La Terre chauffe. On sait que la température intérieure augmente quand on s’enfonce dans la croûte terrestre. À 25 km de profondeur, elle atteint 750 degrés; au centre, on l’estime à 4.000℃. Des sources chaudes sont connues depuis l’antiquité et aujourd’hui on utilise la géothermie pour chauffer les appartements. Les éruptions volcaniques, les geysers, les séismes sont autant de signes d’une énergie interne.
On mesure un flux thermique moyen émis par la surface de 87 milliwatts par m2, soit un dix millième de la puissance reçue du Soleil, pour une puissance totale émise par la Terre de 47 térawatts, soit plusieurs milliers de centrales nucléaires. L’origine en est restée longtemps un mystère, on sait aujourd’hui que la majeure partie relève de la radioactivité.
Comment naissent les atomes?
Pour comprendre l’origine de cette chaleur, il faut remonter à la genèse des éléments atomiques. Le Big Bang a produit de la matière sous forme de protons, neutrons, électrons et neutrinos. Vers 370.000 ans, les premiers atomes se sont formés, les protons attirant des électrons pour donner de l’hydrogène. D’autres noyaux un peu plus lourds, deutérium, hélium, se sont produits en parallèle, c’est ce qu’on appelle la nucléosynthèse primordiale.
Le chemin a été beaucoup plus laborieux pour créer les éléments lourds. Il a fallu attendre la formation des étoiles et les noyaux lourds sont nés par accrétion dans le chaudron stellaire; c’est la nucléosynthèse stellaire qui a demandé des milliards d’années de gestation. Puis, ces éléments se sont répandus dans l’espace au moment de la mort des étoiles pour se retrouver capturés au niveau des planètes.
La composition de la Terre est donc très compliquée et on y trouve, heureusement pour notre existence, tous les éléments naturels depuis l’hydrogène, l’atome le plus simple, jusqu’aux atomes lourds tels que l’uranium en passant par carbone, fer… et toute la table de Mendeleïev. Les entrailles de la Terre renferment la panoplie des éléments atomiques rassemblés dans différentes couches qui se répartissent selon une structure en oignon.
La terre est radioactive
On connaît assez mal l’intérieur de notre planète, les mines les plus profondes atteignent au plus 10 km alors que son rayon est de 6.500 km. La connaissance expérimentale plus interne est obtenue par mesures sismiques. À partir de telles données, les géologues ont divisé la structure terrestre en différentes strates: au centre le cœur, présentant une partie interne solide et une partie externe liquide, puis viennent les manteaux interne et externe et enfin la croûte. Or la Terre, du fait de sa composition en éléments lourds qui sont instables, est radioactive, et cela suggère une méthode complémentaire originale pour examiner son intérieur et mieux comprendre d’où vient sa chaleur.
La radioactivité est un phénomène naturel très commun et incontournable. Tout sur Terre est radioactif, c’est-à-dire produit spontanément des particules élémentaires, et nous-mêmes nous émettons quelques milliers de particules chaque seconde. L’opinion publique ne s’en effrayait nullement au temps de Marie Curie.
Au contraire, on en vantait les bienfaits: on achetait des crèmes de beauté certifiées radioactives et on glorifiait les propriétés des eaux minérales, ce qu’évoque la littérature de l’époque. Maurice Leblanc écrit d’une source thermale qui sauve Arsène Lupin au cours d’une de ses aventures: «L’eau contient des principes d’énergie et de puissance qui en font vraiment une fontaine de jouvence, principes provenant de la radioactivité stupéfiante.» (Maurice Leblanc, «La demoiselle aux yeux verts», 1927)
Une production de géoneutrinos
On connaît divers types de radioactivité, chacun donnant lieu à une émission spontanée de particules et dégageant de l’énergie qui se révèle par un dépôt de chaleur. Pour ce qui va suivre, on s’intéressera à la désintégration de type «beta» qui émet un électron accompagné d’un neutrino. L’électron est absorbé dès qu’il est produit, mais le neutrino a la propriété très remarquable de pouvoir traverser beaucoup de matière sans être arrêté.
La Terre entière est transparente aux neutrinos et donc la détection de neutrinos engendrés par les désintégrations radioactives à l’intérieur de la Terre permet, en principe, de jeter un coup d’œil sur ce qui se passe à grande profondeur.
Les géoneutrinos, nom donné à ces particules produites par notre planète, donnent donc une méthode originale d’investigation de la Terre profonde. Encore faut-il les détecter, ce qui est un tour de force puisqu’un neutrino réagit très peu avec la matière. Néanmoins, des détecteurs suffisamment massifs existent et se sont révélés adaptés à une telle recherche.
Les géoneutrinos ont pour sources principales les éléments lourds à temps de vie très longs dont on connaît précisément les propriétés grâce aux études en laboratoire. Il s’agit principalement des éléments uranium, thorium et potassium. Par exemple, la désintégration du noyau de l’uranium 238 donne en moyenne 6 neutrinos en même temps qu’elle libère 52 méga-électron-volt d’énergie portée par les particules émises qui s’arrêteront dans la matière et déposeront de la chaleur. Chaque neutrino porte une énergie autour de 2 méga-électron-volt. Rappelons qu’une énergie de 1 méga-électron-volt correspond, en unités officielles, à 1,6 10-13 joules. Cela signifie que la chaleur totale de la Terre demande environ 1025 désintégrations chaque seconde. Peut-on détecter ces neutrinos?
Pas de réacteur nucléaire au centre de la terre
En pratique, on est limité à faire une mesure globale au point où est situé le dispositif qui voit arriver des flux venant de toutes les directions. Il est ensuite compliqué d’obtenir l’information précise sur les origines, la direction d’arrivée ne pouvant être mesurée. Il faut s’appuyer sur des modèles à partir desquels on développe des simulations informatiques. Connaissant les spectres d’énergie de chaque mode de désintégrations et modélisant la densité et l’emplacement des différentes strates géologiques contribuant au résultat final, on extrait un spectre global des neutrinos attendus et on en déduit le nombre d’événements prédits dans un détecteur donné. Ce nombre est toujours très faible: il s’élève à une poignée d’événements par kilotonne de détecteur et par an.
Deux expériences ont récemment contribué à cette recherche: Kamland, un détecteur tapi sous une montagne japonaise pesant 1.000 tonnes et Borexino installé dans une galerie creusée sous la montagne du Gran Sasso en Italie et pesant 280 tonnes. Dans les deux cas, le milieu sensible est constitué de «scintillateur liquide». En effet, pour détecter les géoneutrinos ou du cosmos, il faut mettre en œuvre une détection efficace aux basses énergies: c’est l’excitation d’atomes d’un liquide scintillant. Un neutrino interagit sur un proton et les particules produites se révèlent in fine par de la lumière qu’on sait repérer.
Kamland annonce plus de 100 événements et Borexino une vingtaine d’événements attribuables aux géoneutrinos avec des incertitudes de 20 à 30%. On ne sait pas remonter à leur point d’émission, mais cette mesure globale –bien qu’assez grossière– suffit pour montrer l’accord avec les prédictions des simulations dans la limite de la faible statistique obtenue.
Ainsi, l’hypothèse avancée dans le passé de la présence d’un réacteur nucléaire au centre de notre Terre, qui aurait été constitué d’une boule d’uranium fissionnant comme dans les réacteurs produisant de l’électricité, est aujourd’hui exclue. La fission est un type de radioactivité non plus spontané, mais stimulé.
Dans le futur, on attend la contribution de nouveaux détecteurs plus performants en préparation au Canada, SNO+, et en Chine, Juno, qui affineront notre connaissance sur les géoneutrinos.
«Loin d’être un appauvrissement, l’adjonction à la chose visible de la chose invisible fait plus que de l’enrichir, elle lui donne un sens, elle la complète.» (Paul Claudel, «Positions et propositions», 1928)
François Vannucci Professeur émérite, chercheur en physique des particules, spécialiste des neutrinos, Université de Paris
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons Lire l’article original sur The Conversation.