Cela peut sembler contre intuitif et même anathème pour ceux qui nous promettent l’apocalypse climatique dans quelques années. Mais l’urgence climatique ne doit pas être un alibi pour faire n’importe quoi dans la précipitation en matière de transition énergétique. Deux problèmes se posent qu’on ne peut balayer d’un revers de main.
Tout d’abord, détruire l’ancienne économie avant d’avoir construit la nouvelle est le meilleur moyen de ne plus pouvoir avancer. C’est un paradoxe, mais construire les équipements et les moyens de la transition nécessite des carburants fossiles et pour encore plusieurs décennies. Créer des pénuries et des envolées de prix du pétrole et du gaz ne va pas faire basculer plus rapidement vers des sources d’énergie bas carbone pour la simple et bonne raison que les moyens de substitution à grande échelle n’existent pas encore sauf dans le domaine de la production électrique qui représente moins d’un quart de la consommation totale d’énergie.
Des exigences contradictoires
L’autre sérieux problème consiste à concilier la transition et la sécurité énergétique dont on peut mesurer aujourd’hui le caractère essentiel après l’avoir longtemps sous-estimé voire nié. Si cela aboutit à remettre en service des centrales à charbon, comme l’an dernier dans de nombreux pays européens, la contradiction saute aux yeux… Tout comme une dépendance devenue bien trop dangereuse. En 2021, le gaz russe représentait 42% des importations de l’Union Européenne (EU) qui dépendait de la Chine pour 64% de ses importations d’éoliennes, pour 89% de ses importations de panneaux solaires et pour 43% de ses importations de véhicules électriques. Mais il faut bien distinguer deux natures très différentes d’importations. Celles qui concernent les équipements et celles qui concernent les consommations quotidiennes. Les premières ont un impact sur le développement et la capacité d’investir, les secondes sur l’activité immédiate.
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a rappelé brutalement une réalité un peu trop mise de côté, il est impossible techniquement et économiquement de remplacer en quelques années les combustibles fossiles par des énergies bas carbone. Et par ailleurs, le pétrole et le gaz sont indispensable à la transition en étant nécessaires à la fabrication d’éoliennes ou de panneaux solaires par exemple, ou en générant pour les grandes entreprises énergétiques les liquidités nécessaires pour accroître les investissements dans les technologies et les solutions à faible émission de carbone. Il s’agit tout simplement d’un trilemme: réussir à concilier la sécurité et l’abondance de l’approvisionnement en énergie, à des prix acceptables socialement tout en permettant dans le même temps d’augmenter les investissements dans les solutions bas carbone.
Déséquilibre entre offre et demande
Des demandes contradictoires comme le reconnait Michael Cohen, le chef économiste de BP (British Petroleum). «L’année 2022 nous a montré que faire de la décarbonation notre principale priorité conduit à un déséquilibre entre l’offre et la demande», explique-t-il à l’agence Bloomberg. Il estime qu’il faut trouver un équilibre compliqué entre la sécurité énergétique, des prix accessibles et un avenir décarboné. «Si vous accordez trop d’importance à l’un des trois pieds du tabouret, vous finissez par tomber», ajoute-t-il.
Autre sérieux problème, les moyens nécessaires à la décarbonation sont la plupart du temps grandement sous-estimés. L’Allemagne en apporte une preuve éclatante qui doit construire en quelques années des moyens de production et de transport d’électricité renouvelable et d’hydrogène vert (fabriqué avec de l’électricité décarboné) tellement massifs que cela semble totalement irréaliste.
Un «modèle» allemand totalement irréaliste
Pas moins de 250 gigawatts de nouvelles capacités de production électriques devront être installés d’ici 2030, dans sept ans, -la demande devrait alors être supérieure d’environ un tiers à ce qu’elle est actuellement- selon les estimations du régulateur de réseau allemand et du Think tank Agora Energiewende. Dans le même temps, les trois dernières centrales nucléaires du pays ont été arrêtées définitivement et Berlin annonce accélérer la sortie du charbon d’ici 2030. Après avoir pourtant sorti de la naphtaline l’année dernière, bon nombre de centrales à charbon pour faire face à la crise énergétique née de l’invasion de l’Ukraine.
En tout cas, le programme allemand nécessite dans les sept prochaines année l’installation de panneaux solaires couvrant l’équivalent de 43 terrains de football et de 1.600 pompes à chaleur par jour! Il a également besoin de construire par semaine 27 éoliennes terrestres et quatre éoliennes marines…
Et puis l’Allemagne doit trouver dans le même temps le moyen de produire de l’électricité et de ne pas voir son système s’effondrer quand il n’y a pas de vent et de soleil. Alors Berlin est contraint de revenir aux énergies fossiles et de construire un parc de centrales à gaz de secours pour remplacer les centrales à charbon et qui un jour éventuellement pourront fonctionner avec de l’hydrogène. Mais il est extrêmement difficile de trouver des investisseurs pour se lancer dans de tels projets qu’il est presque impossible de rentabiliser.