Il s’agit d’une bombe dans le monde de l’énergie en France. Le site Reporterre a révélé l’existence d’un document émanant de l’Agence des participations de l’Etat qui détaille les demandes de la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne en contrepartie du soutien indispensable de l’Etat à EDF. La Commission exige ni plus ni moins qu’un démantèlement de l’électricien français aujourd’hui virtuellement en faillite. Ce dernier doit supporter une dette financière brute qui se montait à 61 milliards d’euros à la fin de l’année 2019 et trouver également dans les prochaines années les moyens de financer des dizaines de milliards d’investissements, notamment dans le nucléaire.
Une recapitalisation urgente
Il faut y ajouter la baisse brutale cette année de la demande et des prix de l’électricité, du fait des conséquences économiques de la pandémie, qui coïncide avec des opérations de maintenance importantes des centrales nucléaires, perturbées elles aussi par la crise sanitaire. Il y a également les retards, surcoûts et difficultés récurrentes du chantier de l’EPR de Flamanville, le retard du chantier de la centrale nucléaire d’Hinkley Point au Royaume Uni et le conflit avec les distributeurs indépendants d’électricité. Tout cela a contribué à dégrader encore plus vite la situation financière d’EDF.
Le temps presse maintenant pour recapitaliser la société. A la fin de l’année, elle dépassera très certainement le ratio dette sur Ebitda [bénéfice brut] de 2,7 fois. Une fois ce seuil franchi, EDF sera dégradé par les agences de notation ce qui augmentera le coût de ces emprunts.
Transformé en une holding sans rôle opérationnel ni contrôle sur ses filiales
Mais la Commission n’a pas vraiment les mêmes objectifs que l’Etat français. Elle veut avant tout s’assurer que le groupe public ne bénéficie par d’avantages trop importants face à ses concurrents européens. L’Agence des participations de l’État, qui porte la participation publique de 83,6 % au capital d’EDF, résumait ainsi le 6 mai dernier les exigences de Bruxelles: «la position de la Commission européenne consiste à privilégier une holding sans rôle opérationnel ni contrôle sur ses filiales et une indépendance entre celles-ci… Cette position entraînerait l’impossibilité de maintenir un groupe intégré...»
La Direction générale de la concurrence justifie le démantèlement par «l’ampleur de l’aide qui serait octroyée à EDF… afin d’éviter que le soutien au nucléaire régulé ne profite d’une quelconque manière aux autres entités du groupe». Tout cela se traduirait par un changement radical de nature du plan de sauvetage d’EDF, baptisé Hercule, dont les grandes lignes ont été définies l’an dernier.
Le plan Hercule
L’idée directrice d’Hercule est d’isoler la production nucléaire et ses risques financiers du reste du groupe. Cette entité nucléaire baptisée société Bleue devrait aussi comprendre les barrages (l’hydroélectrique) regroupés dans une société baptisée Azur qui serait contrôlée à 100% par Bleue. Cela permettrait d’échapper à la mise en concurrence des concessions échues des barrages. Le nucléaire et l’hydroélectrique seraient renationalisés. Il faudrait alors que l’Etat débourse environ 8 milliards d’euros pour racheter en bourse leurs actions EDF aux investisseurs privés.
Une autre entité baptisée Verte serait créée et comprendrait les énergies renouvelables restantes (éolien, solaire, biomasse et géothermie), les réseaux (Enedis), les services énergétiques et le commerce. Délestée du risque nucléaire et des dettes, cette seconde entité, propriété de la première, serait introduite en Bourse où sa valorisation devrait être très supérieure à celle d’EDF aujourd’hui. L’Etat en conserverait via la société Bleue 65% du capital. Mais Hercule suscite une forte opposition des syndicats. Ils y voyaient l’an dernier un premier pas vers un démantèlement d’EDF. Ils n’avaient pas forcément tort…
Réforme de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique
Il y a quelques jours l’agence Reuters annonçait que le lancement du plan Hercule devait intervenir avant la fin de l’année. Plusieurs obstacles étaient en passe d’être rapidement levés à commencer par la réforme indispensable de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Ce dispositif réglemente au nom de l’ouverture à la concurrence le tarif d’accès à l’électricité nucléaire produite par EDF. Il permet aux concurrents de pouvoir acheter jusqu’à 100 terawatts-heures (TWh) par an à un tarif bloqué de 42 euros par mégawatt-heure (MWh). La Commission de régulation de l’énergie, le régulateur du secteur, a rendu fin juillet un rapport favorable à la réforme de l’Arenh. Ce dispositif, adopté en 2010 et qui est prévu jusqu’en 2025, crée une concurrence artificielle et a vu se multiplier depuis des mois les conflits entre l’électricien public et ses concurrents distributeurs.
EDF ne cesse de dénoncer un prix de vente trop bas qui constitue selon lui une forme de subvention pour ses concurrents, tels que Total Direct Energie, Engie ou Eni, et ne lui permet pas de financer les investissements indispensables dans le nucléaire.
Mais la réforme de l’Arenh n’est plus le principal problème à régler avant de pouvoir restructurer EDF. Le plus difficile pour le gouvernement français va être maintenant de convaincre la Commission européenne que démanteler l’électricien public français n’est dans l’intérêt de personne. Une première rencontre s’est tenue fin septembre à Bruxelles entre Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et la Commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager. Le destin d’EDF sera scellé avant la fin de l’année.