L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a rendu public lundi 24 mars son traditionnel rapport annuel baptisé Global Energy Review 2025 qui est en fait un bilan de l’année 2024. Il montre notamment une accélération sensible l’an dernier de la croissance de la demande d’énergie dans le monde. La consommation d’énergie a ainsi augmenté de 2,2% en 2024, presque deux fois plus que la moyenne des dix années précédentes (1,3%), entre 2013 et 2023, marquées il est vrai par la récession mondiale de 2020 lors de la pandémie de coronavirus. L’AIE souligne que la progression de la demande d’énergie « du fait de températures record, de l’électrification et à de la numérisation » a été satisfaite avant tout par une augmentation de la production d’électricité (+4,3%) et se félicite par ailleurs de la baisse de la part relative du pétrole, passé pour la première fois depuis des décennies sous les 30% de la consommation d’énergie primaire. Elle souligne également que les renouvelables ont satisfait 38% de l’augmentation de la demande d’énergie.
Mais l’AIE dont le siège est à Paris (voir la photographie ci-dessus) est devenue depuis plusieurs années une organisation militante dont les projections et les modèles tiennent souvent des vœux pieux. Dans la présentation de son bilan 2024, elles déforme ainsi un peu la réalité puisque si la part relative du pétrole a bien baissé, sa consommation dans le monde a néanmoins augmenté en valeur absolue (+0,8%). L’augmentation de la consommation de pétrole a représenté 11% de celle de l’ensemble de la demande d’énergie, celle de charbon 15% et celle de gaz naturel 28%. Au total, les combustibles fossiles ont satisfait 54% de la progression de la demande d’énergie, plus que les renouvelables, et il faut y ajouter le nucléaire (8%).
Le principal moteur de cette augmentation de la consommation de combustibles fossiles a été, sans surprise, la Chine, suivie de l’Inde. C’est particulièrement vrai pour le charbon, dont la Chine consomme à elle seule plus que tous les autres pays au monde réunis. Et ironie du sort, 24 heures seulement avant la publication du rapport annuel de l’AIE, le ministère indien des mines et du charbon, G. Kishan Reddy, a publié un message sur X pour célébrer le fait que son pays a pour la première fois de son histoire produit sur son sol plus d’un milliard de tonnes de charbon…
Pour remettre les choses en perspective, ce que l’AIE ne fait plus, l’équation de la transition énergétique consiste à développer suffisamment rapidement les sources d’énergies bas carbone pour à la fois suivre la progression de la demande et dans le même temps se substituer aux énergies fossiles. Mais si la consommation d’énergie augmente trop rapidement, le développement des renouvelables et du nucléaire ne peut pas être assez rapide et la transition n’a pas lieu. L’humanité ne fait qu’ajouter des sources d’énergie à celles existantes… comme elle l’a toujours fait. L’an dernier, elle a consommé des niveaux records de pétrole et de charbon, mais aussi… de bois.
Décorrélation entre émissions de CO2 et croissance économique
Les émissions mondiales de CO2 liées à l’énergie ont augmenté l’an dernier de 0,8% à 37,8 milliards de tonnes en étant assez nettement décorrélées de la croissance économique mondiale (+3,2%). Selon les calculs de l’AIE, le déploiement du solaire, de l’éolien, du nucléaire, des véhicules électriques et des pompes à chaleur depuis 2019 a permis au total d’éviter 2,6 milliards de tonnes de CO2 par an, l’équivalent de 7% des émissions mondiales. Et les émissions de CO2 ont continué à baisser dans les économies développées de 1,1% pour atteindre 10,9 milliards de tonnes l’an dernier, leur niveau d’il y a 50 ans et cela même si le PIB cumulé de ces pays est aujourd’hui trois fois plus important. Mais il faut aussi remarquer que l’augmentation annuelle des émissions de CO2 provenant de l’énergie se fait à un rythme continu et presque inchangé depuis les années 1950. Ceux qui annonçaient et espéraient que la baisse des émissions en 2020, liée à la pandémie du Coronavirus, allait marquer une nouvelle tendance se sont trompés.
« Ce qui est certain, c’est que la consommation d’électricité augmente rapidement, entraînant avec elle la demande mondiale d’énergie, au point d’inverser des années de baisse de la consommation dans les économies avancées. En conséquence, la demande de tous les principaux combustibles et technologies énergétiques a augmenté en 2024, les énergies renouvelables couvrant la plus grande part de la croissance, suivies par le gaz naturel. La forte expansion de l’énergie solaire, de l’énergie éolienne, de l’énergie nucléaire et des véhicules électriques réduit de plus en plus les liens entre la croissance économique et les émissions », explique Fatih Birol, le directeur exécutif de l’AIE. Déjà à la fin de l’année dernière, l’AIE soulignait que la consommation d’électricité mondiale augmentait trop vite…
Les chiffres clés de 2024
Croissance de la consommation d’énergie, des économies et de la demande d’électricité. Part des différentes sources d’énergie dans la progression de la demande en 2024 (13,9 exajoules). Source : AIE.
Les économies émergentes ont représenté plus de 80% de la croissance de la demande mondiale d’énergie. En Chine, l’augmentation de la consommation d’énergie s’est ralentie à moins de 3% en 2024, la moitié du taux de 2023. Mais la Chine a tout de même connu la plus forte croissance de la demande d’énergie en termes absolus de tous les pays en 2024. L’Inde a connu la deuxième plus forte augmentation de la demande d’énergie en termes absolus, plus que celle de toutes les économies développées réunies.
Les économies développées ont également connu un retour de l’augmentation de la consommation d’énergie, une augmentation de la demande de près de 1%. Les États-Unis ont connu la troisième plus forte croissance de la demande en termes absolus en 2024, après la Chine et l’Inde. Et l’Union européenne a renoué avec la croissance pour la première fois depuis 2017, si on ne tient pas compte du rebond post-Covid en 2021.
La Chine et l’Inde mènent le bal
Evolution de la consommation d’énergie par pays et par régions en 2024 (en pourcentages et en exajoules). Source AIE.
« L’utilisation de l’électricité croît rapidement, à tel point que cela a suffi à inverser la courbe après des années de consommation énergétique en baisse dans les économies avancées », souligne Fatih Birol. Les renouvelables et le nucléaire ont fourni 80% de l’électricité supplémentaire consommée en 2024. Ensemble, ces deux sources d’énergie représentent pour la première fois 40% de la production totale d’électricité dans le monde.
L’AIE voit dans ce boom électrique la conséquence d’une demande accrue de refroidissement en raison de températures record et des besoins croissants de l’industrie, de l’intelligence artificielle et de l’électrification des transports. Une voiture sur cinq vendues dans le monde est désormais électrique. Les ventes de véhicules électriques ont augmenté de plus de 25% en 2024, essentiellement en Chine.
Une autre tendance de fond à souligner est le ralentissement des progrès faits en matière d’efficacité énergétique. Après avoir progressé à un rythme moyen d’environ 2% par an entre 2010 et 2019, les gains ont ralenti à 1,2% par an entre 2019 et 2023 et à seulement 1% en 2024. « Les principales raisons de ce récent ralentissement sont la croissance post-Covid à forte intensité d’investissement et de fabrication dans les grandes économies émergentes et en développement telles que la Chine et l’Inde, la hausse de la demande d’énergie due aux températures extrêmes et une tendance à une faible croissance de la production hydroélectrique qui n’a été que partiellement inversée en 2024, entraînant une plus grande consommation de combustibles moins efficaces dans certaines régions », écrit l’AIE. Il faut y ajouter le fait que les gains les plus faciles en matière d’efficacité énergétique ont été réalisés et que pour en faire d’autres, il faut des investissements plus importants.