soutenir économiquement. En réalité, comme l’avait anticipé Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS, dès le 12 décembre 2022, elles ont surtout provoqué « une réorientation des flux pétroliers mondiaux (…) avec plus de pétrole russe vers l’Asie et plus d’importations pétrolières européennes venant des États-Unis, du Moyen-Orient ou de l’Afrique ». Économiquement, les sanctions semblent avoir largement échouées puisqu’en 2023 les recettes pétrolières et gazières de la Russie se sont élevées à près de 9.000 milliards de roubles (environ 88 milliards d’euros), soit à peu près le niveau de 2021, avant le début de la guerre, et ce grâce à un report quasi total des exportations vers deux grands pays membres des BRICS : la Chine et l’Inde. (Voir le graphique ci-dessous réalisé par Statista à partir des données de l’Agence internationale de l’énergie.)

Selon Les Échos, la Russie est ainsi devenue le premier fournisseur de pétrole de la Chine devant l’Arabie saoudite. L’UE peut néanmoins se prévaloir d’avoir réduit sa dépendance au pétrole et au gaz russe. Le revers de la médaille est que l’Europe, selon Le Monde, est « tombée dans le piège de l’énergie chère » et « risque de perdre la bataille de la réindustrialisation et des technologies propres ».

En 2022, les sanctions contre la Russie ne s’étaient pas limitées à un embargo sur le pétrole. Toujours dans le but d’affaiblir économiquement la Russie, l’embargo était accompagné d’une mesure de plafonnement du prix du pétrole à 60 dollars le baril. Cette sanction était prise par l’UE, mais aussi par le G7 et l’Australie, soit 32 pays. L’idée sous-jacente était que puisque les pays occidentaux ne pourraient pas réellement empêcher d’autres pays, notamment en Asie, d’importer du pétrole russe (la Russie étant le second exportateur de brut après l’Arabie saoudite, son retrait du marché aurait entrainé des pénuries et une flambée des prix), le plafonnement du prix du baril aurait au moins l’avantage de diminuer le bénéfice des ventes.

Une flotte fantôme de pétroliers  

Là encore Francis Perrin, avait alerté : « l’efficacité de cette sanction particulière est plus difficile à apprécier (…) sa mise en œuvre est et sera très complexe ». De fait, en retour, Vladimir Poutine a rapidement signé un décret interdisant la vente de pétrole russe aux pays qui appliqueraient ce mécanisme de plafonnement. Sans doute, l’UE, le G7 et l’Australie s’attendaient-ils à cette réaction. C’est pourquoi le plafonnement, pour être efficace, était accompagné de l’interdiction pour les entreprises basées dans les pays signataires de fournir des services, notamment d’assurance ou de réassurance, permettant le transport maritime de pétrole russe vendu au-dessus de 60 dollars. Autrement dit, les assureurs de l’Union européenne et du Royaume-Uni, qui détenaient alors 90 à 95% du marché de l’assurance P&I (qui couvre les risques de guerre, de collisions ou de dommages environnementaux comme les marées noires), n’avaient plus le droit d’assurer des cargaisons de pétrole russe vendues au-delà de 60$ le baril.

Bien qu’astucieuse, la mesure n’a pas fonctionné aussi bien que les fonctionnaires de l’UE l’avaient escompté. Comme le souligne dans une note Elisabeth Braw, analyste de l’Atlantic Council, le Russie a mis sur pied une « flotte fantôme ». (shadow fleet ou dark fleet en anglais). Il s’agit d’une flotte de plusieurs centaines de navires sans identification qui transporteraient près de 1,7 million de barils de pétrole par jour. Le problème est que, selon certains experts, ces navires sont souvent assez anciens. Dans le meilleur des cas, ils sont assurés par des sociétés russes, ce qui garantit un certain contrôle, dans le pire, ils ne le sont pas du tout, faisant courir au monde, selon Le Temps, d’importants risques environnementaux.

Le G7 ne dicte plus sa loi

Deux ans après qu’elles soient entrées en vigueur, il apparaît que les sanctions prises par l’UE contre la Russie dans le domaine énergétique n’ont pas eu les résultats espérés. Pour cela, il aurait fallu qu’elles soient suivies par le monde entier, ce qui est loin d’être le cas. Les pays des BRICS notamment, dont la Russie est un des membres fondateurs, ne les ont pas suivies. Or, leur poids dans l’économie mondial est prépondérant. En 2023, selon le FMI, le PIB combiné des BRICS a ainsi surpassé celui des pays du G7, en atteignant 32,1% contre 29,9% du PIB mondial à parité de pouvoir d’achat. Les mesures prises par l’UE lui auront néanmoins permis de se libérer de sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie. Le prix a payé est cependant élevé et il faut espérer que le soutien que l’UE doit apporter à l’Ukraine se traduise à l’avenir par des mesures sans répercussions négatives sur elle et sur le monde.

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