C’est un paradoxe qui n’en est pas un. L’énergie solaire a dépassé l’an dernier pour la première fois le charbon dans la production d’électricité en Europe et presque au même moment la dernière usine de panneaux solaires française a annoncé mettre la clé sous la porte. Le développement rapide et spectaculaire du solaire en Europe est en fait en grande partie la conséquence de l’effondrement des prix des panneaux photovoltaïques fabriqués massivement par l’industrie chinoise. Un raccourci de ce que pourrait être sur le plan industriel le scénario catastrophe de la transition qui reviendrait à décarboner l’économie en la détruisant…
La bonne nouvelle est donc que non seulement l’énergie solaire a éclipsé le charbon l’an dernier dans l’Union Européenne (UE), mais qu’elle a été la source d’énergie ayant connu la croissance la plus rapide. C’est ce que montre une étude publiée il y a quelques jours par EMBER. Elle est résumée par l’infographie ci-dessous. Elle indique que l’électricité produite par le photovoltaïque a représenté 11% du total et le charbon 10%. Les renouvelables dans leur ensemble ont assuré l’an dernier 47% de la production électrique de l’UE, une augmentation impressionnante de 10% par rapport à l’année précédente. Elle l’est d’autant plus que la production d’électricité provenant des fossiles, gaz et charbon, est en baisse sensible. Une conséquence de la volonté de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de l’effondrement des fournitures de gaz par la Russie, d’une amélioration de l’efficacité énergétique, d’hivers cléments et de la désindustrialisation.
Production d’électricité dans l’Union Européenne en TWh. Pourcentage de la production d’électricité. Source : EMBER.
Mais il y a en contrepartie une mauvaise nouvelle économique, sociale et industrielle, la disparition de ce qui restait de l’industrie solaire européenne. Ainsi, Photowatt, la dernière usine française de production de panneaux solaires, qui se trouve à Bourgoin-Jallieu (Isère), va cesser toute activité. Elle compte 162 salariés. L’usine avait été rachetée en 2012 par EDF, sous la pression du gouvernement de l’époque.
Mais EDF Renouvelable vient de jeter l’éponge tandis que le site perd 20 à 30 millions d’euros par an. Le Comité Social et économique de Photowatt a été convoqué pour le 4 février. Cette date marquera le début du processus d’information et de consultation des organisations syndicales.
La start-up Carbon s’est bien portée candidate au rachat de l’usine en septembre. Mais fin novembre les négociations ont pris fin. Les syndicats de Photowatt ont rendu un avis négatif sur le projet de reprise, l’estimant bien trop fragile.
Le sacrifice de l’industrie solaire européenne, un choix politique
La disparition de l’industrie solaire en France et en Europe est en fait la conséquence d’un choix délibéré fait depuis des années par les gouvernements et les institutions européennes. Ils préfèrent accélérer l’équipement de l’Union en panneaux solaires, grâce à des équipements très bon marché, quitte à sacrifier l’industrie. Il y a encore un an, l’European Solar Manufacturing Council (ESMC), organisme qui représente les industriels des panneaux solaires et regroupe quelque 80 entreprises, appelait au secours dans une lettre ouverte adressée à la Commission européenne. Cette dernière avait répondu mollement… étudier des mesures. On les attend toujours.
Car la surproduction mondiale de panneaux est une bénédiction pour le Nouveau pacte vert (Green new deal) si cher à la Commission. Il conduit à un effondrement des prix et au passage à la disparition de l’industrie européenne incapable de faire face à la déferlante depuis trois ans d’importations chinoises à prix cassés. Pour les institutions européennes, accélérer l’équipement de l’Union en panneaux solaires, grâce à des équipements très bon marché, pourrait permettre de s’approcher des objectifs… impossibles de production d’électricité décarbonée renouvelable. Cela vaut bien le sacrifice final de l’industrie solaire européenne. Bruxelles veut déployer 750 GW de panneaux photovoltaïques dans l’Union d’ici 2030 !
La France n’est pas un cas particulier
En décembre 2022, la Commission a bien fait semblant de faire quelque chose et mis sur pied une Alliance européenne de l’industrie du solaire photovoltaïque (ESIA en anglais) pour « éviter de remplacer la dépendance à l’égard des combustibles fossiles russes par de nouvelles dépendances », avait alors expliqué avec conviction Thierry Breton, le Commissaire au marché intérieur. Cela n’a strictement servi à rien. D’autant plus que les Etats-Unis ont décidé eux de bloquer l’importation des panneaux photovoltaïques chinois en 2023, avec pour conséquence de voir cette production massivement excédentaire déversée en Europe.
Résultat Photowatt est au tapis, mais aussi le producteur néerlandais de panneaux Exasun et le fabricant autrichien de modules Energetic qui ont tous deux déposé le bilan. Le groupe suisse Meyer Burger a annoncé la fermerture de son usine allemande. Deux autres producteurs d’équipements solaires, Solarwatt et Heckert Solar, ont également annoncé qu’ils allaient baisser les bras. Ils sont incapables de faire face à leurs concurrents chinois et accumulent les invendus.
Alors il y a bien sûr des projets grandioses de renaissance du solaire en Europe, notamment en France. Deux méga usines de panneaux pourraient un jour être construites en France, celle de Carbon à Fos-sur-Mer dans les Bouches du Rhône et d’Holosolis à Hambach, en Moselle. Difficile d’imaginer que ses projets se concrétisent un jour…