La Convention ou l’art du recyclage

23 juin 2020

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La Convention ou l’art du recyclage

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Lancée en octobre 2019 dans le sillage du Grand débat national, la Convention citoyenne se voulait le modèle de la démocratie participative. Pour une question aussi technique et complexe, elle en montre surtout les limites. Dans le domaine clé des transports, les propositions sont tout sauf innovantes. On les a vu fleurir depuis des décennies, dans le ferroviaire, le fluvial, le maritime, le routier, l'aérien... En vain.

Si les travaux de la Convention citoyenne sur le climat avaient pour objectif de tester la pertinence de la démocratie participative dans l’élaboration de politiques novatrices, leurs conclusions ont de quoi laisser le lecteur sur sa faim. Le projet, qui consistait à faire émerger des solutions pour réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à leur niveau de 1990, était fort ambitieux. A considérer le travail fourni, il fut traité avec sérieux et sincérité par les 150 membres de cette convention. Mais est-ce suffisant?

Déjà, au Grenelle de l’Environnement…

 Par exemple, si l’on se concentre sur le volet «se déplacer» (l’une des thématiques avec «produire /travailler», «se nourrir», «se loger» et «consommer»), on retrouve parmi les préconisations nombre de celles qui ont déjà fleuri dans les multiples rapports sur le sujet depuis des décennies. Ou qui ont marqué les conclusions

du Grenelle de l’Environnement de 2007. Ou qui ont déjà fait l’objet de débats nationaux sur la mobilité durable… Certaines de ces préconisations ont été suivies d’effets, d’autres pas. Or, en reprenant celles qui furent abandonnées sans se pencher sur les raisons qui ont empêché qu’elles aboutissent, les conclusions de la Convention sur le volet des transports risquent fort de connaître le même sort.

Il est vrai que les sujets sont multiples et compliqués, forcément techniques avec des dimensions sociales et financières. Demander à des non-spécialistes d’identifier en quelques mois les trajectoires souhaitables pour faire progresser un dossier aussi vaste et complexe que la lutte contre le réchauffement climatique, risquait fort de se transformer en un exercice de communication qui ne ferait guère progresser le dossier. L’écueil pouvait-il être évité? Probablement pas.

En tout cas, l’exercice démontre que si d’anciennes propositions ont refait surface, c’est que le personnel politique qui fut en son temps chargé de les mettre en application, a échoué. L’exécutif est-il à ce point désarmé qu’il lui faille maintenant se tourner vers la société civile pour trouver une légitimité nouvelle dans l’action? On peut le craindre, ce qui laisse dubitatif sur le fonctionnement actuel de la démocratie représentative.

 L’équation irrésolue du fret ferroviaire

Ainsi, dans le domaine des transports, lorsque la convention citoyenne préconise de reporter une partie du trafic routier de marchandises sur le chemin de fer, la voie fluviale ou le maritime, elle ressuscite de vieilles incantations qui n’ont pas empêché le fret ferroviaire de ne plus représenter aujourd’hui que la moitié de ce qu’il fut dans les années 90 (et le tiers des années 80). La cause du recul est connue depuis longtemps: manque de souplesse et de ponctualité par rapport au transport routier, difficulté de coordonner les transports terminaux lorsque les plateformes multimodales pour passer du train au camion sont insuffisantes et alourdissent le coût global d’un acheminement, fermeture des embranchements ferroviaires des usines pour charger ou décharger directement les wagons… «Trop  cher, trop lent, pas assez ponctuel», résumait un ancien dirigeant de SNCF Marchandises.

Pour réagir, le Grenelle de l’Environnement avait fixé à 25% la progression du fret ferroviaire en 2012 par rapport à 2007, pour aboutir en 2022 à une part de marché du chemin de fer de 25% dans les marchandises. Mais on a assisté à une évolution inverse avec une part de marché tombée à quelque 10%, malgré tous les programmes de relance et les espoirs mis dans le transport combiné rail/route vite déçus. Plus que l’incantation, c’est l’analyse de la tendance récessive qui aurait été  intéressante, pour mettre en place les moyens d’un renversement. 

Même chose pour le fluvial, dont la progression est beaucoup trop lente et limitée à quelques spécialités. Quant au maritime, il eut aussi son heure de gloire avec les projets d’autoroutes de la mer formulés au Grenelle et qui virent le jour, mais sans grand lendemain. Pourtant, si on considère la situation dans d’autres pays européens, il n’existe pas de fatalité qui condamne le chemin de fer ou le fluvial. Une analyse plus ciblée et plus approfondie aurait peut-être permis de sortir des sentiers battus.

 La mobilité durable au programme de longue date

En 2009, les deux anciens Premier ministres Michel Rocard et Alain Juppé planchant ensemble pour la commission du Grand emprunt ont formulé des préconisations allant encore dans le sens du Grenelle de l’Environnement. Plus tard en 2013, le rapport Mobilité 21 reprenait également la plupart de ces objectifs, et bien d’autres encore, pour promouvoir la mobilité durable, la nécessité de relancer le transport ferroviaire et contenir la progression du routier…. Il insistait aussi sur la nécessaire régénération du réseau ferroviaire classique et préconisait une pause dans le tout TGV. La Cour des Comptes et le Conseil économique, social et environnemental (CESE) appuyaient dans le même sens, à plusieurs reprises, comme le Sénat. Mais le tout sans effet sur les tendances de fond. Aussi, lorsque la Convention citoyenne reprend toutes ces propositions à son compte, on peut être déçu: au-delà des propositions, ce sont surtout les freins à leur mise en oeuvre auxquels il aurait fallu s’atteler.

Il en est ainsi lorsque la Convention se prononce en faveur d’investissements massifs dans les infrastructures ferroviaires, les matériels roulants et les gares. La proposition est judicieuse. Mais les mises en garde émanant de rapports parlementaires ont déjà été nombreuses par le passé à cause de la vétusté de certaines lignes et d’une maintenance parfois prise en défaut. Depuis notamment l’accident de Brétigny en juillet 2013, la SNCF mise en accusation a modifié ses priorités en infrastructures pour mettre l’accent sur la rénovation du réseau hors lignes à grande vitesse. Le problème réside aujourd’hui dans les arbitrages financiers, et la mise à disposition des fonds nécessaires pour accélérer les travaux. C’est dans ce domaine que des préconisations auraient été les plus utiles.

Des propositions du monde d’avant

La Convention propose-t-elle de moduler la TVA des transports routiers de marchandises pour favoriser les circuits courts? Avantager les transports de proximité, c’était le projet de l’écotaxe. On a vu le sort qui lui a été réservé et le camouflet infligé à l’Etat sous la pression des bonnets rouges et des transporteurs routiers. Réduire la vitesse sur autoroute à 110 km/h? Un serpent de mer. C’est oublier que la pression exercée par les gilets jaunes pour s’opposer à l’abaissement de la vitesse à 80 km/h sur route a failli déstabiliser l’exécutif. Alors, s’agissant d’une limitation encore plus drastique sur autoroute, on peut parier sur une levée de boucliers… que l’exécutif ne souhaite certainement pas déclencher. Sans parler de l’aspect plutôt manichéen de la mesure, comme si la technologie avec de véritables sauts technologiques – comme la pile à combustible, ou des chaînes cinématiques automatisées et robotisées pour exploiter les moteurs à leur meilleur rendement- ne pouvait pas avoir de résultats bien plus probants qu’une contrainte supplémentaire.

Créer des vignettes vertes? Le principe a déjà été mis en oeuvre au moins par deux fois, comme avec les pastilles Crit’Air, avec des résultats pour le moins mitigés. Cette fois, des avantages seraient concédés aux véhicules les mieux notés…

Des incitations financières pour favoriser l’achat de véhicules moins polluants? Cela peut être efficace, mais des mesures analogues sont prises depuis longtemps à travers les multiples programmes destiné à rajeunir le parc automobile pour soutenir les constructeurs en promouvant des véhicules moins polluants. Développer la location longue durée? Elle est déjà fort répandue, et tout service financier a un coût, même s’il est caché. Imposer aux constructeurs de poids lourds d’harmoniser leur recherche en matière de filière énergétique? Mais il n’existe plus de constructeur français de camions indépendant depuis de Renault Trucks est passé sous la coupe de Volvo, et on voit mal l’administration française imposer ses choix technologiques aux constructeurs allemands ou suédois…

Répéter les mêmes erreurs

On pourrait aussi relever que la mise en place de plans de mobilité et le retour du transport par bus des salariés pour éviter les déplacements en voitures individuelles sont des options déjà débattues par les collectivités et les entreprises qui s’y sont intéressées. La question n’est pas de proposer cette option, mais de déterminer les obstacles qui subsistent afin de les contourner. Comme pour créer des parkings relais aux abords des villes afin d’inciter les automobilistes à passer aux transports collectifs en milieu urbain: le principe en est acté, le problème porte sur la disponibilité d’espaces pour créer ces parkings et les financer. Mais là, pas de proposition.

La thématique «se déplacer» n’omet pas de se pencher sur le transport aérien. On y retrouve d’ailleurs une idée formulée par le gouvernement, qui consiste à organiser la fin des vols intérieurs  sur les lignes où il existe une alternative bas carbone satisfaisante en prix et en temps. Voilà une proposition de la convention qui devrait être retenue.

Mais pour le reste, avec une vocation essentiellement internationale, toute volonté de brider l’essor de l’aérien en France court le risque de faire reculer les compagnies et aéroports nationaux  sans avoir beaucoup d’incidence sur les émissions de gaz à effet de serre, d’autres aéroports européens ne demandant qu’à prendre la place de Paris comme porte d’entrée sur le continent. Ce qui déplacerait les problèmes liés à l’aérien de l’autre côté des frontières, avec d’autres compagnies sur d’autres aéroports, sans en régler aucun à l’échelle de l’Europe.

Ces propositions et d’autres encore ont le mérite d’exister, et le tort de ne pas surprendre. Nul doute que le chef de l’Etat et le gouvernement mettront en avant le travail fourni, indéniablement important mais pas vraiment innovant, pour servir une communication qui se veut proche des citoyens. Toutefois, la défense du climat suppose de véritables sauts technologiques et des révolutions culturelles bien plus volontaristes. Avec des solutions, et pas seulement des incantations.

Sur la base de propositions plus ou moins semblables émises depuis quinze ou vingt ans, le secteur des transports est toujours à la traîne pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Même en 2018, dans un contexte français où les émissions de gaz polluants ont un peu baissé, celles des transports demeurent à des niveaux trop élevés. L’augmentation de la taxe carbone avait pour fonction de corriger le tir… mais elle fut maladroitement appliquée et finalement abandonnée sous la pression des gilets jaunes, et la Convention n’en a pas réintroduit le principe. Délicat… Mais un débat citoyen ne saurait exonérer le politique de sa responsabilité pour définir une vision et fixer le cap, surtout face à la complexité du problème posé.

Gilles Bridier

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