Malmenée depuis deux décennies par les injonctions contradictoires de son actionnaire l’Etat, EDF s’est retrouvée financièrement et humainement extrêmement affaiblie. Au point d’être renationalisée à 100% l’an dernier et de devoir parvenir à engager des milliers de salariés qualifiés par an pendant une décennie afin d’être capable de continuer à développer les renouvelables, d’entretenir son parc nucléaire actuel et de fabriquer dans des conditions acceptables en termes de calendrier et de coûts de nouveaux réacteurs EPR2. Mais l’énergéticien public est loin d’avoir retrouvé les moyens de ses ambitions et plus encore des exigences toujours aussi contradictoires des pouvoirs publics.
L’actuel ministre de l’Economie, Bruno Lemaire, ne se comporte d’ailleurs pas différemment de ses prédécesseurs depuis 20 ans en demandant tout et son contraire à EDF. L’entreprise publique a ainsi dû prendre en partie à sa charge en 2022 le coût du bouclier tarifaire sur les prix de l’électricité pour les Français ce qui lui a coûté près de 10 milliards d’euros et a encore grandement détérioré sa situation financière. Et lors des derniers jours, Bruno Lemaire, qui a récupéré le portefeuille de l’Énergie lors du dernier remaniement du gouvernement, a demandé à EDF à la fois de revoir les tarifs d’électricité négociés avec des entreprises, à son détriment, et de mobiliser toutes ses ressources pour mener la relance du nucléaire dans les coûts et les délais prévus. C’est-à-dire de lancer les chantiers avant la fin du quinquennat d’Emanuel Macron et de pouvoir mettre en service un premier nouveau réacteur en 2035. Les injonctions contradictoires n’ont pas vraiment disparu…
L’intendance gouvernementale ne suit pas
« Il faut que EDF et les grands producteurs d’énergies renégocient les contrats des TPE, PME, ETI qui ont renouvelé leurs contrats au moment où les prix étaient au plus haut », a ainsi déclaré lundi 25 mars le ministre de l’Economie juste avant de s’inviter au comité exécutif d’EDF. Lors de ce comité, il a appelé EDF à mobiliser « toutes les ressources humaines et techniques nécessaires » pour réaliser le programme de nouveaux réacteurs nucléaires « dans les coûts et les délais fixés ». Evalué il y a trois ans à 51,7 milliards d’euros, le coût de la construction de 6 réacteurs EPR2 est déjà passé à 67,5 milliards et le calendrier initial semble déjà impossible à tenir… à cause du gouvernement.
Comme le souligne un syndicaliste d’EDF : « le ministre vient donner de la voix, mais nous n’avons toujours pas de programmation pluriannuelle de l’énergie [PPE], pas de visibilité sur la date à laquelle tomberont les commandes de réacteurs, ni aucune idée de comment les financer. EDF travaille d’arrache-pied. Et l’État ? ». Deux ans après le discours de Belfort et le virage à 180 degrès d’Emmanuel Macron qui a annoncé la relance du nucléaire français après l’avoir affaibli systématiquement pendant dix ans, l’intendance ne suit pas du tout. Le plus incroyable est que la PPE encore en vigueur stipule la fermeture d’une douzaine de réacteurs nucléaires…
Quitte ou double avec l’EPR2
EDF a pourtant une stratégie pour relancer un programme nucléaire en France en s’appuyant sur un réacteur EPR2 revu et corrigé. Mais l’entreprise n’y parviendra pas si le gouvernement ne lui donne pas les moyens financiers et juridiques de le faire.
Le plan du Pdg Luc Rémont consiste à réussir, ce qui avait été possible dans la France des années 1970-1980, à savoir construire en série les réacteurs. Il veut le faire à raison de « 1 voire 1,5 EPR2 par an » en Europe à partir de la prochaine décennie, loin du rythme actuel de « un ou deux (réacteurs) par décennie ». « On a déjà fait quatre par an dans les années 1970-80, c’est que c’est possible », expliquait Luc Rémont à la fin de l’année dernière
Mais il faut que l’EPR2 optimisé et standardisé permette d’éviter les errements des chantiers des EPR, que ce soit celui du prototype en Finlande à Olkiluoto ou de Flamanville en France et maintenant de Hinkley Point au Royaume-Uni. Seuls les deux EPR chinois de la centrale de Taishan (voir la photographie ci-dessus) ont été construits dans des délais et à des coûts relativement acceptables. Et pour illustrer les errements des chantiers des EPR, celui de Flamanville vient encore d’être retardé puisque le chargement du combustible, qui devait avoir lieu avant fin du mois de mars, ne sera pas réalisé avant au mieux la mi avril. L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) prend son temps et n’a pas encore lancé la procédure, absurde, de consultation du public sur le projet de décision de mise en service pendant au moins 15 jours voire trois semaines…
La République tchèque, les Pays-Bas, la Slovénie, la Pologne, la Finlande et la Suède intéressés
L’EPR, seul réacteur nucléaire de troisième génération à être construit et à être entré en service dans le monde, est d’une telle complexité qu’il est en fait presque impossible à construire. L’EPR2, tout aussi sûr, doit être bien plus facile et moins coûteux à fabriquer. Il s’agit, par exemple, de passer de 13.309 références de robinet sur un EPR à 571 pour un EPR2…, de 1.517 types de câbles à 14, de 214 modèles de portes à 91, de 836 gabarits de tuyauterie à 257, et de 800 modèles de pompes à 63.
L’enjeu est immense pour EDF. Si l’entreprise réussit son pari et retrouve sa crédibilité de constructeur de centrales, son avenir est assuré. Elle a engagé des discussions, plus ou moins avancées pour la construction de centrales en République tchèque, aux Pays-Bas, en Slovénie, en Pologne, en Finlande et en Suède. En République tchèque, EDF est présélectionné avec son concurrent sud-coréen Kepco dans un appel d’offres portant sur quatre réacteurs.