C’est une information passée assez inaperçue dans la masse de celles données par BP dans sa fameuse Statistical Review of World Energy. Elle est publiée tous les ans depuis 1952 et l’a été cette année il y a deux mois. La consommation d’énergie primaire a augmenté de 1,3% contre 2,8% en 2018. Cela a représenté la dixième année consécutive d’augmentation de la consommation d’énergie dans le monde dont 84% était assuré par les énergies fossiles.
Certes, tout cela était le monde d’avant la pandémie de Covid-19, mais cela reste une mesure pertinente de la consommation et la production d’énergie dans le monde et du chemin à faire pour se passer des carburants fossiles. L’étude contient des statistiques étonnantes comme celle montrant qui était de loin le premier producteur d’énergie en 2019. L’Arabie Saoudite? La Russie? Les Etats-Unis qui sont le premier producteur de pétrole, de gaz naturel et d’électricité nucléaire? Non. La Chine… et par une marge importante.
Le charbon fait toute la différence
La Chine est le premier producteur au monde d’hydroélectricité, d’électricité solaire, d’électricité éolienne et surtout de charbon. Elle compte pour presque la moitié de la production mondiale (47,6%). En comparaison, les Etats-Unis qui sont le plus important producteur de pétrole, de gaz naturel et d’électricité nucléaire ne comptaient que pour respectivement 17%, 23% et 30% de ces productions. Le contenu énergétique de la production de charbon chinoise est plus important que les productions américaines additionnées de pétrole, de gaz et de charbon…
La production d’aucune forme d’énergie est dominée à ce point par un seul pays que le charbon par la Chine. En Chine, le charbon représente 58% de la consommation totale d’énergie et pour le reste du monde 17% en moyenne.
Cela a évidemment des conséquences très importantes sur les émissions de CO₂ chinoises. Elles ont baissé assez sensiblement l’an dernier dans les économies développées, y compris aux Etats-Unis, et ont continué à augmenter dans les économies émergentes et en Chine. Cette dernière représente 28,8% des émissions mondiales de CO₂ devant les Etats-Unis (14,5%), l’Inde (7,3%), la Russie (4,5%), le Japon (3,3%), l’Allemagne (2,0%), l’Iran (2,0%), La Corée du sud (1,9%), l’Indonésie (1,8%) et l’Arabie Saoudite (1,7%). La France avec 0,9% des émissions n’est pas dans le top 10.
La question de l’indépendance énergétique
Si la Chine est le premier producteur d’énergie. Quel est le pays qui en 2019 a connu les évolutions les plus rapides de production d’énergie? Toujours à priori, l’augmentation massive de la production de pétrole et de gaz de schiste américaine, avant la pandémie, devrait faire de ce pays celui qui augmente le plus rapidement sa production. Ce n’est pas le cas. La croissance la plus rapide est venue de Chine. En fait, la progression rapide de la production de pétrole et de gaz aux Etats-Unis (de près de 6%) a été en partie effacée par le recul de celle du charbon. Et si les Etats-Unis ont connu la progression la plus rapide pour le pétrole et le gaz, la Chine a connu la croissance la plus forte pour tout le reste: nucléaire, hydraulique, renouvelable et charbon.
La Chine est le premier producteur et celui dont la croissance est la plus forte mais aussi et sans surprise le premier consommateur d’énergie au monde. Il a dépassé les Etats-Unis en 2009.
Mais si on prend en compte les comparaisons à partir des populations, la vision des choses change. La Chine produit 20% de l’énergie mondiale et en consomme 24%. Le pays représente 18% de la population mondiale et environ 16% de la production mondiale en valeur marchande. Les Etats-Unis consomment et produisent 16% de l’énergie avec 4% de la population et 24% de la production mondiale.
Autre remarque sur les évolutions remarquables enregistrées l’an dernier. Les Etats-Unis sont parvenus pour la première fois depuis 1952 à être de façon générale auto-suffisants en énergie. La Chine qui était auto-suffisante en énergie jusqu’au milieu des années 1990 est devenue au cours des 25 dernières années le premier importateur d’énergie au monde. En général, cette position n’est pas sans conséquence sur l’implication géopolitique des pays qui veulent sécuriser leurs sources d’approvisionnement. Pour donner une idée des ordres de grandeur, la Chine a importé l’an dernier plus d’énergie que le Japon en a consommé. On comprend ainsi mieux pourquoi la Chine, pour des raisons d’indépendance énergétique, ne peut se passer du charbon, même si elle en importe, et a lancé un programme nucléaire de construction d’une centaine de réacteur en quinze ans qui va en faire la première productrice au monde d’électricité nucléaire.
La transition est entre les mains de la Chine, l’Inde et l’Afrique
Cela illustre parfaitement les propos de Vaclav Smil, l’un des plus grands experts mondiaux de l’énergie. Dans une interview accordée à Transitions & Energies, il expliquait: «il faut bien comprendre en Europe comme en Amérique du Nord, que la transition énergétique, la décarbonisation, ne sont plus entre nos mains, en notre pouvoir. Elles sont entre les mains de la Chine, de l’Inde et de l’Afrique. Et ils vont brûler autant de charbon, de pétrole et de gaz qu’ils veulent. Nous ne pouvons pas les en empêcher. Pour la première fois dans l’histoire, nous sommes face à un problème véritablement et totalement planétaire. Tant que les 50 à 60 pays les plus importants n’auront pas décidé ensemble vraiment, c’est-à-dire de façon contraignante, de remplacer les énergies fossiles, il n’y aura pas d’issue. Dans les soi-disant accords, comme celui de la COP21 à Paris en 2015, il n’y a rien de contraignant juridiquement et de ce fait, ils n’ont pas beaucoup de valeur. Prenez le cas de la Chine, le premier émetteur, de loin, de CO₂. Le pays a annoncé qu’il allait atteindre son pic d’émissions en 2028, puis en 2035 et maintenant en 2040. Et cela se comprend. La Chine reste un pays pauvre avec un PIB par habitant de l’ordre de 18.000 dollars par an à comparer aux 63.000 des États-Unis et aux 46.000 de la France. L’Inde est bien plus pauvre autour de 8.000 dollars et bon nombre de pays africains sont à peine à 5.000 dollars. La seule certitude est que les chances de réussir à créer un système énergétique compatible avec la survie à long terme d’une civilisation construite sur une utilisation massive de l’énergie, sont incertaines.»