La semaine dernière, le cartel pétrolier Opep+, les 13 membres de l’Opep historique menés par l’Arabie Saoudite, et les dix pays associés menés par la Russie, ont pris la décision de réduire leur production de 2 millions de barils par jour pendant 14 mois, jusqu’en décembre 2023. Au moment où le monde et plus particulièrement l’Europe font face à une envolée générale des prix de l’énergie, à une quasi-pénurie de gaz naturel et subissent ainsi les conséquences de l’invasion de l’Ukraine et des sanctions prises contre la Russie, ce n’est pas une décision anodine. Elle va se traduire, c’est déjà le cas, par une augmentation des cours du pétrole et par plus d’inflation au moment même où l’économie mondiale fait face à un sérieux risque de récession.
Une baisse de production symbolique… de 1%
La baisse de production n’est pas en soi considérable. Elle représente théoriquement 2% de l’approvisionnement mondial et en réalité 1% puisque l’Opep+ n’a pas été capable de tenir au cours des derniers mois ses objectifs d’augmentation de production. Cela est lié à la fois aux sanctions contre la Russie et aux difficultés de production de certains pays du cartel. Mais l’annonce et son anticipation ont permis au baril de rebondir d’environ 10% en une semaine. A plus de 95 dollars le 10 octobre pour la qualité Brent européenne et plus de 90 dollars pour le WTI américain. Ils étaient descendus à moins de 85 dollars après avoir dépassé 120 dollars en juin. L’objectif annoncé de l’Opep+ est de ramener le baril autour de 100 dollars.
Mais il s’agit de la part du cartel pétrolier d’un calcul à court terme. L’argument économique avancé officiellement pour justifier la baisse de production est contestable. L’Opep+ a déclaré que la baisse de production est «… nécessaire pour répondre à l’augmentation des taux d’intérêts dans les pays occidentaux et au ralentissement de l’économie mondiale». Mais avec une inflation très élevée et une récession presque inéluctable en 2023, l’augmentation des prix du pétrole ne peut qu’amplifier les problèmes de l’économie mondiale. De fait, la grande majorité des récessions mondiales ont été précédées au cours des dernières décennies par une envolée des cours du baril qui correspond tout simplement à une taxe sur les économies.
Une marque d’hostilité envers l’administration Biden
La décision de l’Opep+ se justifie même difficilement dans une pure logique financière et pour maximiser les profits des pays du cartel. Elle va accélérer la récession mondiale, réduire la demande et inciter à augmenter les investissements dans la production de pétrole, notamment de pétrole de schiste aux Etats-Unis. Il s’agit donc avant tout d’une décision politique et même d’une marque d’hostilité envers les Etats-Unis en particulier et les Occidentaux en général. On peut même y voir une vengeance saoudienne. Et le déplacement de Joe Biden à Riyad en juillet dernier n’y a rien changé. Le contentieux entre les deux pays est trop profond.
Il ne faut déjà pas perdre de vue que le dirigeant de l’Arabie Saoudite, le Prince Mohammed ben Salman, et Vladimir Poutine ont de très bonnes relations personnelles depuis de nombreuses années. Le coup de pouce donné, au moins à court terme, aux cours du pétrole est un soutien à l’économie russe. C’est aussi un camouflet pour l’administration démocrate américaine qui va faire face dans quelques semaines aux élections législatives de mi-mandat.
Riyad a plusieurs contentieux avec Washington et avec les administrations démocrates, celle de Barack Obama et maintenant celle de Joe Biden. D’abord, leur volonté commune de parvenir à un accord sur le programme nucléaire iranien et pour cela de ménager la République islamique d’Iran, le pire adversaire régional de l’Arabie Saoudite avec qui elle est engagée dans un conflit militaire interminable, sanglant et coûteux au Yémen. Mohammed ben Salman n’a pas non plus apprécié les sévères critiques après l’assassinat atroce en 2018 à Istamboul de son opposant Jamal Khashoggi.
Inciter les Etats-Unis à alléger les restrictions sur les nouveaux forages
L’occasion est bonne également de profiter d’une réduction des capacités américaines de production de pétrole, notamment de pétrole de schiste, pour reprendre le contrôle du marché pétrolier mondial. Les Etats-Unis ne devraient redevenir le premier producteur mondial de pétrole, ce qu’il était de 2017 à 2020, qu’en 2023 en retrouvant son niveau de production de 12,3 millions de barils par jour d’avant la pandémie. Le parti démocrate a commis la même erreur que les gouvernements européens. Il a voulu abandonner l’ancienne économie avant d’avoir même commencé à construire la nouvelle et au moment où l’industrie pétrolière américaine était en difficulté après l’effondrement des prix en 2020 à cause de la pandémie qui s’est traduit par la faillite de nombreux petits producteurs.
La stratégie énergétique du parti démocrate a consisté depuis 2021 à mettre en place un moratoire sur tous les permis de forage de pétrole et de gaz. Ceci dit, les Etats-Unis sont dans une situation énergétique qui n’a rien de comparable avec celle de l’Europe. Ils sont autosuffisants en terme de consommation d’hydrocarbures mais n’ont plus les moyens, comme ils le faisaient il y a trois-quatre ans, de peser sur le marché mondial.
Mais comme l’administration Biden a promis de prendre des mesures de rétorsion contre l’Arabie Saoudite, cela pourrait changer. Elle pourrait, comme le souhaite un certain nombre de parlementaires américains, traîner les pays de l’Opep+ devant l’Organisation mondiale du commerce ou même devant la justice américaine pour «collusion». Ou elle pourrait lever, au moins partiellement, les restrictions sur le forage de nouveaux gisements de pétrole et de gaz pour que les capacités de production américaine augmentent plus rapidement. Mais là encore, il s’agit d’une décision avant tout politique. Elle ne peut se justifier que dans le cadre d’un plan réaliste pour construire dans le même temps une stratégie de transition énergétique et de baisse des émissions de gaz à effet de serre avec nucléaire et renouvelables.