La France continue à voir sa consommation d’énergie baisser. Après l’électricité, le gaz a également enregistré un recul « historique » l’an dernier. La consommation a baissé de 11,4% et est passée sous les 400 TWh (térawattheures), à son plus bas niveau depuis trois décennies. Le recul atteint 20% en deux ans. Ce qui était considéré comme un comportement lié à l’envolée des prix du gaz et de l’électricité en 2022, après l’invasion de l’Ukraine, s’installe dans la durée. Cela « reflète de nouveaux comportements en matière de sobriété et d’usages », s’est félicité le gestionnaire du réseau de transport de gaz français. Il s’agit à la fois d’une bonne et… d’une mauvaise nouvelle.
Des coûts énergétiques bien plus élevés en Europe qu’en Asie et en Amérique du Nord
Une bonne parce que cela traduit le fait que la recherche d’une meilleure efficacité énergétique est devenue systématique pour les particuliers comme pour les entreprises. On peut parler d’un effet prix, de craintes persistantes de pénuries et d’un impact de la communication incessante sur la nécessaire décarbonation. Mais il y a une autre facette moins réjouissante à une baisse rapide de la consommation d’énergie, la stagnation de l’activité économique, la poursuite de la désindustrialisation et de fait l’appauvrissement productif du pays.
L’Europe industrielle et agricole est de moins en moins compétitive face à l’Asie et l’Amérique du Nord du fait notamment de coûts de l’énergie bien plus élevés. Ce n’est pas pour rien si la toute puissante industrie allemande traverse sa plus grave crise depuis des décennies. Voilà pourquoi l’Allemagne a affiché l’an dernier un record de baisse de ses émissions de gaz à effet de serre avec une demande d’énergie primaire a son niveau le plus bas depuis 50 ans. Faute de trouver des moyens pour fournir une énergie plus abordable à son industrie, l’Allemagne a décidé tout simplement d’abandonner certaines activités industrielles réduisant ainsi la demande de gaz, la production et l’emploi. La croissance du PIB réel allemand stagne depuis 2017, et il n’y a aucune raison de voir un changement dans les prochains mois.
La réindustrialisation reste un vœu pieux
L’impact est moins important en France parce que le pays est déjà considérablement désindustrialisé. La désindustrialisation a ramené en deux décennies la part de la valeur ajoutée industrielle dans le Pib français à 17,4%, au niveau de celui de la Grèce (16,8%), très loin derrière l’Allemagne (26,7%), l’Italie (23%) et même l’Espagne (20,8%). Et en dépit des discours et des satisfecit de pure forme, la réindustrialisation reste un vœu pieux.
La création d’un tissu économique pérenne et dynamique ne se décrète tout simplement pas par un gouvernement ou un Etat. « Les historiens de l’économie se demandent de plus en plus si le soutien de l’État à l’industrie manufacturière a joué un rôle aussi décisif dans le développement économique de l’Asie de l’Est et de l’Occident que ce que l’on croit généralement », écrit The Economist. Il ajoute : « il est loin d’être évident que de tels emplois puissent être rétablis, quelles que soient les dépenses des gouvernements… ».
Une consommation de gaz revenue au niveau des années 1990
Pour en revenir à la consommation de gaz en France en 2023 (particuliers, entreprises, grands industriels et pour les centrales électriques), elle s’est établie à 381 TWh (contre 430 TWh en 2022 et 474 TWh en 2021), un niveau comparable à celui des années 1990. Le pic a été atteint en 2010 avec 547 TWh.
La tendance observée depuis 2021 et surtout 2022 s’est confirmée en 2023, et ce, « malgré une stabilisation des prix du gaz en Europe et un retour à leurs niveaux d’avant-guerre en Ukraine », explique GRTgaz. Le prix moyen du gaz sur les marchés selon l’indice TTF néerlandais – la référence européenne – s’établit à 22 euros le MWh, deux fois moins qu’en 2023 (43 euros) et 5,5 fois et demi moins que pendant l’année 2022 (121 euros).
Avec ses cinq terminaux de regazéification, la France est restée l’an dernier, comme en 2022, la première importatrice de gaz naturel liquéfié (GNL) en l’Europe, devant l’Espagne, les Pays-Bas et l’Italie, représentant 22% des importations européennes. Mais la France a moins importé de GNL en 2023 qu’en 2022 (315 TWh contre 370 TWh), une baisse de 15,1%.
Certains industriels ont arrêté des process
Dans le détail de la consommation de gaz en France l’an dernier, la demande des distributions publiques (ménages, tertiaire, petite industrie) a baissé de 6,5% en 2023 par rapport à 2022, à 253 TWh. La consommation des grands clients industriels (chimie, verre, cimenteries… ) recule de 7,4% à 103,8 TWh après une baisse de 11,5% en 2022. Depuis 2021, la baisse atteint – 18,2%, traduisant le fait que certains industriels, avec la hausse des prix, ont « arrêté des process industriels » ou se sont convertis à « d’autres types d’énergies » explique Sandrine Meunier, directrice générale de GRTgaz.
En 2022, la baisse de la consommation de gaz avait été moins importante (-9,3%) du fait d’un recours massif au gaz pour alimenter les centrales thermiques afin de pallier l’indisponibilité de nombreux réacteurs nucléaires affectés par des retards de maintenance et des problèmes de corrosion sous contrainte. En 2023, grâce à la remontée de la production nucléaire, la consommation de gaz pour produire de l’électricité est revenue au niveau de 2021 à 36 TWh, en baisse de 40% par rapport à 2022.