La polémique est née au détour d’une interview donnée le 26 avril par le Pdg de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, à l’agence Bloomberg. Il expliquait réfléchir à une cotation principale des actions de la compagnie pétrolière à la Bourse de New York en évoquant la montée en puissance de son actionnariat institutionnel nord-américain devenu presque majoritaire et moins contraint que les investisseurs européens par les règles de l’investissement durable et socialement responsable. Il avait précisé alors que le siège social de la compagnie resterait à Paris. Les titres TotalEnergies sont déjà côtés à Londres et à New York, mais de manière secondaire.
Sans surprise, les réactions politiques ont été vives y compris, tardivement, par le ministre français de l’Economie et des Finance, Bruno Lemaire. Et même Emmanuel Macron a encore déclaré lundi 13 mai qu’il ne serait « pas du tout » ravi si TotalEnergies déplaçait sa cotation principale de Paris à New York. Pourtant, concrètement faire de Wall Street la première place de cotation des titres TotalEnergies n’aurait presque aucun sens. Et cela pour plusieurs raisons.
Un raisonnement problématique
Le raisonnement de Patrick Pouyanné, un temps soutenu par Bruno Lemaire, selon lequel une cotation à New-York permettrait à TotalEnergies d’être mieux valorisé et donc de pouvoir attirer plus facilement des capitaux est très contestable. D’abord, parce que les investisseurs américains qui souhaitent acquérir des titres TotalEnergies n’ont aucun problème à le faire et l’ont déjà fait. TotalEnergies est déjà coté, de façon secondaire, à Wall Street et à Londres. Et comme l’expliquait Patrick Pouyanné, 47% des actionnaires institutionnels de l’entreprise et 39% de tous ses actionnaires mondiaux se trouvent aux États-Unis.
Et être coté de façon principale à Wall Street n’apporterait pas grand-chose pour la raison suivante. La capitalisation boursière de TotalEnergies de l’ordre de 170 milliards de dollars permettrait à la compagnie pétrolière de figurer dans l’indice S&P 500. Cela représente théoriquement un potentiel important de valorisation de la société parce que les fonds boursiers indiciels seraient alors contraints de détenir l’action. Mais il y a un problème : les entreprises du S&P 500 doivent être domiciliées aux États-Unis. Il est difficile d’imaginer TotalEnergies ne plus avoir son siège social en France… Ce que Patrick Pouyanné n’envisage pas à la fois pour des raisons politiques et économiques…
Faire pression sur le gouvernement
Déjà, environ 35% des 100.000 employés de l’entreprise sont en France. Ensuite, moins de 10% de son chiffre d’affaires provient d’Amérique du Nord, contre 23% de la France et 41% du reste de l’Europe. Enfin, la transformation de Total en TotalEnergies passe par le développement rapide de la production d’électricité bas carbone. Contrairement au marché pétrolier qui est mondial par nature, la production d’électricité est une activité locale. Et TotalEnergies a des projets ambitieux : produire plus de 100 térawattheures d’ici 2030 avec une augmentation de 4 à 5 fois de sa production renouvelable (19 TWh en 2023) et un doublement de sa production à partir d’actifs dits flexibles (15 TWh en 2023).
Donc, la seule logique de la déclaration de Patrick Pouyanné pourrait être de faire pression sur le gouvernement pour que la petite musique sur l’investissement durable et socialement responsable soit un peu moins forte et les assemblées générales des actionnaires de TotalEnergies moins chahutées. Cela a peu de chance d’être efficace. L’activisme climatique est bien plus important en Europe qu’aux États-Unis et cela ne dépend pas vraiment du gouvernement français, mais des groupes militants, des institutions européennes, des médias, des préoccupations de la société. Ce qui ne retire rien au problème de fond qui n’est évidemment presque jamais abordé qui est celui de la stratégie de transition énergétique et de la vitesse avec laquelle il faut se passer des combustibles fossiles.
Si la transition n’est pas menée assez rapidement, elle risque de s’enliser car cela revient à rendre l’équation économique et la rentabilité des nouvelles sources d’énergie et leur acceptation sociale encore plus problématiques. Mais si elle est menée trop rapidement et de façon désordonnée, cela revient à détruire l’ancienne économie avant d’avoir construit la nouvelle… qui ne peut pas prospérer et se développer sans les combustibles fossiles. Les carburants fossiles représentent encore plus de 80% de l’énergie primaire consommée dans le monde et représenteront vraisemblablement encore autour de 60% en 2050… si tout se passe bien.