Le cabinet Rystad Energy, spécialisé comme son nom l’indique dans les analyses et la prospective sur l’énergie, a identifié à l’occasion de la COP28 dix leviers permettant d’accélérer la transition énergétique et d’avoir un peu plus de chances de respecter les objectifs de décarbonation des économies.
Rystad souligne que la transition des combustibles fossiles vers des sources d’énergie bas carbone s’accélère dans le monde mais à un rythme insuffisant. Cela est lié notamment à la lenteur du développement des infrastructures, au sous-investissement dans les nouvelles technologies, au manque d’optimisation des réseaux et à une collaboration internationale insuffisante.
« Nous avons identifié 10 moyens d’accélérer de manière significative la transition énergétique dans le monde permettant d’avoir les objectifs les plus ambitieux de l’Accord de Paris à portée de main. Ces moyens visent à cibler des options de décarbonisation à fort impact qui peuvent accélérer le déploiement des renouvelables, améliorer l’efficacité énergétique, remédier aux défaillances des marchés et encourager les investissements nécessaires pour parvenir à des émissions nettes zéro », explique Jon Hansen, vice-président mondial des systèmes énergétiques de Rystad Energy.
Le cycle de l’innovation technologique dans la transition
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Doper le développement des renouvelables
Les chaînes d’approvisionnement des renouvelables éolien et solaire sont capables, selon Rystad Energy, de développer rapidement des projets. Mais les délais d’obtention des autorisations doivent être raccourcis et les obstacles au financement doivent être limités pour atteindre l’objectif fixé d’ici à 2030. La capacité renouvelable mondiale doit passer d’environ 3,6 térawatts (TW) en 2022 à près de 11,2 TW d’ici à 2030. L’énergie solaire photovoltaïque doit représenter environ 65% de cette expansion. Sur la base des projets existants, des politiques et des tendances industrielles, la capacité mondiale de production d’énergie renouvelable atteindre 8 TW d’ici à 2030 et pas 11,2 TW avant 2034 au plus tôt.
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Redoubler d’efforts en matière d’efficacité énergétique
Sur les 500 exajoules (EJ) d’énergie primaire provenant des combustibles fossiles consommées par an dans le monde en fait seuls 250 EJ sont réellement utilisés. Lorsque des molécules sont brûlées pour produire de l’électricité ou faire fonctionner un moteur thermique seuls 30 à 60 % de l’énergie chimique est convertie en énergie utile. Le reste est perdu sous forme de chaleur répandu dans l’environnement. Avec le solaire, l’éolien, l’hydraulique l’efficacité énergétique est bien plus grande quand il s’agit de produire de l’électricité et théoriquement des 500 exajoules de départ, il en resterait environ 440. C’est aussi l’un des avantages de renouvelables qui ont, comme toute source d’énergie existante, des inconvénients.
Avec l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments, des matériaux et de la conception des appareils et des machines, l’efficacité énergétique dans son ensemble a augmenté d’un pour cent par an au cours des dernières décennies. Mais pour atteindre les niveaux requis pour s’aligner sur les scénarios climatiques, il faut aller plus vite en augmentant les contraintes et les incitations par les prix.
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Prendre des mesures significatives pour réduire les émissions de méthane
Le méthane est à l’origine de 15 à 20% des émissions de gaz à effet de serre. C’est un gaz dont l’effet de serre est au moins 25 fois plus important que celui du dioxyde de carbone (CO2) même s’il reste beaucoup moins longtemps dans l’atmosphère. Il est donc essentiel d’inciter à réduire les émissions de méthane et à les capturer.
L’agriculture, en particulier l’élevage, et les décharges sont des sources importantes d’émissions de méthane. Le soutien aux investissements dans les technologies agricoles émergentes, telles que l’agriculture cellulaire et la fermentation de précision, peut réduire de manière significative les émissions provenant du bétail.
Le secteur du pétrole et du gaz contribue aussi de manière significative aux émissions de méthane, principalement en raison des fuites dans les infrastructures de production et de transport. La mise en œuvre de meilleures pratiques pour la détection régulière et avancée des fuites est donc indispensable.
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Faire monter les prix de la tonne de carbone
Une augmentation progressive de la valeur de la tonne de carbone enverra un signal financier fort en faveur de la réduction des émissions. C’est particulièrement important dans les secteurs où il est difficile de réduire les émissions pour lesquels le prix du carbone influence directement la rapidité d’adoption des technologies décarbonées. C’est évidemment le cas dans l’industrie lourde : cimenteries, haut-fourneaux, chimie.
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Augmenter les investissements dans les technologies bas carbone dans les pays en développement
Les investissements dans les technologies énergétiques bas carbone dépasseront ceux dans le pétrole et le gaz d’ici 2025. Mais ses investissements sont concentrés presque exclusivement dans les pays développés en y intégrant la Chine. Il est essentiel de stimuler la demande de produits énergétiques à faible teneur en carbone dans les économies émergentes et de les aider à avoir les moyens d’investir.
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Optimiser le fonctionnement des réseaux électriques
Les possibilités des réseaux électriques rendent souvent assez inefficaces l’installation de sources d’énergie renouvelables intermittentes. En mettant en œuvre des technologies existantes et abordables telles que l’optimisation de la topologie et l’évaluation dynamique des lignes, la capacité de transport d’électricité peut être augmentée de 30 à 40%. Ce qui est indispensable puisque non seulement les éoliennes et les panneaux photovoltaïques sont intermittents, ils produisent soit trop, soit pas assez, mais en outre ils sont par nature sur des surfaces importantes et éparses. Ce qui signifie que des solutions de stockage de l’électricité sont aussi une nécessité plus la part de renouvelables intermittents augmente dans la production électrique.
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Embrasser l’électrification du transport routier
La bascule vers les véhicules électriques est un élément crucial pour réduire la dépendance aux carburants fossiles et plus particulièrement au pétrole. Le transport routier représente 19% de la consommation finale d’énergie dans le monde et 15% des émission de CO2. Mais avant d’atteindre les 70% de pénétration des véhicules électriques considérés comme nécessaires, il va falloir faire des efforts considérables pour convaincre les utilisateurs et d’installations d’infrastructures de recharge.
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Réduire, réutiliser, recycler
L’économie dite circulaire doit permettre une décarbonisation efficace sans avoir un impact trop important sur la qualité de vie des populations. Elle passe par la réutilisation intensive des matériaux, à commencer par celle des batteries de véhicules électriques pour le stockage stationnaire de l’énergie, et par l’augmentation significative des taux de recyclage de tous les équipements et même de nombreux biens de consommation.
Le recyclage est particulièrement crucial pour les secteurs difficiles à décarboner comme la production d’acier par exemple. Fabriquer de l’acier revient à émettre 2,3 tonnes de CO2 par tonne d’acier tandis que l’acier recyclé ne produit que 680 kg de CO2 par tonne.
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Arrêter les subventions inefficaces et inutiles aux combustibles fossiles
Les subventions inefficaces et inutiles à la consommation de combustibles fossiles créent une distorsion sur les marchés mondiaux de l’énergie. Elles encouragent l’utilisation des carburants fossiles et plus encore faussent les signaux de prix pour inciter à l’efficacité énergétique et à la transition vers d’autres sources d’énergies moins carbonées.
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Éviter que les tensions commerciales n’entravent les progrès
C’est un paradoxe pas toujours facile à faire accepter, mais la transition énergétique passe à la fois par moins de mondialisation, quand elle entraine des consommations d’énergie inutiles, et plus de mondialisation, quand elle permet de faire baisser considérablement les prix des équipements indispensables. Si la relocalisation des productions stimule les industries nationales, elle peut ralentir considérablement la transition énergétique. Elle encourage la course aux subventions dans des secteurs clés des technologies décarbonés tels que les batteries, l’hydrogène et le solaire photovoltaïque ce qui ne garantit en rien, au contraire, l’efficacité et la viabilité économique des nouvelles filières et fait en outre monter les prix.