Les membres de la Commission d’enquête parlementaire sur «La perte de souveraineté énergétique de la France» auront passé six mois et 150 heures d’auditions à tenter de comprendre les raisons d’un effondrement depuis près de trois décennies des politiques publiques énergétiques en France. Il s’est traduit par la démolition d’une filière nucléaire qui était la plus performante au monde, par une perte de souveraineté énergétique sans précédent et par le risque permanent et pour de nombreuses années d’une pénurie d’électricité dans le pays. Et tout cela au nom d’idéologies simplistes, de compromis politiciens inconséquents et d’une absence effarante de compétence et de responsabilité politique.
Cela a conduit aujourd’hui à un appauvrissement sans précédent du pays en temps de paix illustré à la veille de l’hiver par les demandes répétées du gouvernement aux Français et aux entreprises de rationner leur consommation d’énergie et plus particulièrement d’électricité… en expliquant que la cause de cette situation était l’invasion de l’Ukraine. Heureusement, par chance, une météorologie clémente a évité des coupures et des délestages. Mais cela ne change rien au constat. Les infrastructures et équipements énergétiques du pays sont incapables de faire face aux besoins actuels et encore moins à ceux nécessaires à la transition énergétique qui, rappelons-le, doit se traduire par une augmentation considérable de la consommation d’électricité du fait de l’électrification des usages et du développement accéléré de la production d’hydrogène par électrolyse.
Rien n’a été anticipé et rien n’a été préparé depuis un quart de siècle. Plus grave encore, l’outil nucléaire technique et humain a été laissé à l’abandon et considérablement affaibli. La meilleure illustration en est l’état pitoyable dans lequel se trouve EDF, renationalisé pour éviter sa faillite. L’entreprise publique devrait pourtant être le champion français de l’électricité décarboné et de la transition énergétique.
Faire au grand jour un constat dénoncé depuis des années par les experts
La commission d’enquête sur les raisons de la perte de souveraineté énergétique de la France, décrochée par le groupe LR a l’Assemblée nationale à l’automne dernier, a eu un grand mérite: faire au grand jour ce constat dénoncé depuis des années dans le vide par des ingénieurs et experts de l’énergie qui n’étaient pas inféodés à des idéologies, des intérêts et des organisations et institutions, y compris publiques, qui niaient la réalité énergétique du pays.
Le rapport de 372 pages de la Commission (et 1.500 pages d’annexes reprenant les auditions de 88 acteurs et témoins) illustre «trois décennies de retard considérable accumulé en termes de souveraineté énergétique». Il a été adopté le 30 mars par les membres de la commission mais pas à l’unanimité. Les députés LFI et EELV, opposés au nucléaire, ont voté contre et ceux du PS se sont abstenus.
«Souvent, nous sommes passés de l’incompréhension à la surprise, jusqu’à la consternation», écrit le député Renaissance Antoine Armand, en préambule du rapport. «Le récit qui s’est reconstitué devant nous, c’est bien le récit d’une lente dérive, d’une divagation politique, souvent inconsciente et inconséquente, qui nous a éloignés et de la transition écologique et de notre souveraineté énergétique».
Les auditions publiques ont permis de multiplier les révélations des errements, des compromissions politiques, de l’incompétence ou des lâchetés ayant amené le pays à se retrouver, au seuil de l’hiver 2022, contraint d’acheter au prix fort à ses voisins une électricité qu’il n’était plus capable de produire. La production du parc nucléaire français, qui avait atteint un sommet de 452 térawwattheures en 2005, a été de seulement 279 térawattheures l’an dernier. Et comme le souligne la Commission, ce n’est pas un accident mais la conséquence d’années «d’errements».
Un «grand» moment restera l’audition, le 29 novembre dernier, d’Yves Bréchet, ancien Haut-commissaire à l’énergie atomique, qui a soudain dit tout haut ce que depuis des années de nombreux experts disaient tout bas. Il a dénoncé l’inculture crasse scientifique et technique de la classe politique qui est «au cœur du problème de la politique énergétique française… L’analyse scientifique et technique a déserté les rouages décisionnels de l’État sur ces sujets… Au-delà des anciens ministres que vous pouvez auditionner pour le fun, en étant à peu près sûr de n’avoir que des effets de manche, c’est dans les structures des cabinets et de la haute administration, qui sont censés analyser les dossiers pour instruire la décision politique, qu’il faut chercher les rouages de la machine infernale qui détruit mécaniquement notre souveraineté énergétique et industrielle… Pourquoi, en six ans de mandat et malgré les demandes réitérées, je n’ai vu se tenir le comité à l’énergie atomique que deux fois, alors qu’il aurait dû être réuni chaque année… Pourquoi est-il rarissime d’avoir un retour sur un rapport technique? Pourquoi les avis réitérés de l’Académie des sciences, de l’Académie des technologies, sont-ils reçus dans un silence poli?»
«Tout le monde savait»
«Tout le monde savait» que la politique de réduction de la part du nucléaire à 50% du mix électrique, associée à la fermeture de moyens de production pilotables, allait dans le mur, a expliqué pour sa part l’ancien directeur de l’énergie au ministère (de 2007 à 2014) et actuel patron de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), Pierre-Marie Abadie, au cours de son audition le 10 janvier dernier.
Le rapport insiste logiquement sur les années 2012 et 2017 et la mise en œuvre d’une politique de décroissance du nucléaire à la suite d’un accord entre le PS et les Verts. Une politique à laquelle participera Emmanuel Macron et qu’il poursuivra activement, avec Elisabeth Borne, ministre de l’Ecologie, jusqu’à sa conversion soudaine et opportuniste au nucléaire au début de l’année 2022. Mais le rapport n’épargne pas non plus les gouvernements de droite qui ont précédé l’élection de François Hollande et celui d’Edouard Philippe qui a fermé sans raison autre que politicienne la centrale de Fessenheim et a arrêté subrepticement, en août 2019, en violant l’esprit même de la Constitution, le programme Astrid de réacteur de quatrième génération. Des décision prises «dans la continuité du quinquennat précédent».
Mais la Commission dont l’ambition était de faire enfin un constat lucide et réaliste de la situation énergétique de la France et qui n’entend pas être pour autant un tribunal ne veut pas en rester au seul bilan et contribuer aussi «à rebâtir notre souveraineté électrique» tout en «réduisant rapidement notre dépendance aux énergies fossiles». Et pour cela, elle fait 30 propositions parfois iconoclastes.
Elles concernent la gouvernance, la production, la relance du nucléaire et visent à «ramener tout le monde dans le réel» et à configurer les capacités énergétiques du pays pour qu’elles puissent répondre aux besoins de décarbonation et à ceux de la réindustrialisation du pays. L’ambition devra être portée «sur trente ans, inscrite dans une loi et étayée par la science et par l’industrie» en mesurant bien «le fossé de production qui nous sépare de la souveraineté énergétique».
Certaines mesures proposées sont plus politiques comme le fait d’exiger des ONG contribuant aux décisions qu’elles soient «représentatives» et «financièrement transparentes». Les responsabilité des ministres pourrait être engagée s’ils ne réunissent pas les instances de consultation scientifiques et techniques officielles. La direction générale de l’énergie devrait être à nouveau rattachée au ministère de l’Industrie, afin de suivre au plus près «nos vulnérabilités industrielles».
RTE enfin épinglé
Le réseau de transport d’électricité (RTE), qui pendant des années a multiplié les prévisions erronées sur les capacités de production du pays et ses niveaux de consommation, n’échappe pas cette fois aux critiques. Il doit revoir d’urgence ses «critères de sécurité d’approvisionnement».
Les parlementaires veulent que les prix de l’électricité soient décorrélés en Europe et en France surtout de ceux du gaz et que le système aberrant de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique), qui contraint EDF à vendre à prix coûtant une partie de son électricité à ses concurrents, soit enfin «suspendu sans délai».
Le nucléaire fait l’objet de toutes les attentions des parlementaires. Les députés appellent à un développement massif de ses moyens humains, administratifs et financiers, pour rattraper trente années de négligence et d’abandon et pouvoir relancer un programme ambitieux de constructions de nouveaux réacteurs. Ils veulent aussi que la France réinvestisse dans les réacteurs à neutrons rapides dits de quatrième génération et «relance la construction d’un démonstrateur de type Astrid» pour «rattraper le retard accumulé». Dire qu’avec Phénix et Superphénix, la France était à la pointe de la recherche mondiale dans ce domaine… avant le saccage.