Ce n’est pas exactement un geste de clémence de la métropole du Grand Paris à l’égard des propriétaires de vieilles voitures. Ce n’est pas la soudaine compréhension des conséquences sociales de la ségrégation créée par la relégation des véhicules les plus anciens et les plus polluants hors de l’agglomération. Ce n’est pas non plus la prise de conscience des effets finalement très limités de la mesure sur la pollution atmosphérique. Mais les faits ont peu d’importance. En 2020, il y a eu trois épisodes de franchissement de seuils de pollution aux particules fines en Île-de-France. Deux se sont produits pendant des périodes de confinement… Ce qui a permis de démontrer, lors d’une expérience incontestable en grandeur réelle, que la circulation automobile n’est pas de loin le premier responsable de la pollution atmosphérique. Mais c’est un coupable idéal…
L’Etat n’a pas mis en place les infrastructures techniques…
Le sursis inattendu est la conséquence de l’incapacité de l’Etat et d’une faible mobilisation, à quelques mois du scrutin présidentiel, pour tenir le calendrier. La métropole du Grand Paris a indiqué à la Ligue de défense des conducteurs, qui a révélé l’information, qu’elle «reste en attente, de la part de l’État, […] de la mise en œuvre du contrôle sanction automatisé initialement programmé en 2022, finalement annoncé pour courant 2023». Et la métropole de conclure «dans l’attente des réponses de l’État, les dispositions actuelles restent en vigueur, les contrôles pédagogiques seront donc maintenus au-delà du 31 décembre 2021.»
En théorie, dès le 1 janvier 2022, la métropole devait infliger des amendes aux contrevenants qui auraient eu l’audace d’entrer dans l’agglomération en semaine de 8h à 20h avec leurs vieilles voitures. Tout véhicule arborant une vignette Crit’Air 4, 5 ou non classé devait être interdit de séjour dans la plus grande zone à faibles émissions (ZFE) de France. En fait, il l’est déjà depuis le 1 juin, mais les contrevenants ne sont pas encore sanctionnés et seulement soumis à des «contrôles pédagogiques». Ces derniers vont se prolonger jusqu’en 2023.
La mesure d’interdiction de circuler concerne les voitures et utilitaires diesel immatriculés avant 2006, les deux roues motorisés immatriculés avant le 1er juillet 2004 et les poids lourds, autobus et autocar d’avant 2010. Les diesels d’avant 2006 sont pour la plupart la seconde voiture d’un foyer ou le seul moyen de transport des moins favorisés…
Le retour de l’octroi
Selon la métropole du Grand Paris, la mesure concerne 244.000 véhicules référencés dans un périmètre se situant à l’intérieur du tracé de l’autoroute A86, ce qui représente pas moins de 79 communes. Une estimation très contestable car il faut y ajouter les véhicules venus de banlieue plus lointaine et de province qui amènent dans l’agglomération bon nombre de personnes et de marchandises. Leurs propriétaires n’ont en général pas de solutions de rechange offertes par les transports en commun. Mais qui s’en préoccupe…
Il va de toute façon devenir de plus en plus difficile d’échapper aux ZFE. La loi climat et résilience, votée à l’Assemblée en mai, rend obligatoire l’instauration de ZFE d’ici à 2025 dans toutes les agglomérations de plus de 150.000 habitants. Des proportions importantes du territoire seront ainsi progressivement interdites aux véhicules anciens. Car les ZFE ne concernent pas seulement les centres villes des grandes agglomérations. Pour le «Grand Paris», cela concerne donc 79 communes, 11 pour la métropole lilloise, 26 à Grenoble, 4 à Lyon… Et ces zones seront rapidement élargies: 131 communes autour de Paris vers 2025, 58 autour de Lyon, 71 communes autour de Rouen. Sans compter la création de nouvelles ZFE à Strasbourg, Toulouse, Montpellier, Marseille-Aix-en-Provence, Toulon, Nice…
Les restrictions de circulation seront aussi étendues rapidement à des véhicules plus récents. Dès juillet 2022, s’ajouteront les véhicules classés Crit’Air 3, les voitures essences immatriculées avant 2006 et les diesels avant 2011. En janvier 2024, ce sera au tour des Crit’Air 2, les voitures essences immatriculées avant 2011 et toutes les voitures diesels sans exception. Il s’agit d’un programme calqué sur celui d’Anne Hidalgo, la maire de Paris, qui entend interdire dans la capitale en 2024 la circulation de tous les véhicules diesel et en 2030 celle de tous les véhicules à moteur thermique. Evidemment aucune étude sérieuse sur l’impact, les bénéfices et les coûts de telles décisions n’a été réalisée. Au total, 16 millions de véhicules vont être concernés à terme. Cela représente pas moins de 40% des voitures en circulation aujourd’hui en France.
L’utilisation de la voie publique devient ainsi un privilège. On peut parler du retour en France de l’octroi. Cette taxe était perçue à l’entrée de toutes les villes et en chassait de fait les paysans jusqu’à ce que la révolution française l’abolisse. Il ne faut pas oublier les leçons de l’histoire. Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1789, quelques heures avant la prise de la Bastille, la foule parisienne avait commencé par mettre le feu aux barrières d’octroi…