Le prix du baril de qualité Brent de la mer du Nord a frôlé lundi 7 mars le seuil des 140 dollars avant de redescendre autour de 123 dollars en fin de journée. Il s’est approché ainsi de record absolu de juillet 2008 à 147,50 dollars. La raison en est simple, les conséquences de l’invasion de l’Ukraine qui se traduisent par un chute des exportations de pétrole russe et les menaces d’embargo sur le pétrole russe venues des Etats-Unis et de l’Europe. Mais ces menaces se sont éloignées, ce qui explique le reflux des prix du pétrole en séance, puisque l’Allemagne notamment s’y oppose.
Depuis l’attaque de l’Ukraine par les troupes russes, le Brent a gagné plus de 30%. L’autre qualité de référence du marché pétrolier, le baril de West Texas Intermediate (WTI), a lui dépassé 130 dollars avant de redescendre autour de 122 dollars.
Sanctions ou pas, les négociants et les compagnies ne veulent plus acheter de pétrole russe sauf… Shell
Le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken a déclaré dimanche que les États-Unis et l’Union européenne discutaient «très activement» de la possibilité d’interdire les importations de pétrole en réponse à l’invasion de l’Ukraine. S’il s’agit seulement de discussions et si le pétrole russe ne fait pas l’objet de sanctions, les exportations russes ont beaucoup de mal à trouver preneur. Les négociants et les compagnies ne veulent tout simplement plus acheter des cargaisons de pétrole russe de crainte de se retrouver en violation de nouvelles sanctions ou de crainte pour leurs images et leurs réputations. Même les acheteurs chinois ne se risquent plus à acheter des barils russes.
La seule exception est Shell qui après avoir annoncé le 1er mars couper les liens avec Gazprom et Salym Petroleum n’a pas résisté, selon le Wall Street Journal, à l’offre russe d’acheter 100.000 tonnes de pétrole au prix cassé de 28,50 dollars le baril. Si Shell reste une exception et si les autres négociants et compagnies sont moins hypocrites, les analystes estiment que les cours du baril pourraient s’installer à plus de 150 dollars.
Selon Energy Intelligence, les exportations russes de pétrole ont baissé la semaine dernière d’un tiers. La Russie est le deuxième producteur mondial de pétrole derrière les Etats-Unis et devant l’Arabie Saoudite avec 9 millions de barils par jour en moyenne l’an dernier dont 5 millions exportés. Les Etats-Unis étaient à 11,6 millions de barils par jour et la production mondiale s’est établie à 96 millions de barils par jour. Compte tenu du poids de la Russie sur les marchés pétroliers, les autres producteurs ne pourront pas compenser une grande partie des exportations russes manquantes. L’Europe importait environ 2,5 millions de barils de pétrole de Russie par jour et les Etats-Unis quelque 700.000 barils. « Les pays de l’Union européenne les plus vulnérables sont l’Allemagne, les Pays-Bas et la Pologne. Ils représentent 48% de toutes les exportations de pétrole brut en provenance de Russie », détaille la Saxo Bank dans une analyse.
Une baisse attendue des capacités de production
Une solution pourrait être en partie trouvée en réintégrant rapidement l’Iran dans le marché mondial et en accélérant les négociations sur le nucléaire avec la République islamique… alliée de Moscou. Rien n’est moins sûr. Et puis l’Iran ne pourrait pas apporter plus de 1,2 à 1,3 million de barils supplémentaires par jour. Une autre possibilité serait de voir les producteurs américains de pétrole de schiste augmenter leur production plus rapidement que prévu. Elle pourrait aussi s’accroître de 1,2 à 1,3 million de barils par jour d’ici la fin de l’année. Mais les petits groupes pétroliers privés américains, échaudés par les faillites de 2020 quand les prix du pétrole se sont effondrés, ne sont pas très pressés d’augmenter leur production. Ils préfèrent engranger des marges confortables et reconstituer leur trésorerie sans investir.
Le marché pétrolier est en fait confronté à deux difficultés. Celle conjoncturelle, il faut l’espérer, qui résulte de l’invasion de l’Ukraine et une autre plus structurelle illustrée par la difficulté des pays producteurs à augmenter rapidement leur production pour suivre la demande. Les 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et leurs 10 partenaires (Opep+) ont progressivement augmenté leurs objectifs de production pour faire face à l’augmentation de la demande. Mais de nombreux pays producteurs peinent à atteindre leurs quotas. Les investissements dans leur outil de production ont été trop faibles depuis de nombreuses années.
Le consommateur touché de plein fouet et l’Etat en profite…
Cela pose à plus long terme le problème d’une baisse des capacités de production de pétrole dans le monde et des conséquences durables sur les prix du baril. Le ministre du pétrole saoudien, Abdulaziz ben Salman, a mis en garde il y a quelques semaines contre un risque de crise énergétique durable dans les prochaines années du fait de l’effondrement des investissements pétroliers. Il estime que la production mondiale pourrait baisser de 30 millions de barils par jour (environ 30%) d’ici 2030. Avec un déclin de la production des champs existant aujourd’hui dans le monde de 4% à 8% par an, les investissements nécessaires pour seulement stabiliser la production sont considérables. Et ils ne sont pas au rendez-vous.
Selon l’agence Bloomberg, les investissements dans le pétrole et le gaz ont plongé de 30% en 2020 à 309 milliards de dollars et ont seulement remonté un peu cette année. Il faudrait qu’ils reviennent quasiment à leurs niveaux d’avant la pandémie, de 525 milliards de dollars par an, pendant le restant de la décennie pour pouvoir répondre à la demande estiment le think tank the International Energy Forum et le consultant IHS Markit. Les grandes compagnies pétrolières occidentales, à l’image de Royal Dutch Shell, BP ou TotalEnergies réduisent leurs investissements dans le pétrole et se tournent en priorité vers les gaz et les renouvelables.
En tout cas, le consommateur subit de plein fouet les conséquences de l’envolée des prix du baril. Le prix du gazole est passé maintenant au-dessus de celui de l’essence à 1,88 euro le litre contre 1,87 pour le SP95. Le gazole a gagné plus de 14 centimes le litre en moyenne la semaine dernière en France et celui de l’essence SP95 7,5 centimes. Ils ont augmenté respectivement de 37% et de 25% en un an. Une tendance qui ne peut que se poursuivre. Le gouvernement se dit prêt à prendre «davantage» de mesures de soutien au pouvoir d’achat des ménages, mais il s’agira de réponses «ciblées», a indiqué lundi le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Il a ajouté: «nous allons devoir tous faire un effort. Tous prendre conscience que nous entrons dans un monde nouveau».
Le paradoxe est que l’Etat profite aujourd’hui de la hausse des prix à la pompe. Quand ils montent, il encaisse plus de TVA et la touche même deux fois. Elle est appliquée une première fois avant la TICPE (Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) et une seconde fois sur le montant incluant la taxe. Le consommateur paye de la TVA sur les taxes… Un véritable effet démultiplicateur de la hausse pour les recettes de l’Etat et un scandale…