Depuis mi-mars, la crise sanitaire du coronavirus oblige les entreprises à fonctionner au ralenti et les Français à rester travailler chez eux, entraînant une baisse significative de notre consommation énergétique finale. À partir des premières estimations macroéconomiques disponibles et des enseignements que l’on tire d’autres périodes de crise, nous évaluons que l’impact d’un mois de confinement sur la consommation finale d’énergie en 2020 en France aurait un effet équivalent à celui observé au cours de la dernière crise financière de 2008.
Deux mois de confinement engendreraient une baisse record et d’une ampleur équivalente à celle de 1975, au cours du premier choc pétrolier.
Nous résumons ici les principaux scénarios sur l’évolution de la consommation énergétique de 2020, résultats élaborés en nous appuyant sur les données d’Enerdata, bureau d’études spécialisé dans le domaine de l’énergie.
Économie au ralenti = des secteurs qui consomment moins d’énergie
Selon les dernières prévisions de l’Insee, l’activité économique s’établit pendant cette période de confinement à environ 65% de la normale en France; cela va se traduire par une baisse record de la consommation d’énergie dans les secteurs de l’industrie, du tertiaire ou encore du transport.
À partir de ces chiffres, nous estimons une baisse de consommation énergétique de 35% dans les secteurs tertiaires et industrie et une chute de 80% du trafic de passager. Au vu du maintien de la chaîne logistique pour les marchandises, nous supposons que la consommation n’évoluera pas pour le transport de marchandises, ni pour l’agriculture.
Le secteur résidentiel connaîtra, lui, une hausse significative de sa consommation énergétique (que nous estimons à environ 15%), étant donné qu’une grande partie de la population est appelée à rester chez elle et donc à davantage se chauffer, éclairer, utiliser des appareils électriques, etc.
Ainsi, l’évolution de toutes ces activités engendrerait une baisse de la demande d’électricité (tous secteurs confondus) de 15% au mois de mars en France, une réduction équivalente à celle annoncée par le gestionnaire RTE la semaine passée.
Estimons maintenant l’impact du coronavirus sur la consommation finale d’énergie au pas de temps annuel, c’est-à-dire pour l’année 2020.
Quatre scénarios selon la durée du confinement et la vitesse de reprise de l’économie
Depuis le début de la crise sanitaire, il est difficile de savoir si le confinement va durer quatre semaines ou plus. Et il est encore plus difficile d’évaluer l’impact sur la croissance économique.
Au tout début de la crise, le projet de loi de finances rectificative fixait l’hypothèse d’un recul du PIB de 1% pour 2020, en faisant l’hypothèse d’une reprise économique rapide.
Quelques jours plus tard, cette estimation était révisée et «sera certainement beaucoup plus élevée», selon le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, qui «ne croit pas au coup de baguette magique» au moment de la sortie de crise.
Les chiffres varient également beaucoup d’une source à une autre. Moody’s vient de réviser sa prévision de croissance pour la France à -1,4% en 2020, la banque américaine Goldman Sachs évoque une chute pouvant aller jusqu’à 9% du PIB en 2020 dans la zone euro…
Ce qui est certain, c’est que la chute d’activité dépendra de la durée du confinement.
Nous établissons donc quatre scénarios qui varieront en fonction de la durée du confinement -entre 1 mois et 2 mois- et en fonction de la vitesse de reprise de l’économie. Cette dernière pourrait être rapide, avec un retour à la normale après confinement correspondant à 3 points de perte de PIB comme l’a récemment indiqué l’Insee (sachant que les prévisions d’avant crise prévoyaient +1% de croissance pour 2020) ou plus lente, comme l’indiquait le ministre français de l’Économie.
Concernant cette dernière hypothèse, nous établissons que l’impact macroéconomique d’une reprise lente de l’économie comprendrait à la fois le choc de court terme, auquel s’ajouterait un rythme de croissance ralenti pour le reste de l’année 2020, tel qu’observé pendant la dernière crise financière de 2008-2009.
Comme en 2008 ou comme en 1975?
En fonction de nos quatre scénarios et des statistiques fournies par Enerdata, évaluons maintenant l’impact de la crise sanitaire sur les consommations énergétiques en France pour l’année 2020.
Dans le scénario 1 -le confinement se limiterait à un mois et la reprise économique serait rapide et immédiate- la consommation totale d’énergie baisserait de 2,3% par rapport à ce que nous observerions sans la crise sanitaire en 2020. Si l’économie repartait plus lentement après un mois de confinement -scénario 3-, alors l’impact serait plus marqué et la chute de consommation énergétique serait équivalente à celle observée en 2008-2009, soit –5,3 %.
Si le confinement durait deux mois, alors les effets seraient démultipliés et, dans le pire des scénarios -le scénario 4-, la consommation d’énergie finale en France reculerait de 7,6%, soit le niveau de baisse de consommation énergétique observé en 1975 au cours du premier choc pétrolier.
Selon les dernières annonces du gouvernement le confinement devrait durer 6 semainesavec une reprise lente de l’économie, ce qui impliquerait, toujours selon nos estimations, une baisse de 6,5% de la consommation énergétique finale en 2020 par rapport à ce que nous observerions sans la crise sanitaire.
L’épidémie fera également chuter les émissions de CO₂
Si l’on suppose que le contenu carbone de l’énergie consommée reste identique à celui de 2019, alors les émissions de CO2 liées à l’énergie en France chuteront également, entre -5,7% (selon le scénario 3) et jusqu’à -8,3% (selon le scénario 4) par rapport à un scénario sans crise sanitaire.
Toutes ces estimations sont bien évidemment à prendre avec une grande précaution et représentent un premier ordre de grandeur de l’impact du coronavirus sur les consommations énergétiques en France.
Beaucoup s’accordent à dire qu’une fois la crise passée, nous observerons en 2021 un effet rebond avec une consommation qui devrait repartir bien à la hausse, annulant dans ce cas la tendance de 2020. Rendez-vous donc en 2021 pour faire un réel bilan.
Carine Sebi Assistant professor and Coordinator of the «Energy for Society» Chair, Grenoble École de Management (GEM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.