La Chine a fait de l’énergie l’élément clé de sa stratégie de conquête industrielle. Après avoir pris des positions dominantes dans le solaire, l’éolien, la voiture électrique et notamment ses batteries, l’industrie chinoise n’a pas l’intention de s’arrêter là. Elle entend également devenir le numéro un mondial de l’hydrogène et du nucléaire en détrônant au passage dans ce dernier domaine la France.
Un article approfondi, publié très récemment par Le Monde de l’énergie, montre qu’au moment même où la filière nucléaire française ne cesse d’accumuler les déboires et est même lâchée par le gouvernement, l’industrie nucléaire chinoise accélère son développement et ne cache plus ses ambitions.
«La Chine a placé le nucléaire au cœur de sa transition énergétique vers les énergies propres et bas-carbone pour diminuer sa consommation d’énergies fossiles. Ce pays ambitionne tout simplement de se doter du plus grand parc nucléaire mondial dans les dix prochaines années. Son industrie est dorénavant prête au «grand bond en avant», y compris hors de Chine, avec le nouveau réacteur Hualong de troisième génération, et avec le CAP1400, un concurrent de l’EPR français», écrit Michel Gay.
La construction d’une centaine de réacteurs en 15 ans
La Chine est aujourd’hui le troisième producteur mondial d’électricité nucléaire derrière les Etats-Unis et la France avec 260 térawatt heures (TWh = 1 milliard de kWh) fournis par 47 réacteurs et une puissance installée de 49 gigawatts (GW). De plus, une dizaine de réacteurs sont aujourd’hui en construction. Mais le nucléaire assure encore moins de 5% de la production d’électricité chinoise qui approche les 7.000 TWh. Elle est issue principalement du charbon (plus de 60%). En comparaison, la France produit 500 TWh d’électricité dont 400 TWh d’origine nucléaire avec 58 réacteurs représentant 63 GW installés.
La Chine entend atteindre 10% d’électricité nucléaire en 2035, ce qui implique la construction de près d’une centaine de réacteurs en 15 ans (soit 6 à 8 réacteurs par an)! Elle deviendra alors de loin la première puissance mondiale du nucléaire civil. Cette ambition sera notamment assurée par le nouveau réacteur «Hualong» (Dragon). Il est le fer de lance du déploiement accéléré de centrales nucléaires sur le territoire chinois.
L’année 2019 a été décisive pour la filière nucléaire chinoise. Elle a mis en service 3 nouveaux réacteurs, dont le deuxième EPR de conception française à Taishan à 120 kilomètres au sud-ouest de Hong Kong. Les deux seuls EPR aujourd’hui en service dans le monde se trouvent en Chine, Taishan 1 est entré en service en décembre 2018 et Taishan 2 est en production depuis septembre 2019 (voir la photographie de la centrale de Taishan ci-dessus). Toujours en 2019, la Chine a exploité sans incidents 5 réacteurs de troisième génération, les deux EPR et 3 réacteurs américains AP1000 à Sanmen et à Haiyang. Elle a aussi donné son feu vert à la construction de 6 nouveaux réacteurs dont deux Hualong. Enfin, le 3 décembre 2019, le premier Hualong construit à l’étranger est entré en service dans la centrale nucléaire de Karachi au Pakistan. Un deuxième réacteur est en construction sur le même site. L’accent mis sur le nucléaire transparait enfin dans une autre décision majeure prise l’an dernier par l’Etat chinois, la suppression des subventions d’Etat aux éoliennes et aux panneaux photovoltaïques.
L’Europe finira par acheter ses centrales nucléaires en Chine
Les prochains mois s’annoncent décisifs pour le nucléaire avec les conséquences de la pandémie de coronavirus sur l’économie chinoise et mondiale. Cette année, la Chine basculera du 13ème au 14ème plan quinquennal qui fixe les choix technologiques pour le nucléaire pour les 10 ou 15 ans à venir. Et Beijing n’entend pas s’arrêter là comme l’explique Le Monde de l’Energie. La République populaire a l’intention à la fois: de développer la fabrication de combustible MOX pour des réacteurs à neutrons rapides, de se doter d’un réacteur «rapide» au sodium CFR600 après le redémarrage du réacteur surrégénérateur CEFR (également à neutrons rapides au sodium), de commencer la construction du premier laboratoire souterrain pour le stockage géologique des déchets nucléaires, et de se lancer enfin dans la conception de petits réacteurs SMR «Small Modular Reactor» dédiés notamment au chauffage urbain.
Si ces développements sont bien lancés dans les prochains, l’avancée technologique française en matière de nucléaire sera très rapidement un souvenir. Et cela même si la France a joué un rôle important dans le programme nucléaire chinois depuis 35 ans. Avec les EPR de Taishan, avec la coopération sur une usine de recyclage des déchets et même avec la certification des réacteurs chinois Hualong construits à Bradwell au Royaume-Uni, les premiers réacteurs chinois construits dans un pays occidental.
Comme le résume Le Monde de l’énergie, «la Chine considère le nucléaire comme le seul type d’énergie susceptible de remplacer le charbon à grande échelle pour la production d’électricité et d’assurer la sécurité d’approvisionnement du pays.» L’industrie chinoise dispose aujourd’hui d’une capacité de fabrication de 10 réacteurs nucléaires par an et fournit aujourd’hui 85% des composants nécessaires. L’objectif est d’atteindre plus de 90% de fabrication locale et de disposer rapidement de normes purement chinoises.
Si l’Europe entend conserver une part de son électricité produite par des centrales nucléaires, qui émettent très peu de CO2 et contrairement aux renouvelables ne sont pas des sources intermittentes, elle pourrait à terme être condamnée à acheter ses réacteurs… en Chine.