Ce n’est pas la première fois que la Cour des comptes dénonce les errements de la politique nucléaire française. Cette fois leur rapport de 2020 souligne le caractère improvisé et inconséquent de la décision de l’arrêt des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim. Ils s’inquiètent au passage de l’avenir du nucléaire qui assurait encore en 2019 plus de 70% de la production d’électricité et sans émissions de CO2. Comment le gouvernement qui a décidé de fermer quatorze autres réacteurs, les plus anciens du parc, va gérer la transition compte tenu de la façon dont il le fait… avec Fessenheim?
Le titre du paragraphe du rapport de la Cour des comptes consacré à Fessenheim résume parfaitement la situation: «Un processus chaotique et un coût pour l’État». D’abord, la décision a été avant tout politique. Candidate à la primaire de la gauche en 2011, la première secrétaire du Parti Socialiste, Martine Aubry, négocie un accord avec Cécile Duflot, son homologue écologiste. Pour prouver devant les caméras leur bonne entente, elles topent pour fermer Fessenheim L’intendance suivra.
François Hollande, qui bat Martine Aubry lors de la primaire, se voit contraint de respecter l’accord passé par sa rivale et première secrétaire. Devenu Président, il le réitère lors de la conférence environnementale, le 14 septembre 2012. Mais, il commence ensuite à en mesurer les conséquences. L’autorité de sûreté nucléaire (ASN) juge les réacteurs parfaitement aptes au service. Ils rapportent beaucoup d’argent à l’électricien dont la situation financière est précaire ainsi qu’aux actionnaires étrangers du site alsacien.
Tergiversations et indemnités généreuses
EDF, sans surprise, ne manifeste pas un grand entrain. Les salariés et les élus locaux entrent dans le jeu. «Les multiples rebondissements, écrivent les magistrats, ont tout d’abord donné lieu à une communication désordonnée.» Le gouvernement tergiverse. L’arrêt des deux réacteurs est ainsi d’abord lié à la mise en service de l’EPR de Flamanville, avant qu’Emmanuel Macron, en 2018, ne change d’avis. Il décide de dissocier les deux événements, parce que le chantier de l’EPR ne cesse de prendre du retard. Une illustration, écrivent les magistrats, de «la difficulté pour l’État de concilier son rôle d’actionnaire majoritaire d’une entreprise publique et de responsable de politique énergétique».
Les conditions d’indemnisation d’EDF ne manquent pas aussi d’étonner les magistrats. Le protocole signé entre les deux parties, écrivent-ils, fait peser «un risque financier pour l’État». L’indemnisation comprend deux parties: l’une pour les dépenses anticipées liées à la fermeture, l’autre pour le manque à gagner. «Certaines dispositions de mises en œuvre (modalités de calcul, clauses de rendez-vous réguliers…) mériteraient d’être précisées par avenant afin de limiter ce risque», observe le rapport. EDF a, de plus, plutôt bien joué lors de ces négociations: l’entreprise a obtenu d’être indemnisée comme si la centrale de Fessenheim allait fonctionner jusqu’en 2041, soit durant soixante ans, alors que l’entreprise «prévoit dès aujourd’hui certains arrêts de centrales à leur cinquième visite décennale (soit après cinquante ans de fonctionnement)». De plus, les calculs de l’indemnisation d’ici 2041 sont «incertains», disent les magistrats. Qui peut connaître le prix de l’électricité dans 20 ans?
Comment remplacer l’électricité nucléaire?
La partie du rapport consacrée à l’avenir du parc nucléaire souligne également l’improvisation et le manque de vision à long terme. La fermeture annoncée de quatorze autres réacteurs d’ici 2035 aura des conséquences importantes sur la production d’électricité en France. Déjà, la seule fermeture de Fessenheim et le retard de l’EPR de Flamanville vont beaucoup fragiliser la capacité de production d’électricité au cours des prochaines années.
«L’expérience de la fermeture de la centrale de Fessenheim montre qu’une anticipation de la trajectoire de fermeture des réacteurs est nécessaire», écrivent les magistrats. Il s’agit d’anticiper les conséquences pour l’emploi local, pour le réseau électrique, pour les déchets nucléaires mais aussi et surtout pour le cocktail énergétique. Pour donner un ordre d’idée, les quatorze réacteurs condamnés à la fermeture ont une capacité de production à peine inférieure à celle l’ensemble des éoliennes installées aujourd’hui en France, si elles tournaient à plein régime en permanence… Ce qui évidemment n’est jamais le cas. Elles fournissent de fait dans l’année moins d’un quart de leur puissance théorique. Or on ne remplace pas en quinze ans une telle capacité, sauf à prévoir dès aujourd’hui un plan de rechange. Il faut selon certains calculs pas moins de 3.000 éoliennes pour remplacer seulement Fessenheim. Et elles ne remplacent rien du tout quand il n’y a pas de vent…
Enfin, la décision prise par Emmanuel Macron de fermer 14 réacteurs pourrait aussi coûter beaucoup d’argent à l’Etat. «L’exemple de Fessenheim montre qu’EDF peut réclamer des indemnisations dans le cas où les fermetures de centrales n’interviendraient pas à la date que l’entreprise avait prévue, indépendamment de la durée d’amortissement effective des centrales», préviennent les magistrats. Les montants d’une éventuelle indemnisation, disent-ils, sont «potentiellement élevés».