L’un des points de blocage majeur de la transition énergétique est la capacité à produire suffisamment de minéraux dits stratégiques et à des prix acceptables. Ils sont indispensables pour alimenter les énormes besoins en lithium, en graphite, en nickel, en cobalt, en cuivre, en cobalt, en terres rares… des batteries, des éoliennes, des panneaux photovoltaïques, des électrolyseurs…
Dans ce domaine, l’Union Européenne donne une fois encore un exemple d’incohérence. Elle impose une transition à marches forcées vers les véhicules électriques et les renouvelables et se rend ainsi totalement dépendante des fournisseurs de minéraux, notamment la Chine, sans être capable de développer l’exploitation et le traitement industriel de ressources minières sur le sol européen.
Surinvestissements et offre excédentaire
La situation est d’autant plus préoccupante qu’elle est devenue aujourd’hui difficile sur de nombreux marchés de minéraux et métaux dits stratégiques. D’un côté, les cours se sont effondrés du fait d’un ralentissement de la demande et de l’autre les capacités de production et de raffinage seront probablement très insuffisantes dans les prochaines années et décennies pour faire face à l’envolée attendue des besoins. Mais les groupes miniers et industriels ne sont pas prêts et capables d’investir des sommes considérables pour développer leurs capacités avec des cours qui ne permettent pas aujourd’hui de rentabiliser les investissements. Les prix du nickel, du lithium et du cobalt ont baissé respectivement de 60%, 80% et 65% par rapport à leurs sommets atteints en 2022. Et selon une note récente de la banque Goldman Sachs, la baisse va se poursuivre dans les 12 prochains mois, de 12% pour le cobalt, 15% pour le nickel et de 25% pour le lithium.
Comme le montre un article publié le 1er avril par Gavekal, spécialisé dans l’analyse financière, la Chine porte une lourde part de responsabilité dans le chaos des marchés de minéraux. Et cela semble bien être est en grande partie le résultat d’une stratégie délibérée. La Chine est de loin aujourd’hui le premier producteur et surtout raffineur de la plupart de ses minéraux et entend encore renforcer le contrôle de ses marchés en éliminant ses concurrents.
La thèse de Gavekal est la suivante. La demande plus faible que prévu des constructeurs automobiles américains et des acheteurs chinois de véhicules électriques est en partie responsable de la déroute des marchés de minéraux. Mais la cause principale est l’offre excédentaire massive des producteurs chinois, tant sur leur marché domestique qu’à l’étranger. Les surinvestissements ont créé des surcapacités et « tué le marché des métaux ».
Les métaux raffinés là où ils sont extraits
La Chine a peu de réserves de métaux et minéraux stratégiques sur son sol, à l’exception des terres rares, et doit donc se les procurer à l’étranger. Du triangle du lithium en Amérique latine à la ceinture de cuivre du Katanga, les groupes miniers chinois extraient ou achètent les minerais métalliques qu’ils expédient, raffinent et transforment en batteries, en panneaux photovoltaïques et turbines d’éoliennes. Dans le domaine des batteries, la Chine a ainsi progressivement renforcé son emprise sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement via notamment les géants BYD et CATL. Ce n’est pas pour rien si une bonne partie des usines géantes de production de batteries qui vont voir le jour en Europe et en France appartiennent à des groupes industriels chinois.
La façon dont les groupes chinois ont déstabilisé le marché du nickel est un exemple saisissant de leur stratégie. Elle ne consiste plus à rapatrier les minéraux sur leur sol mais à contrôler la production et la transformation sur place. C’est un mouvement qui semble irrésistible. L’Indonésie a interdit les exportations de nickel brut et va bientôt dépasser la Chine en tant que premier transformateur de nickel au monde grâce à des investissements… chinois de quelques 30 milliards de dollars. Les nouvelles usines peuvent transformer le minerai indonésien à faible teneur en nickel de « qualité batterie » à moindre coût que les groupes miniers d’autres pays ne peuvent extraire des minerais de meilleure qualité. Cela bouleverse l’équilibre du marché mondial du nickel et met en danger de disparition les concurrents étrangers des groupes chinois.
Le nickel calédonien sauvé par le gouvernement français
Les gisements de Nouvelle Calédonie sont ainsi directement menacés. Il faut dire que la production de nickel n’est plus rentable en Nouvelle-Calédonie depuis 13 ans… Pour sauver le nickel calédonien, le gouvernement français et Eramet doivent d’ailleurs annoncer dans les prochaines semaines un plan de sauvetage qui reviendra à subventionner jusqu’à 50% la production. Et il n’y a pas que le nickel calédonien qui soit en danger de mort. Plus de la moitié de la production mondiale de nickel de « qualité batterie » n’est plus rentable lorsque les cours tombent en dessous de 16.500 dollars par tonne métrique. En février, le prix du nickel est brièvement passé sous la barre des 16 000 dollars, après avoir culminé à 48.000 dollars en 2022. Depuis les cours sont légèrement remonté à 16.750 dollars, à peine de quoi atteindre le seuil de rentabilité. Du coup, les producteurs occidentaux de nickel dont Anglo American et BHP réduisent leurs activités. Et Glencore vend sa participation de 49% dans la production en Nouvelle-Calédonie en dépit des tentatives du gouvernement français de renflouer cette activité.
Et ce n’est qu’un début. Les capacités de production indonésiennes à bas coûts ne vont cesser de croître. Elles devraient doubler pour atteindre 600.000 tonnes lors des trois prochaines années et tripler pour atteindre 900.000 tonnes d’ici 2030. Selon Gavekal, l’Indonésie cherchera à maintenir les prix du nickel entre 15.000 et 18.000 dollars la tonne métrique, un niveau suffisamment élevé pour que les raffineurs nationaux soient rentables et suffisamment bas pour affaiblir les producteurs étrangers.
Le cobalt comme le nickel
L’histoire du marché du cobalt est assez similaire à celle du nickel. Environ 75% du cobalt brut mondial est extrait dans un seul pays, la République démocratique du Congo (RDC), en grande partie par des groupes chinois. Lorsque le producteur chinois CMOC a augmenté sa production en RDC de 172% l’an dernier, les prix ont chuté de moitié par rapport à leur niveau de 2022. La Chine en détruisant ses concurrents devrait contrôler 60% de l’offre mondiale de cobalt d’ici 2025 contre 54% l’an dernier. L’offre devrait rester supérieure à la demande jusqu’en 2028.
L’Indonésie joue encore un rôle essentiel dans la déstabilisation du marché du cobalt. Le cobalt indonésien est un sous-produit des usines chinoises de nickel via le procédé dit de lixiviation à l’acide. Il permet de produire une tonne de cobalt pour neuf tonnes de nickel. L’Indonésie a produit 8% de l’offre mondiale en 2023, soit près du double du total de 2022, et ce n’est qu’un début. Cela a contribué à la chute brutale du prix du cobalt, passé sous la barre des 40.000 dollars la tonne métrique après avoir culminé à 80.000 dollars. L’Indonésie prévoit de produire 100.000 tonnes de cobalt par an d’ici 2030.
Et ce qui se passe avec le nickel et le cobalt donne des idées aux producteurs de lithium. Le Ghana, la Namibie, la Tanzanie et le Zimbabwe ont interdit les exportations de minerai brut de lithium. Si une partie de la transformation ne se fera plus en Chine, les investissements et le savoir-faire seront toujours fournis par les entreprises chinoises. L’an dernier un consortium chinois a accepté d’investir plus d’un milliard de dollars pour traiter le lithium en Bolivie.
L’Europe dans un monde de fantaisies
Pendant ce temps-là, l’Europe vit dans un monde de fantaisies et se donne des objectifs inatteignables. Le texte de loi de l’Union Européenne (UE) sur les matières premières critiques fixe des objectifs de production pour 17 matériaux d’ici à 2030 et stipule que pas plus de 65% ne pourront provenir d’un seul pays tiers. Une décision d’ores et déjà vouée à l’échec dans la mesure ou l’UE ne subventionne ni l’exploitation minière ni la transformation. Cela signifie que les véhicules électriques produits en Europe resteront considérablement plus chers que ceux fabriqués en Chine. La batterie est le composant essentiel qui détermine le coût de production d’un véhicule électrique.