La relance de l’industrie nucléaire en France, si elle ne fait plus guère de doutes, n’est pas sans poser de grands défis. C’est dans ce contexte qu’a par exemple ouvert cette année l’Hefais à Cherbourg (Manche), une école de soudure destinée à former des techniciens de haut niveau pour l’industrie nucléaire et navale.
Agnès Pannier Runacher, ministre de la Transition énergétique en a rajouté une couche cette semaine, car, en visite à l’Union des Forgerons, une entreprise métallurgique travaillant (entre autre) dans le nucléaire, elle a appelé à un véritable «plan Marshall des compétences» afin de mettre en œuvre les orientations énergétiques de la France.
Recruter 10.000 personnes par an dès cette année
Nouveaux EPR2, visites décennales, réparation des réacteurs touchés par les problèmes de corrosion sous contrainte, «uprate »des centrales historiques (augmentation de leur puissance), prolongation du parc, quatrième génération, SMRs… les chantiers à venir sont énormes et vont mobiliser des ressources humaines considérables. Et ne parlons même pas des besoins de l’industrie hydroélectrique, éolienne ou photovoltaïque.
Ainsi, la ministre annonçait un besoin de recrutement de 10 000 personnes par an dès cette année afin de mener l’ensemble des chantiers à bien. Non seulement, il faut les trouver mais EDF n’en a tout simplement pas les possibilités financières. Cette ambition se heurte immédiatement à la réalité de la situation économique d’EDF qui n’a tout simplement pas les moyens d’embaucher autant qu’ils ne le devraient.
Faillite virtuelle
Après une année 2022 qui s’est terminée sur une perte historique de 17,9 milliards d’euros, les capacités financières du fleuron de l’énergie française sont très affaiblies. Elles sont notamment affectées par la décision du gouvernement de faire supporter par EDF une grande partie du coût de la protection des ménages français contre l’envolée des prix de l’électricité. Le relèvement du plafond d’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), dispositif aberrant qui assure un prix d’achat préférentiel aux distributeurs alternatifs concurrents d’EDF, a eu l’an dernier un impact estimé à 8 milliards d’euros sur les comptes de l’énergéticien public.
Tout aussi absurde, la taxe sur les super profits finalement acceptée par le gouvernement, a coûté en 2022 environ 5 milliards d’euros au champion de l’électricité nucléaire. Au pays du roi Ubu, une entreprise publique face à un mur d’investissement et enregistrant une perte historique arrive quand même à être le premier contributeur d’une taxe sur les super profits…
Toute nouvelle embauche a été gelée
Le résultat est net et sans bavure : face à ses difficultés de trésorerie, et malgré les besoins urgents et importants, Christophe Caval, directeur des ressources humaines du groupe, a décidé de geler toute nouvelle embauche jusqu’à nouvel ordre. En clair : n’ayant pas les moyens de ses ambitions, EDF vient de décider d’un moratoire sur les embauches qui met en péril les projets annoncés par le gouvernement.
Le politique, premier responsable de cette situation, ne va pas pouvoir rester sans réagir. Cette situation remet en cause l’intégralité des ambitions du gouvernement et du président de la République en matière de souveraineté énergétique.
Ainsi, il va falloir très rapidement trouver une porte de sortie à cette crise. Les rumeurs de recapitalisation vont déjà bon train. On ne voit pas comment l’entreprise pourrait y échapper pour assurer sa survie et celle de l’ensemble de ses projets.
Philippe Thomazo