Nous l’écrivions ici le 26 novembre dernier: Rafael Grossi, directeur de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) faisait le pari de réacteurs centenaires. Cependant, le mythe de la péremption des centrales reste tenace. En France, c’est l’un des arguments favoris des anti-nucléaires. Nos réacteurs auraient été conçus pour 40 ans, pas un de plus, et les prolonger poserait de gros problèmes de sécurité.
L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a -bien malgré elle- accrédité cette idée par la voix de son directeur général Olivier Gupta en expliquant qu’il n’existait aucune preuve scientifique de la capacité à prolonger la vie des réacteurs au-delà de leurs 50 ans.
EDF face à un tabou
Bien entendu, l’ASN étant dans son rôle, c’était une objection formelle, et très nuancée. «Nous ne disons pas que c’est impossible, nous disons simplement qu’aujourd’hui ça n’est pas prouvé» avait-il déclaré devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale. Le point critique selon lui était l’étude de la capacité des cuves (élément non remplaçable soumis à un flux neutronique constant en exploitation) à supporter une ou plusieurs décennies supplémentaires.
Mais malgré ces nuances, ces propos avaient immédiatement été détournés comme une validation des craintes sur la dangerosité de ces prolongations. Il faut dire que la stratégie d’EDF, muselée par les gouvernements successifs, n’offrait que peu de visibilité. Et que les deux réacteurs de la centrale de Fessenheim (voir photographie ci-dessous), en parfait état de marche, ont été définitivement arrêtés en 2020 après 42 années de bons et loyaux services. Ainsi, lors de la VD4 (4ème visite décennale) en cours des réacteurs les plus anciens, il n’a ainsi été documenté qu’une prolongation de ceux-ci de 10 années, jusqu’à 50 ans. Et, on imaginait une étude similaire pour la future VD5 vers 10 années supplémentaires.
Mais devant la Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France, le directeur exécutif d’EDF, Cédric Lewandowski a renversé la table. Prolonger le parc actuel à 80 ans n’est «pas un tabou». Et pour cela, il a immédiatement indiqué que «la question est sur la table, elle est en instruction scientifique à ce stade», précisant que «la question du passage de 60 à 80 ans exige un certain nombre de travaux d’étude et donc nous les engageons».
Une réduction considérable du flux neutronique
Nul doute que parmi ces travaux d’études figure la question des flux neutroniques et de la durabilité de la cuve. Or, ça n’est pas quelque chose de nouveau. Dès les années 1990, l’optimisation des plans de chargement de combustible a permis de gagner 30 à 40% sur le flux neutronique par rapport aux anticipations faites au moment de la conception des cuves.
Une autre avancée a eu lieu, l’introduction de grappes en Hafnium (grappes absorbantes de 24 crayons de Hafnium qui a la particularité d’absorber les neutrons) permet elle aussi de réduire encore de 45% ce flux, et ainsi préserver les cuves, augmentant de facto leur longévité.
Cette question était d’ailleurs directement abordée dans un document d’EDF datant de 2014 que nous avons pu consulter et que nous publions ci-dessous.
S’il est encore bien trop tôt pour affirmer que la partie est gagnée, nous devons donc nous réjouir de voir à nouveau l’industrie nucléaire française capable de penser à long terme. Et anticiper ainsi les problématiques à venir.
Un tel prolongement à 80 ans permettrait de desserrer significativement l’étau du renouvellement du parc. Repoussant ainsi les premières fermetures de réacteurs à 2059 et offrant des marges significatives pour la construction de nouveaux équipements.
Philippe Thomazo