L’envolée des prix de l’énergie depuis l’été dernier, gaz naturel, pétrole, électricité et même charbon, qui s’est accélérée depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, est comparée au choc pétrolier de 1973. C’est ce qu’a fait mercredi 9 mars Bruno Lemaire, le ministre de l’Economie. Petit rappel historique sur ce qui s’est passé cette année-là, il y a 49 ans, et ses conséquences sur l’économie française et la stratégie énergétique du pays.
Une cause structurelle et une cause conjoncturelle
Les économistes attribuent le choc pétrolier a deux facteurs principaux. L’un structurel, la dévalorisation du dollar, monnaie d’échange des produits pétrolier, après la fin en 1971 des accords de Bretton-Woods et de la convertibilité en or de la monnaie américaine dont la valeur devient «flottante». Et l’autre conjoncturel, la guerre de Kippour qui a valu aux pays occidentaux des embargos temporaires pour les alliés d’Israël et une hausse généralisée des prix du baril.
Pour rappel, le 6 octobre 1973, le jour de Kippour, l’Égypte et la Syrie attaquent Israël afin notamment d’effacer l’humiliation de la défaite retentissante subit lors la guerre des Six jours de juin 1967. L’URSS soutient l’Egypte et la Syrie et les États-Unis envoient massivement via un pont aérien du matériel militaire à l’Etat hébreu qui avant de reprendre l’avantage sur le terrain en Syrie et dans le Sinaï est à deux doigts de la catastrophe militaire.
Appauvrissement généralisé
En réponse, les membres de l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole (Opaep) augmentent les prix du baril de 70% et annoncent une réduction mensuelle de la production de 5% par mois. Entre octobre 1973 et janvier 1974, le prix du baril quadruple et passe de 2,60 à 11,65 dollars, l’équivalent d’un bond de 25 à 100 dollars en 2022. Ce choc affecte considérablement toutes les économies occidentales qui fonctionnaient alors avec un pétrole à la fois abondant et bon marché. Au point qu’il était devenu de loin la première source d’énergie.
L’appauvrissement est généralisé et se traduit par un transfert massif de richesses vers les pays producteurs de pétrole, notamment du Golfe persique.
En 1973, le pétrole représentait en France pas moins de 66,5% des sources d’énergie contre seulement 30% treize ans auparavant en 1960. Et il n’y a alors aucune source d’énergie alternative. Les prix à la pompe flambent et les automobilistes en subissent directement les conséquences. D’autant plus que la France vient de basculer dans la société de consommation et le tout automobile. Les foyers se sont largement équipés en voiture (75 % des ouvriers en possèdent une au début de l’année 1974, contre seulement 8% vingt ans plus tôt). La hausse des prix des carburants sera continue jusqu’au début des années 1980. En l’espace de sept ans, le coût d’un litre d’essence aura quasiment triplé passant de 1,69 franc en 1973 contre 4,17 francs en 1980.
Inflation et faible croissance, naissance de la stagflation
Le gouvernement français cherche des solutions immédiates pour limiter l’impact sur le pouvoir d’achat et sur la balance commerciale du pays. La vitesse est limitée à 90 km/h sur toutes les routes nationales et départementales et à 120 km/h sur les autoroutes. D’autres mesures d’économies d’énergies sont décidées. L’interdiction des enseignes lumineuses après 22 heures et la mise en place en 1976 du changement d’heure entre l’hiver et l’été afin d’avoir moins recours à l’éclairage. La lutte contre le gaspillage est dans tous les discours. C’est l’heure des slogans, comme le toujours célèbre: «En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées», popularisé par Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la République.
L’économie française est durement touchée par le choc pétrolier. C’est la fin des Trente Glorieuses, une période presque ininterrompue de croissance économique et d’augmentation du niveau de vie à entre 1945 et le milieu des années 1970. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle entre en récession, avec une baisse de 1% de son Pib en 1975. Outre ceux des hydrocarbures, les prix s’envolent pour tous les produits et services. C’est le début d’une inflation massive et d’une grande crise industrielle. Une période dite de stagflation: une hausse des prix permanente et une croissance atone. Le chômage explose, passant de 3% en 1974 à 6% en 1980. Dans le même temps, l’inflation atteint des taux records: 13,7% en 1974 et une moyenne supérieure à 10% pendant les dix années qui suivent.
Bruno Le Maire a d’ailleurs déclaré qu’il n’était pas question de refaire les mêmes erreurs qu’en 1973. Le ministre de l’Economie s’est notamment dit fermement opposé à un plan massif d’aides publiques qui «ne ferait qu’alimenter l’augmentation des prix».
Un programme nucléaire massif
Le choc pétrolier de 1973 a eu aussi d’autres conséquences à long terme. Il a provoqué une restructuration profonde du système énergétique français. La France s’est dotée d’un parc nucléaire massif pour produire de l’électricité sans recours au pétrole et aux énergies fossiles. En 1974, le gouvernement lance le plan Pierre Messmer (alors Premier ministre). Il comprend la construction de treize réacteurs de 900 mégawatts (MW) en deux ans, au lieu des cinq prévus à l’origine. Par la suite, ce sont des réacteurs à 1.300 MW qui sont mis en service à partir de 1976. Pour aboutir, au début des années 2000, au fonctionnement de 58 réacteurs répartis dans 19 centrales nucléaires.
Les importations de pétrole brut baissent considérablement de 134,92 à 73,31 million de tonnes équivalent pétrole, ou Mtep). En parallèle, la production d’électricité nucléaire passe de 3,84 à 108,20 Mtep entre 1973 et 2000.
En 2020, la France importait 33,9 Mtep de pétrole, utilisés essentiellement dans le transport et l’industrie. Dans le mix énergétique français, le pétrole arrivait l’an dernier en deuxième position (28,1%) derrière le nucléaire (40%) et devant le gaz naturel (15,8%) et les renouvelables (12,9%).