Dans la transition énergétique, la production d’électricité et depuis quelques temps les transports accaparent toute l’attention et la plupart des moyens. Il s’agit d’une stratégie assez peu efficace de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour ce qui est de l’électricité, en France, les gains sont limités puisque sa production est décarbonée à près de 90% grâce avant tout au nucléaire et à l’hydraulique. Pour ce qui est des transports, les gains sont potentiellement bien plus importants mais ils seront lents. Le passage au véhicule électrique d’une part significative du parc automobile va prendre de nombreuses années. Et dans les transports de marchandise et sur longue distance aussi bien terrestres, maritimes qu’aériens, les technologies de substitution sont balbutiantes. Le chauffage et la climatisation des bâtiments permettraient des gains plus rapides. Et pas seulement avec la rénovation thermique ou l’interdiction des chaudières au fuel et au gaz. C’est ce que montre la Cour des comptes qui avec 9 chambres régionales des comptes vient de réaliser une enquête et publier un rapport sur le potentiel des réseaux de chaleur ou du chauffage urbain.
Schéma d’un réseau de chaleur
La Cour explique que si le chauffage urbain est réalisé à partir d’énergies renouvelables, il représente «une contribution efficace à la transition énergétique qui reste insuffisamment exploitée». Il présente de nombreux avantages dans les quartiers denses et très peuplés.
Les collectivités locales manquent de stratégies et de compétences
Le pays s’est ainsi donné comme objectif «par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la France de multiplier par cinq entre 2012 et 2030 la quantité de chaleur et de froid renouvelables et de récupération livrée par les réseaux de chaleur et de froid, ce qui correspondrait à une production de chaleur renouvelable représentant 3,4 millions de tonnes d’équivalent pétrole en 2030». Mais les objectifs seront difficiles à atteindre si les réseaux de chaleur ne deviennent pas une priorité.
La consommation de chaleur renouvelable par les réseaux est passée de 0,68 à 1,21 Mtep entre 2012 et 2019, une croissance annuelle de 10% jugée «insuffisante» par la Cour des comptes. En France, «le taux de pénétration de ces systèmes est en-deçà de la moyenne européenne». Le nombre de réseaux neutres en carbone est passé de 19 en 2013 à 154 en 2019, sur un total d’environ 800, ce qui est trop peu. Pour la Cour, les collectivités doivent mieux planifier la mise en place de ces infrastructures et ensuite les piloter et les gérer quand elles existent.
Dans sa dernière enquête annuelle, le SNCU (Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine) fait état de 798 réseaux de chaleur en France à fin 2019, d’une longueur cumulée de 5 964 kms. Près de 41.000 bâtiments (principalement résidentiels et tertiaires), soit 2,37 millions d’équivalents logements», sont raccordés à ces réseaux.
Comparaison européenne de la part des réseaux de chaleur dans le chauffage résidentiel et du taux de renouvelables utilisés.
En raison du poids des investissements nécessaires, 80% des réseaux de chaleur font l’objet d’une délégation de service public. Or la Cour soulignent plusieurs cas de contrôles «lacunaires» de la part de collectivités qui n’y consacrent pas les ressources humaines et techniques nécessaires. «Ces lacunes doivent être comblées par un transfert de compétences adéquat à toutes» les intercommunalités de plus de 20.000 habitants, préconise le rapport.
Absence de transparence sur les prix
Il appelle aussi à plus de transparence sur les données économiques des contrats et des délégations de service public, notamment sur le prix de vente réelle de la chaleur. Au nom de la préservation des secrets industriels et commerciaux, «des exploitants de réseau… les rendent peu accessibles».
Pour finir, la Cour demande un renforcement du soutien public au chauffage urbain. Elle considère que le taux réduit de TVA (5,5%) sur les réseaux alimentés par des énergies renouvelables est bon exemple de ce qu’il faut faire. Cela représente une dépense fiscale de 67 millions d’euros par an. Mais «cette mesure est cependant efficace et incitative pour le développement des énergies renouvelables» même si elle risque de se heurter aux règles de concurrence européenne. La Cour met en avant d’autres formes possibles de soutien. Il pourrait «être envisagé de modifier, sous certaines conditions, les règles actuelles de partage de l’amortissement des coûts de raccordement à un réseau de chaleur entre bailleurs et locataires, en contrepartie des économies d’énergie obtenues par cet investissement». Le rapport évoque également «la possibilité de conditionner (dans le code de l’urbanisme) l’autorisation de construire à la réalisation et au financement par l’aménageur des travaux nécessaires à la viabilité des réseaux de chaleur et de froid, au même titre que les autres réseaux, notamment de gaz naturel».