Il existe n’existe pas de grande puissance sans souveraineté énergétique. C’est le cas évidemment des grandes puissances grands producteurs d’énergies fossiles, les Etats-Unis et la Russie. C’était le cas dans le passé des grands pays européens quand ils produisaient beaucoup de charbon, ce que fait encore l’Allemagne. Mais il y a aussi des puissances électriques. C’était le cas de la France, moins aujourd’hui, quand elle était le premier exportateur mondial d’électricité grâce à son parc nucléaire et c’est devenu le cas maintenant de la Chine. Ce n’est pas pour rien si de façon délibérée et stratégique, Beijing a pris ou prend le contrôle des industries clés de la transition énergétique toutes orientées vers la production ou l’usage et la transformation de l’électricité : solaire, éolien, véhicules électriques et batteries, électrolyseur, pompes à chaleur, matériaux critiques et, évidemment, le nucléaire.
Première puissance nucléaire civile
La Chine va devenir assez rapidement, ce qui n’est pas forcément présent à l’esprit de tout le monde, la première puissance nucléaire civile du monde. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), la Chine a aujourd’hui 23 réacteurs nucléaires en cours de construction, avec une capacité de production de l’ordre de 22 gigawatts (GW), et 55 réacteurs en service. Entre 2017 et 2021, pas moins de 16 nouveaux réacteurs sont entrés en service dont les deux EPR de conception française à Taishan (voir la photographie ci-dessus). A la fin de l’année, la capacité installée de production électrique nucléaire en Chine sera de 57 GW. Seuls les Etats-Unis en ont plus avec 96 GW.
Le nombre de réacteurs en construction est aujourd’hui en Chine deux fois et demi plus important qu’aucun autre pays (voir le tableau ci-dessous). La Chine entend atteindre 10% d’électricité produite dans des centrales nucléaires en 2035 (150 GW), ce qui implique la construction de près d’une centaine de réacteurs d’ici-là ! Elle deviendra alors de loin la première puissance mondiale du nucléaire civil. Cette ambition sera notamment assurée par le nouveau réacteur « Hualong » (Dragon). Beijing considère que le nucléaire est le seul véritable moyen de remplacer par la fiabilité de la production et la puissance délivrée les centrales au charbon qui assurent 60% de sa production d’électricité.
En bleu foncé, capacités de production d’électricité nucléaire en cours de construction en GW. En bleu clair, nombre de réacteurs en construction. Source AIEA.
Un réacteur expérimental au thorium
Et la Chine ne fait pas seulement la course en tête en termes de capacités mais aussi de technologies. Elle vient ainsi d’annoncer une première mondiale, la mise en service d’un réacteur expérimental au thorium à sels fondus. Ce type de réacteur fait partie de la catégorie des réacteurs dits à surgénération qui sont plus sûrs, capables de fabriquer plus de combustibles qu’ils n’en consomment et qui rejettent peu de déchets par rapports aux réacteurs à fission classiques. Ils représentent l’avenir à moyen et long terme de l’énergie nucléaire, au moins pour ce qui est de la fission. La France était en pointe sur une autre technologie permettant la surgénération, les réacteurs à neutrons rapides, avec Phénix et SuperPhénix et le programme de recherche Astrid. Des réacteurs et des programmes qui ont été arrêtés pour des raisons politiciennes respectivement par Lionel Jospin à la fin du siècle dernier et Emmanuel Macron en 2019…
Si aujourd’hui encore plus de 70% de la capacité nucléaire existante dans le monde se trouve dans des pays développés membres de l’OCDE, en fait environ 75% des réacteurs nucléaires en construction se trouvent dans des pays en développement, la Chine mais aussi l’Inde et la Turquie. Mais la Chine est évidemment un cas à part en termes à la fois de production et de besoins en énergie. La production totale d’énergie du pays a dépassé 7.600 térawattheures l’an dernier à comparer aux 1.280 térawattheures produits en 2000.
Le retour mondial du nucléaire
En tout cas, la puissance industrielle et technologique chinoise en matière nucléaire est tout sauf anodine car elle s’inscrit dans un mouvement général très favorable à l’énergie nucléaire. Son déclin voire même sa disparition ont été annoncés bien trop tôt… Même au sein de l’ONG Greenpeace, adversaire idéologique historique du nucléaire, des voix différentes se font entendre aujourd’hui. L’AIEA prévoit aujourd’hui une forte augmentation de la capacité de production nucléaire au cours des trois prochaines décennies.
Dans le scénario le plus favorable au nucléaire, l’AIEA prévoit le doublement au moins de la puissance installée, qui grimperait à 890 gigawatts en 2050 contre 369 GW actuellement. Elle misait auparavant sur 873 GW. Mais cela ne doit pas masquer le vieillissement du parc mondial de réacteurs nucléaires. Le renouveler est une tâche de longue haleine. La construction d’un réacteur prend en général environ une décennie et le retour en grâce du nucléaire est très récent. Le nombre de chantiers lancés chaque année , 10 en 2022, dont la moitié en Chine, est encore très loin du rythme des années 1970-80. La seule année 1976, au lendemain du choc pétrolier, avait vu le lancement de 44 constructions.