La reprise brutale de l’économie mondiale cette année après la récession planétaire née de la pandémie a désorganisé bon nombre de filières industrielles, agricoles et énergétiques. Les cours des matières premières, des produits agricoles et de l’énergie se sont envolés. Des pénuries de composants électroniques pèsent aujourd’hui aussi bien sur la production d’équipements informatiques, d’automobiles et même de produits électroménagers. Certains pays manquent aujourd’hui de gaz naturel et surtout… de charbon. La Chine est ainsi victime de blackout répétés depuis plusieurs mois faute de produire suffisamment d’électricité, notamment à cause de restrictions d’approvisionnement en charbon des centrales.
L’AIE fait le même constat
De fait, la demande d’électricité dans le monde progresse très rapidement, ce qui en soi est une bonne chose dans la logique de la transition. Mais cela se traduit par une progression de la consommation d’énergies fossiles et notamment de charbon, faute de productions renouvelables suffisantes et du fait de leur intermittence, ce qui n’est pas cette fois une bonne chose pour la transition.
Le constat est fait depuis plusieurs semaines et l’Agence internationale de l’énergie (AIE) est venue le confirmer la semaine dernière. Selon ses calculs, la demande d’électricité devrait croître de 5% en 2021, une hausse dont près de la moitié sera satisfaite par des combustibles fossiles, du gaz mais surtout du charbon. De quoi «porter les émissions de CO2 du secteur électrique à des niveaux record en 2022», souligne le rapport semestriel sur le marché électrique de l’AIE. Les émissions de CO2 du secteur électrique devraient ainsi augmenter de 3,5% en 2021
L’Asie, avant tout la Chine et l’Inde, sont les moteurs de l’augmentation de la demande d’électricité. Elle devrait donc progresser de 5% cette année et encore 4% l’an prochain après avoir reculé de 1% en 2020. La part d’origine renouvelable (hydraulique, éolien, solaire, géothermie…) devrait s’accroître de quelques 8% en 2021 et 6% en 2022, estime l’Agence internationale de l’énergie. Mais cela ne devrait couvrir qu’une moitié de la demande nouvelle.
«Augmenter massivement les investissements»
Toujours selon l’AIE, environ 45% de cette demande supplémentaire sera satisfaite par des énergies fossiles (40% en 2022), le reste par de l’énergie nucléaire. Conséquence: les émissions de CO2 du secteur électrique, après avoir décru au cours des deux dernières années, devraient augmenter de 3,5% en 2021 et 2,5% en 2022, pour atteindre un niveau record.
Le principal problème provient des centrales alimentées au charbon. La consommation de ce carburant fossile, qui est de loin le plus émetteur de CO2, devrait augmenter de près de 5% cette année et encore de 3% en 2022 d’après le rapport de l’AIE. La consommation de gaz naturel dans les centrales thermiques devrait augmenter bien plus faiblement de 1% cette année et près de 2% l’an prochain après avoir baissé de 2% en 2020. La croissance plus faible du gaz par rapport au charbon tient au fait, selon l’AIE, qu’il a un rôle assez limité dans la production d’électricité en Asie tandis qu’il fait face en Europe et en Amérique du nord a une concurrence plus forte des renouvelables.
«L’électricité d’origine renouvelable croît de façon impressionnante en de nombreux endroits du monde, mais pas assez encore pour nous placer sur la voie du zéro émission net au milieu du siècle», affirme Keisuke Sadamori, directeur Marchés et sécurité énergétique au sein de l’AIE. «Pour passer sur une trajectoire durable, nous devons augmenter massivement les investissements dans les technologies propres, en particulier les renouvelables et l’efficacité énergétique».
En fait, le scénario de l’AIE rendu public il y a deux mois pour parvenir en 2050 à ramener à zéro les émissions nettes de CO2 est d’ores et déjà mis à mal. Dans ce scénario, les trois quart de la réduction des émissions de gaz à effet de serre entre 2020 et 2025 se font dans la production d’électricité. Il faut notamment que pendant cette période l’utilisation du charbon dans les centrales baisse en moyenne de plus de 6% par an. Il se passe exactement le contraire.
Si le monde veut atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, il doit commencer par réduire ses émissions dans le secteur électrique, le plus simple à décarboner. Pour l’AIE, cela signifie que la production issue du charbon, combustible le plus réchauffant de tous, doit baisser de plus de 6% par an en 2020-25; or à ce stade elle devrait croître de 5% cette année et de 3% en 2022, estime l’Agence.