<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Démanteler une centrale nucléaire, une activité industrielle d’avenir

25 mai 2020

Temps de lecture : 6 minutes
Photo : Bidons déchets nucléaires
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Démanteler une centrale nucléaire, une activité industrielle d’avenir

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La déconstruction d’une centrale s’étale sur plusieurs décennies et représente environ 15 % de l’investissement initial. Une filière industrielle monte en puissance, qui implique, pour des questions de sécurité, de maintenir intacte la culture du nucléaire en France. Le nucléaire français, souvent présenté comme un secteur d’excellence de l’industrie nationale, connaît des revers. Les critiques […]

La déconstruction d’une centrale s’étale sur plusieurs décennies et représente environ 15 % de l’investissement initial. Une filière industrielle monte en puissance, qui implique, pour des questions de sécurité, de maintenir intacte la culture du nucléaire en France.

Le nucléaire français, souvent présenté comme un secteur d’excellence de l’industrie nationale, connaît des revers. Les critiques enflent notamment à cause des polémiques sur le traitement des déchets. Mais malgré la scission d’Areva en trois entités, la vente d’Alstom Énergie à l’américain GE et les retards qui s’accumulent dans la construction de l’EPR de Flamanville, l’atome civil a malgré tout un long avenir en France. D’abord, les 58 réacteurs répartis sur 19 sites fournissent encore plus de 70 % de l’électricité produite dans l’Hexagone  (70,9 % en 2019). Car même si on ne peut la qualifier de propre, cette énergie décarbonée permet à la France de figurer parmi les pays les moins émetteurs de CO2 par habitant dans le monde (deux fois moins que l’Allemagne, par exemple). Ensuite, les centrales aujourd’hui en exploitation devront, un jour ou l’autre, être démantelées. Ce qui induit un plan de charge énorme pour les industriels du secteur.

Aussi, quel que soit le regard que l’on porte sur ce secteur d’activité et ce mode de production d’énergie, il est capital d’entretenir une culture du nucléaire qui consolide l’expertise acquise. D’abord, parce qu’elle est un gage de sûreté dans un domaine qui ne supporte aucun relâchement. Ensuite, parce que les opérations de démantèlement qui devront être menées sont à la fois sensibles, coûteuses et longues.

Pour un réacteur, le démantèlement constitue une phase de vie à part entière. Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), « il peut parfois être plus long que la durée de fonctionnement et nécessite une organisation adaptée, différente de l’exploitation ». Mais, source de dépenses et ne générant pas de valeur comme la production d’énergie, il a toujours fait figure de parent pauvre dans la chaîne du nucléaire. Des stratégies ont été échafaudées, mais les objectifs n’ont pas été tenus. Ainsi, par rapport à la stratégie sur vingt-cinq ans fixée par EDF en 2001, les retards se sont accumulés.

UN DÉCALAGE DE PLUSIEURS DÉCENNIES. Aujourd’hui, les réacteurs graphite-gaz de première génération (trois à Chinon, deux à Saint-Laurent-des-Eaux et une à Bugey) ainsi que des installations à Chooz, Brennilis et Creys-Malville (Superphénix), à l’arrêt, sont en cours de déconstruction ou en attente de l’être. Et face à l’engorgement, EDF a présenté en 2016 à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) une nouvelle stratégie conduisant à décaler « de plusieurs décennies », selon l’institution, la réalisation du programme de démantèlement de ces réacteurs !

Or, les enjeux les plus importants restent à venir, et la situation doit être appréhendée avec réalisme. La dernière loi de programmation pluriannuelle de l’énergie a fixé à 2035 (au lieu de 2025 auparavant) la réduction à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité. Ce qui implique la fermeture de 14 réacteurs en une quinzaine d’années, soit quasiment une fermeture par an. Un rythme qui laisse aujourd’hui dubitatif, si l’on considère que l’arrêt des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ne sera effectif qu’en2020 (l’un en février, l’autre en juin, a annoncé EDF) alors qu’il en est question depuis sept ans. Quoi qu’il en soit, la situation est inédite pour le nucléaire français. Or, avec les futures mises hors service de réacteurs, les activités de démantèlement vont monter en puissance. Ce qui suppose de mettre au point des procédés industriels plus efficaces et mieux maîtrisés. Et de sanctuariser les provisions qui doivent permettre le financement de ces opérations.

Le volet réglementaire a fait l’objet de nombreuses actualisations depuis un décret de novembre 2007. Les dispositions sont regroupées dans le guide de l’ASN de 2016 sur les modalités d’arrêt définitif, de démantèlement et de déclassement des installations nucléaires de base. Il est notamment spécifié que« le délai entre l’arrêt définitif d’une installation nucléaire et son démantèlement doit être aussi court que possible ». Par souci d’anticipation, il est également précisé que « le plan de démantèlement est établi dès la demande d’autorisation de création d’une installation nucléaire de base ». Afin de gagner du temps.

Mais dans le domaine nucléaire, la notion d’immédiateté qui prévaut aujourd’hui est relative. Ainsi, un exploitant qui prévoit d’arrêter le fonctionnement d’une installation doit en faire la déclaration deux ans avant la date d’arrêt prévue. Puis, il doit déposer un dossier de démantèlement trois ans avant le début des opérations, qui doivent être détaillées pour être soumises à l’accord de l’ASN. Un décret est ensuite promulgué. Lors de la phase de démantèlement, en plus des opérations sur le réacteur, peuvent être également réalisés le traitement des déchets, la destruction du génie civil, l’assainissement des sols contaminés… le tout devant aboutir au déclassement de l’installation permettant la levée des contrôles réglementaires… plusieurs décennies plus tard.

LES MILLIARDS D’EUROS SANCTUARISÉS D’EDF. Le volet financier est évidemment l’un des plus complexes à traiter. Les sommes sont astronomiques. En 2014, la Cour des comptes avait évalué à 22,5 milliards d’euros le montant des charges de démantèlement incombant à EDF pour l’ensemble de son parc nucléaire, plus environ 12 milliards pour l’ex-Areva et le CEA. Soit, il y a cinq ans, une facture théorique de quelque 35 milliards d’euros. Mais les hypothèses varient en fonction des méthodologies et des scénarios retenus. Par exemple en 2011, la Commission nationale d’évaluation du financement des charges de démantèlement (CNEF) était arrivée à un total de près de 38 milliards d’euros. Et, selon qu’on prenne par exemple en considération le coût des énergies de substitution au nucléaire ou non, la facture peut très vite varier de 1 à 10.

En regard, pour faire face, des réserves sont constituées. Ainsi, dans le rapport annuel 2018 d’EDF, les montants provisionnés atteignent 39,8 milliards d’euros en valeur actualisée, couvrant à la fois la déconstruction des centrales à l’arrêt et en exploitation, la gestion à long terme des déchets radioactifs ainsi que leur conditionnement, et la gestion du combustible usé. Ce qui, à la fin de 2018 et selon l’opérateur, porterait le taux de couverture réglementaire des provisions par des actifs dédiés (constitués d’obligations, de créances, de trésorerie, d’actions, d’actifs immobiliers et en infrastructures) à98,3 %, en ce qui le concerne.

Pour l’ASN, le coût du démantèlement d’un réacteur représenterait de l’ordre de 15 % de l’investissement initial. Mais il s’agit d’une moyenne. Et dans une comparaison internationale, les évaluations en France seraient plutôt sous-estimées. Globalement, selon les experts, les coûts de démantèlement sont fonction de la puissance du réacteur, mais aussi de la rapidité avec laquelle les opérations sont engagées après l’arrêt de l’exploitation. Les coûts dépendent aussi de l’âge des réacteurs et donc de la quantité de déchets qu’ils ont produits. Plus ce volume est important, plus le coût du recyclage des déchets est élevé. L’évacuation du combustible usé doit être réalisée en priorité, mais l’opération s’étale tout de même sur trois ans au moins.

Pour les autres déchets, EDF considère devoir traiter entre 7 000 et 8 000 tonnes d’éléments radioactifs (structures et matériels) pour un réacteur à eau pressurisée de 900 MWe, d’une masse totale d’environ 320 000 tonnes. Composés de pièces métalliques ou à base de béton, ces déchets se répartissent en trois catégories :« 65 % de déchets de très faible activité, 35 % de déchets faible et moyenne activité à vie courte et moins de 1 % de déchets de moyenne activité à vie longue », indique l’IRSN. L’Agence pour l’énergie nucléaire, organisation intergouvernementale, considère que la déconstruction des bâtiments représenterait le tiers de la facture globale, l’évacuation et le traitement des déchets également, alors que l’ingénierie, la sécurité et le réaménagement du site interviendraient pour 10 % chacun.

QUELLE DURÉE DE VIE POUR LES CENTRALES ? Il convient aussi de prendre en compte le montant des investissements nécessaires pour créer des capacités de production d’énergie susceptibles de se substituer à la fermeture des plus anciennes. Ou pour favoriser le développement des économies d’énergie avec le même objectif. La question se pose aujourd’hui avec d’autant plus d’acuité que le gouvernement doit statuer sur la durée de vie des centrales en cours d’exploitation. Elle pourrait être prolongée au-delà des quarante années qui constituent aujourd’hui un butoir. Il est certain qu’un allongement étalerait les dépenses de démantèlement, mais contraindrait l’exploitant EDF à des opérations de maintenance d’autant plus lourdes qu’il doit mettre ses centrales aux normes post-Fukushima. Or, alors qu’EDF évalue le coût du « grand carénage » à 51 milliards d’euros en dix ans, la Cour des comptes  estime que la prolongation du parc actuel des centrales jusqu’à 2030 impliquera100 milliards d’euros d’engagements financiers. L’allongement de la durée de vie de tous les réacteurs n’est pas forcément la solution la plus rationnelle au plan financier.

EN TÊTE DES RISQUES INDUSTRIELS. Autant d’arbitrages qui vont devoir être rendus dans un avenir proche, en prenant également en considération les évolutions sociétales qui se traduisent par un recul de l’acceptation du nucléaire dans l’opinion publique. Un sondage réalisé en 2018par l’IRSN établit que, même si la perception d’un risque nucléaire arrive loin derrière le terrorisme, le chômage, le changement climatique ou les soins médicaux parmi les craintes des Français, les centrales nucléaires arrivent en tête des risques industriels. Les responsables politiques ne peuvent ignorer ces évolutions. Sans parler de l’impossibilité à bâtir un consensus sur le stockage des déchets radioactifs dans des couches géologiques profondes, suivant la méthode que l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) veut mettre en œuvre avec le projet Cigeo (centre industriel de stockage géologique) à Bure, dans le département de la Meuse, et qui se heurte à de fortes oppositions.

Par ailleurs, des changements de cap induisent des incertitudes qui compliquent la visibilité sur l’avenir du nucléaire. Ainsi cet été, l’abandon du projet de réacteur à neutrons rapides Astrid qui, comme feu Superphénix, aurait dû être alimenté par le combustible usé extrait des centrales actuelles et donc permettre le recyclage des  matières radioactives, remet en question les options jusque-là retenues sur les objectifs d’un réacteur de quatrième génération, et la destination du combustible usé. Sans solution pour valoriser ces matières dont l’Andra tient un inventaire annuel, elles doivent alors être requalifiées en déchets. Se pose alors la question de leur gestion, pour laquelle aucune décision alternative n’a été arrêtée. Une énorme pierre dans le jardin du nucléaire !

Quoi qu’il en soit, et si l’on se projette sur le long terme, le démantèlement des installations nucléaires est irrémédiablement appelé à se structurer pour faire face à la croissance des besoins. Une croissance dont le rythme sera déterminé par les décisions prochaines sur la durée de vie des centrales.

Gilles Bridier

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