Confinement, les leçons des accidents nucléaires

3 avril 2020

Temps de lecture : 4 minutes
Photo : Earthquake and Tsunami damage, Japan-March 16, 2011: This is a satellite image of Japan showing damage after an Earthquake and Tsunami at the Dai Ichi Power Plant, Japan. (credit: DigitalGlobe) www.digitalglobe.com
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Confinement, les leçons des accidents nucléaires

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Le «confinement», la «distanciation» sociale ou encore la mise en place de «gestes barrières» ne sont pas seulement réservés à la lutte contre les épidémies. Ils font partie depuis des décennies de l'arsenal de gestion des risques de l'industrie nucléaire avec des résultats mitigés.

Depuis plusieurs semaines, nous vivons une situation exceptionnelle liée à la propagation du Covid-19, mais plus encore aux diverses mesures contraignantes mises en place pour limiter la pandémie: «confinement», «distanciation» sociale ou encore mise en place de «gestes barrières». Ces mesures –dont certaines ont une histoire qui remonte au Moyen âge –font partie d’une panoplie de méthodes de gestion des risques dont l’industrie nucléaire est le principal incubateur depuis la Seconde Guerre mondiale. L’étude de leur genèse et de leurs évolutions au fil des accidents constitue ainsi une source d’inspiration pour la gestion de la pandémie en cours et de ses suites.

Mettre à distance les installations nucléaires

En tant que vecteur du virus, l’humain est à la fois victime et bourreau de ses semblables. Un des premiers principes mis en place pour faire face au Covid-19 concerne la distanciation sociale, matérialisée par l’interdiction de rassemblements ou le respect d’une distance de sécurité entre chaque individu.

La protection par l’éloignement du danger –qui fut à la fin du XVIIIe siècle, la première forme de gestion des risques industriels– a trouvé l’une de ses formes la plus aboutie dans l’industrie nucléaire. Lors de la Seconde Guerre mondiale, pour des raisons de secret militaire et de protection contre les radiations, les sites du «projet Manhattan» de fabrication des bombes atomiques américaines sont choisis loin des villes. Le site de Hanford, par exemple, destiné à la production de plutonium, est sélectionné en 1942 dans une zone désertique, à plus de 30 km des premières zones urbaines.

Ce principe d’éloignement des populations a largement accompagné le développement des premiers réacteurs nucléaires à travers le monde. Mais cette méthode de gestion des risques n’a pas résisté à la survenue des premiers accidents et de leurs conséquences sanitaires qui, à l’instar du coronavirus, ne se sont pas arrêtés aux frontières.

En 1957, l’accident de Winscale provoque un nuage radioactif qui traverse toute l’Angleterre et une partie de l’Europe de l’Ouest. De même, en avril 1986 l’accident nucléaire de Tchernobyl entraîne une contamination massive de l’environnement dans plusieurs pays européens. En France, l’accident entraîne une crise de confiance durable à l’égard des experts et politiques, c’est l’affaire du «nuage de Tchernobyl».

Confiner les atomes radioactifs

Après avoir préconisé des mesures peu contraignantes pour tenir dans la durée, Emmanuel Macron déclare finalement «la guerre» à l’épidémie le 16 mars. En effet, la distance sociale est rapidement considérée comme insuffisamment efficace et des mesures de confinement sont mises en place. À travers le respect du mot d’ordre «restez chez vous», on vise la limitation de la propagation du Covid-19 par le confinement d’une grande partie de la population, combinée à la mise en œuvre de gestes barrières – tousser dans son coude, ne pas se serrer la main, etc.

Dans le cas du nucléaire, c’est à partir des années 1950 que sont développées aux États-Unis les premières méthodes de «confinement» des matières radioactives au sein des installations nucléaires. Il s’agit de mettre en place des barrières successives et indépendantes entre ces matières et l’environnement pour éviter leur dissémination en cas d’accident. La plupart des réacteurs aujourd’hui en exploitation dans le monde disposent de trois barrières de confinement successives: une gaine métallique qui enveloppe le combustible radioactif; le circuit primaire du réacteur; enfin, un bâtiment étanche et résistant (appelé enceinte de confinement).

À la fin des années 1960, les Américains parachèvent cette méthode avec le concept de «défense en profondeur» basé sur une série de lignes de défenses physiques et organisationnelles. En 1979, l’accident de Three Mile Island (Pennsylvanie) constitue un choc important pour l’opinion publique nord-américaine, mais confirme dans le même temps que l’enceinte de confinement du réacteur remplit parfaitement son rôle d’ultime barrière.

Critiquant l’absence d’un tel dispositif dans le cas de Tchernobyl et confiants dans la sûreté de leurs réacteurs, certains experts occidentaux n’ont pas hésité à qualifier la catastrophe russe d’«accident soviétique»… Ce n’est pas sans rappeler l’emploi du terme «virus chinois» par Donald Trump.

En France, la mise en place des premières mesures de confinement des rapatriés Français de Wuhan dans des centres de vacances ou la gestion de malades dans la station alpines des Contamines ont également donné le sentiment d’une possible maîtrise de l’épidémie par le confinement des clusters. Alors que la vague épidémique commence à déferler sur l’Italie au début du mois de mars, certains experts et politiques français critiquent les mesures de confinement drastiques prises par nos voisins.

Quand survient la vague

Le 11 mars 2011, un tsunami s’abat sur la centrale de Fukushima (voir la photographie ci-dessus) et détruit l’ensemble des dispositifs de confinement entraînant la fusion de trois réacteurs. Le réflexe politique est alors de le considérer lui aussi comme un accident typiquement japonais, même si pour le président de l’Autorité de sûreté nucléaire française (ASN), c’est la preuve indéniable qu’un accident nucléaire est possible en France.

Pour faire face à l’échec du confinement révélé à Fukushima, l’idée retenue en France est de mettre en place une barrière de confinement supplémentaire: le noyau dur. Ce dispositif propose de «sanctuariser» un nombre limité d’équipements vitaux pour l’installation en cas d’aléas naturels extrêmes. De plus, en cas d’accident, une Force d’action rapide nucléaire (FARN), composée de ressources humaines et de matériels d’urgence, doit permettre de sauver la situation. Si les acteurs du nucléaire se préparent à gérer le pire, ils n’ont pas abandonné pour autant l’idée de pouvoir le maîtriser ou d’en limiter les conséquences.

Malgré la mise en place de principes de confinement, si indispensables soient-ils, un accident nucléaire reste possible. Dans le cas du Covid-19, devant la «vague» qui arrive, la tentative de maîtrise des milliers d’accidents journaliers de perte de confinement individuels est un projet d’urgence complexe à mettre en œuvre mais qui paraît nécessaire.

À l’instar d’une crise nucléaire, la gestion de l’urgence sanitaire nécessite une préparation et un entraînement poussé, ce qui ne fut manifestement pas le cas comme en témoigne la gestion du stock de masques dans notre pays.

En outre, la gestion d’une pandémie, comme celle d’un accident nucléaire, s’étale dans le temps et il est toujours périlleux d’en décréter la fin: nouvelles vagues épidémiques, déconfinement progressif ou encore gestion des conséquences sociales et économiques à long terme.

Par exemple, à la catastrophe nucléaire de Fukushima s’est ajouté une catastrophe humaine, sociale et économique pour le Japon. On pense notamment à la gestion socio-politique complexe des quelques 300.000 déplacés, qui ont été ostracisés, tout comme le sont aujourd’hui les habitants de Wuhan.

L’exemple de la gestion du risque nucléaire invite avant tout à l’humilité dans nos capacités à maîtriser les risques par la distanciation et le confinement. L’épisode en cours encourage à se doter pour l’avenir de capacités de projection, de créativité et d’invention qui seront nécessaires à la préparation des crises futures.

Michaël Mangeon Enseignant vacataire risques environnementaux, chercheur et consultant indépendant, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Mathias Roger Doctorant en histoire et sociologie des sciences et des techniques, Université de Paris

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original sur The Conversation.

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