Il faut commencer par électrifier les camions et les bus plutôt que les voitures

21 août 2020

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Bus électrique canadien Wikimedia Commons
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Il faut commencer par électrifier les camions et les bus plutôt que les voitures

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En tenant compte des capacités mondiales projetées de production de batteries, il faudrait 35 ans pour remplacer le parc automobile mondial par des modèles électriques à batteries. Cela signifie qu'il faut faire des choix sur les véhicules à électrifier en premier. Un point de vue canadien.

Nous devons changer notre système de transport, et nous devons le faire vite. Le transport routier est un grand consommateur de combustibles fossiles, contribuant à 16 pour cent de toutes les émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. Ces émissions réchauffent l’atmosphère terrestre et provoquent des changements climatiques. De plus, elles polluent notre air, ce qui représente un risque pour la santé et coûte chaque année des milliards de dollars aux contribuables.

Pendant ce temps, les véhicules électriques sont de moins en moins chers, et leur autonomie ainsi que la quantité de bornes de recharge augmentent. Ces nouvelles peuvent sembler emballantes, car on pourrait croire qu’il s’agit d’une réponse facile et pratique au problème des émissions liées aux transports: si tout le monde échangeait son véhicule à carburant fossile contre un équivalent électrique, on pourrait continuer à se déplacer en voiture, sachant que nous ne participons plus ce faisant à la destruction de la planète, tout en profitant d’une nouvelle auto silencieuse, agréable à conduire et dont l’énergie est peu coûteuse.

Tout le monde y gagne, non? Malheureusement, ce n’est pas aussi simple.

Déficit de production de batteries

Les véhicules électriques créent aussi de la pollution atmosphérique et des gaz à effet de serre à cause de leurs freins, de leurs pneus, de l’électricité qui les alimente et des usines qui les construisent. Que nous tentions de régler ces problèmes ou que nous les ignorions, il existe un autre obstacle important à l’adoption des véhicules électriques personnels pour lutter contre les changements climatiques.

En 2019, la production mondiale de cellules de batteries au lithium-ion offrait une capacité d’environ 160 gigawattheures (GWh). C’est suffisant pour un peu plus de trois millions de Model 3 de Tesla d’entrée de gamme, et ce, si nous utilisons uniquement ces batteries pour des voitures sans tenir compte des téléphones intelligents, des ordinateurs portables ou des installations de stockage d’énergie.

Selon une estimation, la capacité de production de batteries annoncée pour 2028 devrait permettre de fabriquer environ 40 millions de véhicules électriques par an.

On peut croire que c’est beaucoup, si on ne sait pas qu’on a construit près de 100 millions de voitures, de camionnettes, d’autobus et de camions dans le monde en 2019. Il y a environ 1,4 milliard de véhicules à moteur en circulation aujourd’hui –un nombre qui continuera presque certainement à croître si on ne fait pas de réels efforts pour passer à d’autres modes de transport.

Si on tient compte de la capacité de production de batteries prévue pour 2028, il faudrait 35 ans pour remplacer le parc automobile mondial par des modèles électriques. C’est loin d’être assez rapide pour éviter les pires répercussions des changements climatiques.

Qu’est-ce qui est mieux pour le climat

Nous n’arriverons jamais à électrifier nos transports dans les délais nécessaires pour atténuer les changements climatiques. Certains trajets devront être décarbonisés par d’autres moyens, comme le vélo, la marche, les transports publics ou le télétravail.

Les batteries au lithium-ion devraient servir en priorité aux véhicules qui parcourent de longues distances ou qui transportent des cargaisons importantes. Les camions à ordures, les autobus, les camionnettes utilisées par des professionnels pour se rendre sur les chantiers et celles qui livrent les achats en ligne sont tous d’excellents candidats pour l’électrification.

Mais la Nissan Leaf qui vous intéressait ne constitue malheureusement pas un bon choix. Vous pouvez assurément vous déplacer à vélo ou en transport en commun beaucoup plus facilement qu’un camion chargé d’outils, de colis ou de déchets municipaux.

Un scénario dont tout le monde sort gagnant

En se concentrant sur les véhicules commerciaux pour l’électrification, on obtient de nombreuses retombées positives. Actuellement, ces véhicules fonctionnent souvent au diesel, qui produit 100 fois plus de pollution particulaire que l’essence.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, les véhicules diesel ont été responsables d’environ 83 pour cent de tous les décès dus à la pollution de l’air par les véhicules routiers en 2015. De plus, les camions diesel sont en général bruyants –problème qu’on élimine presque entièrement en passant à l’électrique.

Au Canada, le fait de mettre l’accent sur l’électrification du parc de véhicules commerciaux comporte un autre avantage important : plusieurs entreprises d’ici sont en train de devenir des chefs de file dans la conception et la construction de ces véhicules. La compagnie électrique Lion, à Saint-Jérôme, au Québec, fabrique des autobus, des camions et des autobus scolaires électriques. New Flyer, basée à Winnipeg, a vendu des autobus électriques à plusieurs grandes villes américaines.

Et Green Jobs Oshawa a déjà élaboré un plan pour la conversion de l’usine General Motors d’Oshawa vers une production de véhicules électriques pour le secteur public canadien. Notre industrie automobile est en difficulté, mais en se concentrant sur la construction de véhicules électriques commerciaux, on pourrait récupérer beaucoup d’emplois dans ce domaine.

Bien commun

Pour le commun des mortels, s’il vise une mobilité zéro-émission, il devra préférer le vélo, les transports en commun, le bureau à domicile, le scooter électrique ou une bonne vieille paire de chaussures à une Tesla neuve et rutilante.

Certaines solutions s’appuient sur l’électromobilité sans pour autant épuiser le stock mondial de batteries. Ainsi, il suffirait d’à peine un peu plus de cinq pour cent de la production de batteries lithium-ion de 2019 pour que chaque Canadien puisse avoir un scooter électrique Urban Machina.

Il est question d’un renflouement de l’industrie automobile canadienne par le gouvernement fédéral, et certains acteurs suggèrent que ce pourrait être l’occasion d’encourager la fabrication de véhicules électriques au Canada. Si le gouvernement veut vraiment avoir un effet positif sur le climat, il devrait songer à soutenir les grosses machines fiables, mais peu prestigieuses, qui font fonctionner notre société plutôt que les véhicules personnels de luxe.

 

Researcher in Sustainable Transportation, Carleton University

Cet article est republié à partir de The Conversations Canada sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.

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