Selon un dicton du sud de l’Allemagne « Le cépage est la mère du vin, le sol est son père et le climat est son destin ». Quoi de plus juste ! Cependant, pour compléter ce triptyque qui décrit en partie le « terroir » viticole, il faut ajouter un autre acteur : le viticulteur qui choisit les cépages, travaille le sol et la vigne dans ses parcelles puis les raisins et le vin au chais. Il faut considérer également l’Homme en général qui, lui, détient les rênes du destin ; comprendre celles du climat et de son évolution à moyen et long terme par le contrôle (ou non) des émissions de gaz à effet de serre qui contribuent au changement climatique.
Si la vigne est donc une construction humaine, celle-ci a également contribué en retour à façonner l’imaginaire de l’homme, à rythmer sa vie et notamment sa façon de segmenter le temps qui passe. Ainsi, à titre d’exemple, on peut rappeler en France que le calendrier révolutionnaire créé en 1792 a nommé Vendémiaire (de latin vindemia, signifiant vendange), le mois allant du 22 septembre au 21 octobre. Dans la Rome Antique, la vigne et le vin faisaient l’objet des fêtes romaines Vinilia, et Vinilia Rustica plus particulièrement marquait le début des vendanges.
Les dates des vendanges : un bon indicateur climatique
La vigne, à travers les dates de vendanges, est également depuis longtemps un bon indicateur du climat. En effet, l’obligation ancienne de publier un ban des vendanges pour commencer à vendanger nous permet de disposer de longues séries de données de dates de vendanges comme celle publiée dès le XIXème siècle par l’archiviste de la ville de Dijon Joseph Garnier et bien connue des historiens, comme Emmanuel Le Roy Ladurie qui l’indique dans son livre sur l’Histoire du climat depuis l’an mil.
Dates de vendanges en Bourgogne au 15ème siècle (1372-1500). D’après Le Roy Ladurie (1983). Fourni par l’auteur.
Cette série, longue d’environ 130 ans (de l’an 1372 à l’an 1500 pour être précis), indique une date moyenne de vendange à la fin du mois de septembre avec des variations d’un mois traduisant la variabilité annuelle du climat : les vendanges les plus précoces (début septembre) étant associées aux années les plus chaudes et/ou sèches et les plus tardives (fin octobre) associées à des années fraiches et/ou humides. Cette même série a été utilisée depuis pour reconstruire les variations passées des températures de l’été. Plus évocateur, cette donnée figure aussi, aux côtés des dates de floraison du cerisier au Japon, dans le sixième rapport du GIEC parmi les indicateurs de changements globaux que peut révéler la végétation à l’échelle mondiale.
Changement dans de longues séries végétatives : a) dates de pleine floraison du cerisier à Tokyo, Japon et b) dates de vendanges à Beaune, France. Extrait du sixième rapport du GIEC, Fourni par l’auteur.
Le changement climatique modifie les dates de vendanges
Les dates de vendanges ont avancé en moyenne de 2 à 3 semaines au cours des 40 dernières années. Mais le réchauffement provoque une avancée de tous les stades de croissance de la vigne et de maturation des raisins et non sans conséquences. La sortie plus précoce des premiers bourgeons que génère le réchauffement va augmenter la vulnérabilité de la plante face au gel qui peut toujours intervenir. C’est d’ailleurs le risque climatique qui génère le plus d’inquiétude chez les viticulteurs. La période de maturation des raisins (qui correspond au mois qui précède les vendanges) qui, elle, est décalée sur une période plus chaude (août au lieu de septembre) va entraîner une modification de la composition des raisins et donc des vins. Ainsi, la teneur en alcool potentiel qui augmente et l’acidité qui baisse fragilisent la structure, l’équilibre aromatique des vins et leur conservation.
Effets observés sur la vigne (dates des vendanges) et la composition des raisins et des vins. Extrait des résultats du projet LACCAVE. Fourni par l’auteur.
Des stratégies d’adaptation à des températures plus élevées existent mais jusqu’à un certain niveau de réchauffement. C’est par exemple le changement de matériel végétal (porte-greffes et cépages avec une maturité plus tardive, plus tolérants à la sécheresse et la chaleur…), le changement de pratiques viticoles pour favoriser la résilience des vignes (enherbement entre les rangs, allègement de la densité de plantation, agroécologie…) ou encore l’ajustement de processus œnologiques (choix des levures de fermentation, utilisation de techniques de désalcoolisation ou d’acidification…). Une stratégie d’adaptation dite « nomade » fait aussi évoluer les plantations de vignes plus en altitude, sur les versants nord (ou sud pour l’hémisphère sud) ou en direction de la mer ou de l’océan pour trouver de la fraîcheur.
Selon les projections climatiques (variant selon les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre et les horizons temporels), certaines régions seront particulièrement éprouvées tandis que d’autres pourraient émerger. En France, certains vignobles du sud de la France enregistrent de plus en plus fréquemment des températures supérieures à 30 °C voire 35 °C qui constituent un seuil thermique de stress extrême pour la vigne perturbant le bon fonctionnement physiologique, en provoquant notamment un blocage de maturité comme ce fut le cas en 2022. Soulignons d’après les projections issues d’un scénario à « émissions intermédiaires », que l’année 2022 sera une année climatique « moyenne » à l’horizon 2060. En revanche le réchauffement favorise une migration des aires climatiques propices à la viticulture vers le nord dans l’hémisphère nord ou vers le sud dans l’hémisphère sud.
Emergence de nouvelles régions viticoles (en bleu) d’après les simulations de 17 modèles climatiques globaux sous les conditions du scénario RCP8.5. D’après Hannah et coll., 2013. Fourni par l’auteur.
Vigne en Bretagne : marqueur régional de l’ampleur du changement climatique
Dans ce contexte, la région Bretagne, plus connue du grand public pour la production de cidre, voit la culture de la vigne se développer sur son territoire. Et ce, avant tout, du fait d’un changement législatif avec un décret de 2015 modifiant le régime des droits de plantation à l’échelle de l’Europe. Ce texte permet de fait la plantation de vignes à but commercial dans des régions historiquement non viticoles.
Mais le changement climatique favorise également les conditions thermiques pour une production de crus bretons. Même si on ne peut pas réduire les climats de la Bretagne à celui de Rennes ou ceux du vignoble bordelais à celui de Bordeaux, la comparaison des conditions thermiques des deux villes depuis le milieu du siècle dernier peut être provoquante dans ce contexte, mais elle est éloquente pour saisir l’ampleur du changement climatique en Bretagne.
Températures moyennes annuelles (1946-2023) à Rennes et Bordeaux. Extrait d’une présentation au colloque « le vin breton : la renaissance d’un vignoble », La cité du Vin à Bordeaux, Bonnardot, 2024. Fourni par l’auteur.
La température moyenne annuelle de Rennes sur la période 1991-2020 (12,4 °C) est similaire à celle de Bordeaux sur la période historique 1951-1980 (12,5 °C). Les valeurs de Rennes en 2022 (13,8 °C) et 2023 (13,4 °C) n’ont pas été atteintes à Bordeaux sur cette période historique. Dans le futur, si les rênes du destin (du climat) ne sont pas tenues, « la moyenne annuelle à Rennes atteindrait 15,3 °C, celle qu’on rencontre par exemple actuellement à Coimbra au centre du Portugal » résumait ainsi le géographe climatologue Vincent Dubreuil.
Ces conditions thermiques en Bretagne permettraient de vendanger le Chardonnay avant le 7 septembre et le Chenin avant le 30 septembre avec un taux de sucre de 190g/L nécessaire à la production de vins blancs de qualité.
En attendant, on a pu enregistrer les premières dates de vendanges à but commercial en Bretagne en 2022 et 2023, qui se sont étalées sur le mois de septembre en fonction des endroits et des cépages. Celles de 2024, comme c’est le cas ailleurs dans les régions viticoles de France, s’annoncent légèrement plus tardives… mais toujours dans la normale historique des régions viticoles traditionnelles.
Valérie Bonnardot Maitre de Conférences en géographie environnementale – climatologie, Université Rennes 2
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.