La crainte grandit de voir une grande partie des 56 réacteurs nucléaires en service en France affectée par les problèmes de corrosion découverts en octobre dernier. Des «indications», laissant penser que de nouveaux réacteurs pourraient connaître le même problème, «ont été détectées lors de la réalisation des contrôles non destructifs par ultrasons sur des portions de tuyauterie des réacteurs de Chinon B3, Cattenom 3 et Flamanville 2», reconnait EDF dans un communiqué laconique.
Le modèle le plus répandu
Le problème est que Chinon B3 en Indre-et-Loire est un réacteur de 900 MW. Ce modèle est de loin le plus répandu dans le parc nucléaire français avec 32 des 56 réacteurs exploités. Jusque-là, les problèmes de corrosion semblaient n’avoir affecté que les réacteurs les plus puissants et les plus récents de 1.300 et 1.450 MW, qui sont aussi moins nombreux (il y en a respectivement 20 et 4 en service). EDF a identifié formellement pour le moment des phénomènes de corrosion sur des systèmes de sécurité de cinq réacteurs (Civaux 1 et 2, Chooz 1 et 2 et Penly 1) conduisant à des arrêts prolongés et de sévères tensions sur l’approvisionnement électrique de la France. Désormais, tout le parc nucléaire tricolore est potentiellement affecté, ce qui signifierait des travaux de contrôles et éventuellement de réparations pendant de nombreuses années affectant fortement la capacité de production électrique du pays.
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a indiqué pouvoir disposer «courant mai» du résultat d’expertises permettant de conclure ou non à un problème de corrosion sur un réacteur appartenant à la famille des 900 MW. «A Chinon, le contrôle par ultrasons a mis en évidence un doute. Pour autant, nous ne pouvons pas encore dire s’il y a fissure ou pas», a déclaré aux «Echos» Julien Collet, le directeur général adjoint de l’ASN.
Faiblesses du contrôle des réacteurs
EDF va devoir démonter la tuyauterie et vérifier en laboratoire s’il y a bien un phénomène de corrosion sous contrainte. Et si oui, de quelle taille sont les fissures sur les tuyaux du système de sécurité permettant d’injecter dans le circuit primaire, en cas de fuite, de l’eau borée pour refroidir le réacteur et éviter sa fusion. Si le défaut est confirmé sur un réacteur de 900 MW, cela signifie que l’ensemble des familles de réacteurs est potentiellement touché, ce qui nécessitera des vérifications poussées de tout le parc et des travaux s’étalant très vraisemblablement sur de nombreuses années. Ce serait une catastrophe pour EDF, qui n’en avait pas vraiment besoin, et pour le programme nucléaire français. Ce serait aussi une illustration de défaillances dans les processus de contrôle des réacteurs depuis plusieurs années.
Pour l’heure, EDF affirme ne pas changer ses prévisions de production d’électricité pour 2022. Début février, la découverte des problèmes de corrosion sous contrainte a déjà contraint l’énergéticien public a réduire sur l’année ses capacités de production d’électricité nucléaire à 295-315 térawattheures (TWh), contre 300 à 330 TWh envisagés précédemment.
Le tarif de l’électricité sur les marchés, pour une livraison en 2023, a augmenté en milieu de semaine, après la publication du communiqué d’EDF, de 1,5 % à 236 euros le mégawattheure. Il s’agit du plus haut niveau depuis le début de l’année pour les contrats dits «à terme». Ce prix pourrait encore augmenter si EDF devait arrêter de nouveaux réacteurs afin de vérifier et éventuellement de réparer les canalisations endommagées.