Deux millions de voitures décarbonées en circulation sur le territoire français dès 2020! Une plaisanterie? Même pas! Voilà tout juste dix ans, le 1er octobre 2010 à l’occasion de l’ouverture du Mondial de l’automobile, le ministère de l’Ecologie et de l’Energie de Jean-Louis Borloo, dans le gouvernement de François Fillon, consacrait «le véhicule propre, la plus belle réussite du Grenelle de l’environnement» qui s’était tenu en 2007. Mais cette belle réussite allait vite se transformer en belle endormie…
Pourtant, tous les outils étaient soit disant en place pour que l’objectif ambitieux de deux millions de voitures propres en dix ans, puisse être atteint. Le Chef de l’Etat Nicolas Sarkozy avait lui-même donné l’impulsion, influencé par Carlos Ghosn, patron de Renault, fraîchement converti à l’électrique pour justifier des aides demandées à l’Etat afin d’extraire le groupe automobile de la crise économique. Le dossier de presse du ministère de l’Ecologie se présentait alors comme le véritable acte de naissance de la voiture électrique.
Des projections utopiques
Mais la tentative d’électrochoc a échoué. Dix ans plus tard, après un retard au démarrage et une croissance poussive des ventes de voitures décarbonées, et malgré un été 2020 pourtant favorable relevé par l’association spécialisée Avere, on ne compte guère aujourd’hui que 283.600 véhicules électriques en circulation (y compris les utilitaires). Sept fois moins qu’anticipé! En ajoutant les véhicules hybrides rechargeables, le parc actuel atteindrait aujourd’hui quelque 373.500 unités. Très très loin des objectifs fixés dix ans plus tôt, qui apparaissent avec le recul un peu délirants.
Il est vrai que, tout à la concrétisation en grande pompe des engagements du Grenelle, les pouvoirs publics tablaient sur une part de marché de 16% des ventes de voitures électriques en 2020. Même si l’année automobile demeurera très atypique à cause de la crise sanitaire, seule une petite partie du chemin aura été parcourue. Car l’an dernier, cette part de marché de l’électrique n’a pas dépassé… 1,9% pour les voitures particulières! En ajoutant les véhicules hybrides rechargeables qui ne sont pas totalement décarbonés, la mobilité électrique n’a représenté que 2,8% des ventes en 2019 (3,1% avec les utilitaires). Même si elle est en 2020 sur une pente ascendante, la proportion de l’électrique sur le marché devrait demeurer cette année… cinq à six fois moins importante que les projections de 2010 ne l’envisageaient! Dur retour à la réalité.
Un réseau de recharge anémique
Dans leur emballement, les services de Jean-Louis Borloo avaient établi une forme de cohérence en prévoyant dès 2010 une infrastructure adaptée au succès de la voiture électrique. Le scénario français anticipait «la création de 900.000 points de recharge privés et 75.000 points de recharge accessibles au public dès 2015, portés à 4 millions de points de recharge privés et 400.000 points de recharge publics en 2020». Le bel enthousiasme! Mais à l’arrivée, dix ans plus tard, on ne compte pas plus de 30 000 bornes sur le domaine public. Soit moins de 10% de l’objectif!
Une charte avait pourtant été signée cette même année avec 13 grandes agglomérations françaises pour le déploiement accéléré de ces 400.000 bornes de charge publiques . Pure communication.
Dans ces conditions, et sans infrastructure adaptée, il est évident que l’essor de la voiture électrique selon les projections de Jean-Louis Borloo ne pouvait qu’être cantonné au domaine de l’utopie. D’ailleurs, le retard dans l’installation des bornes de recharge se situe dans les mêmes proportions que celui du marché de l’électrique, illustrant une évidente corrélation entre les deux. En outre, pour parvenir aux 4 millions de prises privées en 2020, le gouvernement annonçait «la généralisation progressive grâce à la loi Grenelle II, au sein de tous les bâtiments (immeubles d’habitation et parkings de bureau) de prises de recharge». Waouh!
Les batteries oubliées
Pourtant, les leviers au décollage du marché avaient été prévus, mais pas forcément à la hauteur souhaitable. Un super-bonus de 5000 euros jusqu’en 2012 devait permettre «aux véhicules électriques d’être au même prix qu’un véhicule classique», et une commande par l’État «de 50 000 véhicules électriques afin de réaliser, d’entrée, des économies d’échelle et rentabiliser rapidement les investissements des constructeurs», amorcerait la pompe. Au plan industriel, «la mobilisation dans le cadre du Grand emprunt, d’une enveloppe de 750 millions d’euros en faveur de la recherche sur le véhicule du futur» était complétée par une enveloppe de «250 millions d’euros de prêts pour la construction d’usines et de chaînes de montage pour véhicules décarbonés», précisait le dossier du ministère de l’Ecologie.
Les batteries n’étaient pas oubliées, puisque devait être constituée, sur le territoire national, «une filière française de fabrication de batteries. Ainsi, une usine de production de 100 000 à 350 000 batteries sera créée par Renault, à Flins», annonçait le ministère. En échange, les constructeurs s’engageaient à «prendre en compte, dès la conception des batteries, leur cycle de vie complet: le recyclage des batteries pourra bénéficier de l’enveloppe de 250 millions d’euros du grand emprunt.» Mais tout comme les volumes produits de voitures électriques ne furent pas au rendez-vous, les filières de production de batteries escomptées ne se mirent pas en place. Et notamment aucune batterie ne sortit de l’usine de Flins, Renault préférant in fine se tourner vers les fournisseurs asiatiques de son partenaire Nissan. Tant pis pour l’industrie française.
Un marché sous perfusion
Afin de rendre la motorisation électrique plus attractive et tenter de rattraper le temps perdu, le bonus est passé depuis mai dernier à 7.000 euros pour les particuliers et 5.000 euros pour les entreprises et collectivités. Une nouvelle prime de 2.000 euros a aussi été créée pour les véhicules hybrides rechargeables. Par ailleurs, le plan de soutien à l’automobile de 8 milliards d’euros présenté fin mai dernier par le Chef de l’Etat Emmanuel Macron est fortement conditionné pour les constructeurs automobiles à des efforts pour augmenter leurs productions dans l’électrique et l’hybride. Les bornes de recharge font aussi l’objet d’un effort particulier dans le plan de relance de septembre du Premier ministre Jean Castex, qui prévoit de doter le territoire national de 100.000 de ces bornes à la fin 2021; un objectif plus modeste, mais plus réaliste aussi.
Enfin, après le faux départ de 2010, un Airbus des batteries doit enfin voir le jour grâce à un investissement de 5 milliards d’euros, dont 1,3 milliard seront apportés par les gouvernements français, allemands, et d’autres pays de l’Union Européenne, et avec le soutien de la Commission européenne. Mais l’Europe va trainer cette décennie de retard comme un lourd boulet face à la concurrence asiatique déjà en ordre de bataille, dans la mesure où les batteries représentent environ le tiers du prix d’une voiture électrique et constituent donc un élément clé de son développement.
La motorisation électrique a pris un retard flagrant en France comparée à son essor sur certains marchés européens et asiatiques. Et les industriels, à l’exception de Renault avec sa seule ZOE (produite à Flins et qui réalise sur le premier semestre de l’année 40% des ventes de voitures électriques, selon le site automobile propre.com ) n’ont pas joué un rôle moteur, les Ion et C-Zero de Peugeot et Citroën étant restées très confidentielles. Peugeot vient seulement de franchir une étape dans l’électrique, avec des versions de 208/2008. Surtout, les constructeurs français ont raté le virage de l’hybride, concept auquel ils ne croyaient pas. Peugeot l’a abordé bien timidement avec ses 508 et 3008. Les deux groupes s’y engagent maintenant bien tardivement, comme Renault avec ses Captur, Megane Estate et Clio. Or, le relèvement des aides de l’Etat correspond à l’arrivée sur le marché de nouvelles versions décarbonées des deux groupes automobiles. Un hasard? Mais les constructeurs choisissant de produire ces nouveaux modèles dans d’autres usines de l’Union européenne, il est dommage que les subventions de l’Etat pour soutenir la transition énergétique ne profitent pas à l’emploi dans l’Hexagone. Dix ans après l’emballement artificiel du Mondial de 2010, le bilan n’est guère festif. Même si la mobilité électrique semble aujourd’hui sortir de sa torpeur,
Gilles Bridier