S’il existait encore des illusions sur la réalité de la transition énergétique et des scénarios plus ou moins étayés de disparition rapide des combustibles fossiles, la 73ème édition de la très respectée Statistical Review of World Energy (Revue statistique de l’énergie mondiale) devrait les balayer définitivement. La transition, qui consiste rappelons-le à substituer des sources d’énergies bas carbone aux carburants fossiles, n’en est qu’à ses prémices à l’échelle mondiale et même l’Europe, qui se veut un modèle, affiche des résultats relativement modestes.
Rappelons que l’an dernier, la Statistical Review of World Energy a changé de propriétaire et été publiée pour la première fois par l’Energy Institute en collaboration avec les cabinets de conseil KPMG et Kearney. Cette mission lui a été transmise par la compagnie pétrolière BP qui en était l’auteur depuis 1952 et s’est désengagée pour lever les éventuels doutes sur son indépendance du monde pétrolier. L’étude est considérée comme « la collecte et l’analyse la plus complète, la plus objective et la plus opportune de données sur la production, la consommation et les émissions d’énergie dans le monde ».
Records de consommation d’énergie et de fossiles
Sa principale conclusion est que l’année 2023 a été marquée par des « records de production et de consommation à tous les niveaux, la plupart des marchés revenant au moins aux tendances de long terme d’avant le Covid-19 tandis que les problèmes de chaîne d’approvisionnement se sont enfin dissipés… Consommation sans précédent de combustibles fossiles et émissions records liées à l’énergie, mais aussi production record à partir de sources d’énergie renouvelables, grâce à des énergies éolienne et solaire de plus en plus compétitives. La transition progresse lentement, mais ce tableau d’ensemble masque des évolutions énergétiques différentes selon les différentes zones géographiques ».
La consommation mondiale d’énergie primaire s’est élevée à 619,6 exajoules en 2023, soit près de 2% de plus qu’en 2022, déjà une année record et plus de 5% de plus qu’en 2019, dernière année avant la pandémie de Covid. La part des énergies renouvelables dans le mix énergétique mondial a progressé à 14,6% en 2023 contre 14,2% en 2022. Avec le nucléaire, cela représente 18% du total de l’énergie primaire consommée qui est bas carbone. Pour autant, les énergies fossiles représentaient 81,5% du mix énergétique mondial en 2023 en retrait de 0,4% par rapport à 2022. Les fossiles ont vu des records mondiaux de production et de demande de charbon (+1,6%) et de pétrole (+2%) dont la consommation a dépassé 100 millions de barils par jour pour la première fois tandis que la demande de gaz naturel est restée stable. En conséquence, les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’énergie ont progressé de 2,1% par rapport à 2022 et dépassé 40 gigatonnes pour la première fois. Pour donner une idée de la progression des fossiles, en 2023 le total des échanges internationaux de pétrole, de gaz et de charbon était supérieur de 53% à ce qu’il était en 2000.
Les émissions de gaz à effet de serre provenant de l’énergie ont dépassé pour la première fois 40 gigatonnes en 2023. Elles proviennent de trois sources : la combustion des énergies fossiles (bleu), les procédés industriels et le méthane (violet) et le torchage du gaz (rouge). Source : Statistical Review of World Energy.
Différences géographiques majeures
Il faut souligner au-delà de ce constat général des différences géographiques considérables. La part des fossiles dans la consommation d’énergie diverge de plus en plus entre pays riches et ceux en développement. La part des fossiles est maintenant inférieure à 70% en Europe, à 80% aux Etats-Unis et est supérieure à 84% pour les pays qui n’appartiennent pas à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).
La consommation d’énergie primaire dans les pays du Sud a dépassé pour la première fois celle des pays du Nord. En 2023, elle a représenté 56% de l’énergie totale consommée et a augmenté deux fois plus vite que la moyenne mondiale (2%). La consommation d’énergie en Europe a baissé de près de 2,2% l’an dernier tandis que celle de la région Asie-Pacifique a augmenté de presque 5% et même de 6,5% pour la Chine qui représente plus d’un quart de la demande mondiale. Le retour de l’activité économique chinoise à un rythme normal après la pandémie de Covid a vu l’utilisation des combustibles fossiles atteindre un nouveau sommet, en hausse de 6%. Mais en tant que part de l’énergie primaire, les fossiles sont en déclin en Chine depuis 2011 tombant à 81,6% du total en 2023. La Chine a construit sur sol l’an dernier pas moins de 55% de toutes les nouvelles capacités de production d’énergie renouvelables, soit plus que le reste du monde réuni. Elle a également dépassé l’Europe pour la première fois en termes de consommation d’énergie par habitant.
La région Asie-Pacifique dans son semble est à l’origine de 85% de la demande des pays Sud (et de 47% de la demande mondiale) portée par les économies de la Chine, de l’Inde, de l’Indonésie, du Japon et de la Corée du Sud.
Ensemble, l’Amérique du Nord, l’Europe et la région Asie-Pacifique ont consommé 78% de l’énergie mondiale totale en 2023. Tandis que l’Amérique centrale et du Sud et la région Asie-Pacifique ont connu des taux de croissance supérieurs à la moyenne mondiale, la demande totale en Afrique a baissé de 0,4% en 2023 et la consommation d’électricité est restée stable. La demande d’électricité en Amérique du Nord et en Europe a baissé respectivement de 1% et de 2%. Dans ces régions, la demande d’électricité est de plus en plus influencée par les réglementations en matière d’efficacité énergétique, l’éclairage économe en énergie et l’évolution des habitudes de consommation.
Electrification en marche et progression des renouvelables
Parmi les autres éléments qui montrent que la transition est tout de même une réalité, le rapport souligne que l’électrification, qui permet d’utiliser des sources d’énergie bas carbone, progresse. La production mondiale d’électricité a atteint 29.925 TWh en 2023 (+2,5% par rapport à 2022), soit un rythme de croissance supérieur de 25% à celui de la consommation énergétique dans son ensemble.
Les filières renouvelables progressent rapidement. La production d’énergie renouvelable, hors hydroélectricité, a augmenté de 13% pour atteindre le niveau record de 4.748 TWh. Cette croissance a été presque entièrement le fait des énergies éolienne et solaire et a représenté 74% de toute l’électricité supplémentaire nette produite. En tant que part de l’utilisation d’énergie primaire, les renouvelables (hors hydroélectricité) représentaient 8% et 15% si l’on inclut l’hydroélectricité.
Mais l’échelle des transformations à mener est une réalité indépassable. La production solaire d’électricité a ainsi encore connu une croissance exceptionnelle de 24,2% en 2023 mais elle ne représente pour autant que 5,5% du mix électrique mondial. En incluant les autres énergies renouvelables, à commencer par l’hydroélectricité (14,3% du mix électrique mondial) et le nucléaire, dont la part reste stable autour de 9% du mix, la part des filières bas carbone dans la production mondiale d’électricité a atteint 39,2% du total en 2023.
Cela dit, le charbon reste de loin la principale source de production d’électricité dans le monde (35,2% en 2023). La consommation de charbon en Inde a même dépassé pour la première fois en 2023 la consommation combinée de l’Amérique du Nord et de l’Europe.
Consommation de charbon dans le monde en exajoules. Europe : bleu. Amérique du nord : mauve. Reste du monde : vert. Asie-Pacifique : orange. Source : Statistical Review of World Energy.
Fossiles : puissance américaine
Le pétrole, le charbon et le gaz naturel sont de loin les trois premières sources d’énergies dans le monde, respectivement 31,7%, 26,5% et 23,3% du mix en 2023.
La production mondiale de pétrole brut a atteint un nouveau niveau record de 96,3 millions de barils par jour en 2023, en hausse de 1,8 million de barils par jour par rapport à 2022. Les États-Unis ont conforté leur place de premier producteur mondial de pétrole avec 19,4 millions de barils par jour produits en 2023 (+8% par rapport à 2022), soit environ 20,1% de l’offre mondiale. Suivent l’Arabie saoudite (11,8%) et la Russie (11,5%).
Production de pétrole en milliers de barils par jour. Rouge : Opep. Violet : Opep+. Vert: reste du monde. Source : Statistical Review of World Energy.
Les États-Unis restent également les principaux producteurs mondiaux de gaz naturel (25,5% de la production mondiale en 2023 en hausse de 4,2% par rapport à 2022). Mais ils ont également dépassé le Qatar comme premier exportateur de GNL (Gaz naturel liquéfié) au monde (20,8% des exportations mondiales) avec une hausse de presque 10% de leurs exportations l’an dernier.
Dans le même temps, la demande européenne de gaz a diminué de 7% après une baisse de 13% en 2022 à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La part de la Russie dans les importations de gaz de l’Union Européenne est tombée à 15%, contre 45% en 2021. La Russie a vu ses exportations de gaz par gazoducs chuter de 24% en 2023 tandis que celles par voie maritime sous forme de GNL n’ont baissé que d’environ 2%.