L’Union Européenne (UE) devra-t-elle se résoudre à importer à nouveau du gaz russe en grande quantité? C’est une question sans doute prématurée à fortiori quand même les espoirs d’un cessez-le-feu temporaire entre l’Ukraine et la Russie semblent s’éloigner. Pourtant, au-delà des postures morales, respectables, et de la guerre hybride menées de fait par Moscou contre les intérêts européens et français, la question se pose quand l’Europe se trouve prise en étau entre les Etats-Unis, qui ne se comportent plus en allié, et la Chine dont le rouleau compresseur industriel semble impossible à arrêter. L’Europe a plusieurs sérieux handicaps face à la concurrence des deux géants économiques, à commencer par des prix de l’énergie bien plus élevés. Ce que le fameux rapport Draghi de septembre 2024 sur les problèmes de compétitivité de l’Europe, déjà jeté aux oubliettes, mettait en avant.
La situation est d’autant plus compliquée pour les pays de l’UE que leurs besoins en gaz naturel ne vont pas disparaître par enchantement, à fortiori si la stratégie allemande, imposée à tous les pays de l’Union par les institutions européennes, de transition énergétique favorisant les renouvelables intermittents (éolien et solaire) reste inchangée. Rappelons que pour compenser l’intermittence de production des éoliennes et des parcs photovoltaïques, quand la météorologie est défavorable, les centrales à gaz offrent techniquement la meilleure solution. Evidemment, pas en termes d’émissions de gaz à effet de serre…
Le retour en catimini de l’option russe
Donc l’Europe a besoin de gaz. Elle a considérablement réduit ses importations russes, notamment depuis la destruction des gazoducs NordStream et s’est donc tournée vers les Etats-Unis pour s’approvisionner en GNL (Gaz naturel liquéfié) et vers le Qatar. L’Union Européenne s’est aussi engagée à ne plus acheter la moindre quantité d’énergie venant de Russie d’ici 2027. Mais passer de la dépendance russe à la dépendance américaine revient non seulement à payer le gaz bien plus cher mais présente aussi maintenant des risques politiques avec l’Amérique de Donald Trump. Et avec le Qatar, les négociations patinent sérieusement. L’Emirat exige des contrats de très long terme à prix garantis et son influence en Europe est jugée excessive et ses procédés plus que contestables (voir le scandale de corruption du QatarGate à Bruxelles).
D’où le retour en catimini de l’option du gaz russe dans les esprits et maintenant les propos. Il y a un mois au détour d’une conversation, Patrick Pouyanné, le Pdg de TotalEnergies, expliquait : « je ne serais pas surpris que deux des quatre gazoducs (soient) remis en service, pas quatre sur quatre ». Pour Patrick Pouyanné, l’industrie européenne n’a tout simplement aucune chance d’être compétitive sans un certain niveau d’approvisionnement en gaz russe par gazoducs qui permet de le payer à des prix nettement moins élevés que le GNL. « Il n’y a aucun moyen d’être compétitif par rapport au gaz russe avec du GNL provenant de n’importe où », avait alors affirmé M. Pouyanné. Il a encore ajouté plus récemment à l’agence Reuters : « nous devons diversifier nos sources d’approvisionnement, emprunter de nombreuses routes et ne pas nous reposer sur une ou deux d’entre elles… L’Europe ne reviendra jamais à importer 150 milliards de mètres cubes de Russie comme avant la guerre… mais je parierais peut-être sur 70 milliards de mètres cubes ».

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Fournisseurs de gaz naturel de l’Union européenne en 2024. Norvège 33,6%, Russie 18,8%, États-Unis 16,7%, Algérie 14,1%, Royaume-Uni 4,8%, Azerbaïdjan 4,2%, Qatar 4,1%, autres 3,7%. Source : Commission européenne.
Une voie étroite
Un sentiment partagé par Didier Holleaux, vice-président exécutif de Engie, qui estime également que « si l’Ukraine connaît une paix raisonnable, nous pourrions revenir à des flux de 60 milliards de mètres cubes, voire 70, par an, y compris pour le GNL »… avec la Russie.
Des acteurs économiques et politiques de plus en plus nombreux considèrent que le gaz russe est en quelque sorte un mal nécessaire pour tenter de sauver ce qui peut l’être de la compétitivité industrielle européenne. Tout en affirmant leur volonté de ne pas renouer avec Moscou et même de réarmer face à la menace russe, Berlin et Paris pourraient dans le cadre d’une « paix froide » en Ukraine accepter des échanges énergétiques limités sans contreparties politiques. Les flux pourraient augmenter, en particulier via le gazoduc Nord Stream 2 qui est réparable. Reste à savoir comment ce dilemme entre sécurité énergétique et crédibilité géopolitique sera finalement tranché.