L’interdiction en Europe de la vente de véhicules neufs à moteur thermique d’ici 2035 est de plus en plus violemment contestée dans les pays de l’Union comme par les constructeurs. La France dont la production automobile s’est effondrée sur son sol depuis 20 ans, elle a chuté de 59% depuis 2004, fait presque figure d’exception par son indifférence. Mais en Allemagne, en Italie, en Espagne et dans les pays de l’Est le rejet de la transition à marches forcées vers la motorisation électrique devient massif.
Parce qu’elle provoque une crise sans précédent de l’industrie automobile dans toute l’Europe avec une avalanche de fermetures d’usines et de licenciements. Il y a à cela trois raisons prévisibles que les politiques ont volontairement ignorées : la réticence persistante des consommateurs, la concurrence chinoise irrésistible et les erreurs à répétition des dirigeants des groupes automobiles. Rappelons que l’automobile représente 13,8 millions d’emplois et 7% du PIB de l’Union Européenne.
Premier problème, la demande n’est pas vraiment au rendez-vous parce que les consommateurs sont toujours loin d’être convaincus comme le montre la baisse des ventes de véhicules électriques en Europe en 2024. La croissance rapide de la demande ne se poursuit plus que dans sur un seul marché, de loin le plus grand, celui de la Chine.
La Chine assure à elle seule la croissance du marché des voitures électriques
Pour le spécialiste des réseaux de recharge Virta, il devrait s’être vendu environ 17 millions de véhicules électriques dans le monde l’an dernier (100% électriques et hybrides rechargeables). Une progression de l’ordre de 3 millions par rapport à 2023 et une part de marché d’environ 19% sur un total de l’ordre de 89 millions de véhicules neufs vendus.
La croissance du marché provient donc essentiellement de la Chine qui représente 70% des ventes mondiales assurées avant tout par ses constructeurs nationaux. Entre janvier et novembre 2024, les ventes de voitures électriques ont atteint 9,7 millions d’unités en Chine, une progression spectaculaire de 40% par rapport à la même période en 2023. Derrière la Chine, on trouve l’Europe avec 2,7 millions de véhicules vendus de janvier à novembre (- 3%), puis les États-Unis et le Canada avec 1,6 million (+ 10%). Les autres marchés sont presque inexistants.
Il faut aussi mettre ses chiffres en perspective. Il y avait à la fin de l’année dernière environ 57 millions de véhicules électriques en circulation dans le monde sur un total d’un peu moins de 1,5 milliard… Cela représente 3,8% du parc. Il faut une sacrée dose d’optimisme pour croire que le parc mondial sera en grande majorité électrique dans 25 ans.
Il est presque déjà trop tard pour l’industrie européenne
Pour en revenir à l’industrie automobile européenne, les oppositions politiques et économiques à la mesure phare du nouveau pacte vert (New Green Deal) si cher à la Commission européenne et à sa présidente Ursula von der Leyen ont mis du temps à se mobiliser. Elles existent maintenant aussi bien au Parlement européen que dans les pays de l’Union, à commencer par l’Allemagne, mais il est presque déjà trop tard. Refuser de voir les réalités économiques, sociales et technologiques en face et imposer des choix idéologiques et purement politiques finit toujours par se payer cher.
A la fin de l’année dernière, quelques jours seulement après avoir été débarqué de la direction de Stellantis, Carlos Tavares, a bien résumé la situation dans une interview au quotidien portugais Expresso. Il a expliqué que les décisions politiques européennes ont conduit l’industrie automobile du continent « dans une impasse stratégique ». Elle a perdu en moins d’une décennie les avantages technologiques et industriels qu’elle avait construit tout au long du XXème siècle et se retrouve aujourd’hui avec « plusieurs années » de retard sur les constructeurs chinois dans le développement des véhicules électriques.
BYD emploie 110.000 ingénieurs…
Les véhicules chinois sont à la fois économiquement et techniquement supérieurs à ceux de leurs concurrents, à l’exception de ceux de Tesla. Et cela s’explique facilement par la taille du marché intérieur et surtout les choix stratégiques de l’Etat chinois qui a financé massivement son industrie automobile depuis plus de dix ans et a vu dans l’électrique le moyen providentiel de rattraper son retard technologique et industriel.
Illustration, le numéro un ou deux mondial du véhicule électrique (selon les classements), le chinois BYD, emploie un million de salariés dont 110.000 ingénieurs. La firme possède onze instituts de recherche qui déposent déposent en moyenne 32 brevets par jour… Et pour échapper à l’augmentation des droits de douane, BYD va produire ses véhicules en Europe, en Hongrie. L’industrie automobile chinoise est devenue aujourd’hui le premier exportateur mondial devant sa concurrente japonaise.
Un dernier élément clé en faveur de l’industrie chinoise est celui du coût de l’énergie. Le charbon fournit encore environ 60% de l’électricité de la Chine et représente plus de 50% de la consommation énergétique du pays. Il coûte peu cher et cela explique pourquoi les prix de l’électricité sont deux fois moins élevés en Chine qu’en Europe.
La responsabilité des dirigeants de l’automobile européenne
La question posée aujourd’hui est tout simplement celle de la survie de l’industrie automobile européenne. Seuls les groupes les plus solides auront une chance de traverser une crise créée par des décisions politiques inconséquentes et la lâcheté des dirigeants des constructeurs. Politiques et industriels ont oublié une chose essentielle. C’est toujours le client qui a raison.
Ils se sont laissés emporter – à de rares exceptions près – par l’idéologie dominante, la vague médiatique et l’air du temps. Il y a encore quelques années, les Pdg de l’automobile rivalisaient dans les médias de prédictions annonçant la fin des véhicules à combustion. Tous voulaient s’acheter un brevet de modernité, d’innovation, d’écologie.
Le patron de Volkswagen alors numéro un mondial, Herbert Diess, s’était particulièrement distingué en annonçant triomphalement vouloir doubler le rythme de transformation initial. Sa dernière annonce était de passer à 70% de part de véhicules électriques dans la production de VW d’ici 2030. C’était en 2021… Depuis Herbert Diess a été remercié.
Seul le patron de BMW, Oliver Zipse et celui de Toyota, Akio Toyoda, ont osé s’opposer à la pensée dominante. Cela leur a valu les moqueries, et les condamnations des analystes boursiers et des journalistes. BMW dispose aujourd’hui non seulement d’usines plus flexibles que la concurrence, mais vend également ses modèles électriques avec plus de succès. Toyota est le premier constructeur mondial et bénéficie du succès ininterrompu de ses modèles hybrides dont il est le précurseur.
Une litanie de mauvaises nouvelles
Pour les autres constructeurs historiques, les derniers mois ont été terribles. En septembre, Volkswagen a annoncé son intention de fermer au moins trois de ses 10 usines allemandes et de réduire les salaires de 10%, enfreignant un accord de 1994 visant à protéger les emplois dans son pays d’origine jusqu’à au moins 2029.
En France, Michelin s’apprête à fermer deux usines. L’usine Stellantis de Poissy est menacée de fermeture, Toujours dans le même groupe, la production s’est arrêtée à Mirafiori en novembre, la dernière usine automobile survivante à Turin, le moteur historique de l’industrie automobile italienne. Stellantis toujours a annoncé que son usine Vauxhall de Luton au Royaume-Uni fermerait en avril 2025, annulant le plan précédent de l’entreprise de produire des fourgonnettes électriques Vivaro. Dans le même mois, Ford a indiqué qu’il réduirait 3 800 emplois en Europe d’ici 2027, tandis que Nissan a annoncé 9 000 pertes d’emplois et une réduction de 20 % de la production mondiale. Pour un haut responsable de Nissan, la société japonaise avait « 12 ou 14 mois pour survivre ». Elle voit son salut aujourd’hui dans une fusion avec Honda.
Enfin, il n’est pas possible de ne pas évoquer l’effondrement du groupe suédois Northvolt, le champion européen des batteries. Il s’est placé en novembre dernier sous la protection de la loi américaine sur les faillites (chapter 11) pour tenter de convaincre ses créanciers de le laisser survivre. Northvolt avait levé 15 milliards d’euros depuis 2016 auprès de ses coactionnaires Volkswagen, Goldman Sachs, Siemens et JPMorgan. Mais acquérir et maîtriser la technologie pour fabriquer des batteries n’est pas une chose facile. Northvolt parvient aujourd’hui péniblement à produire 60.000 cellules par semaine.
Accélération de la désindustrialisation
À elle seule, la stagnation de la demande de véhicules électriques dans une grande partie de l’Europe serait déjà un sérieux problème pour un secteur automobile qui doit cesser de vendre des voitures à moteur à combustion interne au plus tard en 2035, et même en 2030 au Royaume-Uni.
Mais la domination écrasante sur toute la chaîne de valeur de l’industrie chinoise, des matières premières en passant par les batteries, les moteurs électriques et les véhicules, signifie que l’électrification lente du transport routier en Europe accélère la désindustrialisation du continent. On est loin des promesses de croissance verte et même de réindustrialisation grâce à la transition énergétique. C’est exactement le contraire qui se produit.
Les institutions européennes (Commission et Parlement) et les gouvernements des pays de l’Union sont responsables du désastre. Ils ont détruit, sciemment ou pas, l’une des rares industries mondiales dans laquelle l’Europe était encore compétitive et même dominante sur le plan technologique. Il y a peu d’exemples similaires dans l’histoire.