L’humanité a traversé depuis le début du XIXe siècle plusieurs phases de transitions énergétiques ou de substitutions énergétiques pour employer les termes du chercheur italien, Cesare Marchetti. Ce physicien né à Luca en 1927 a consacré une partie de sa vie à étudier ses transitions et à construire dans les années 1970 un modèle que l’on retrouve dans le graphique ci-dessus.
Les vagues de Marchetti montrent une chose importante: toutes les sources d’énergie majeures de l’âge industriel suivent une tendance similaire en entrant sur le marché. Il leur faut entre 40 et 50 ans pour passer de 1 à 10% du marché mondial. Pour éventuellement ensuite prendre la moitié du marché, il leur faut en tout un siècle par rapport à la période où elles en détenaient 1%.
Utilisant des données historiques sur le bois, le charbon, le pétrole et le gaz naturel, le chercheur a découvert que la place prise à long terme par ces sources d’énergie était liée avant tout à la croissance et au déclin des conditions logistiques de leur exploitation. Il a publié une première étude sur son modèle de substitution en 1977.
Cesare Marchetti a ainsi introduit dans l’analyse des systèmes énergétiques le modèle dit de croissance logistique qui provient de la biologie et des limites de croissance des populations dans un environnement donné. Ce type d’analyse a été ensuite utilisé pour étudier la pénétration des nouvelles technologies sur un marché. Le terme «d’horloge interne» a été souvent utilisé par Cesare Marchetti pour décrire le comportement de long terme du marché mondial de l’énergie.
Voilà comment il expliquait simplement le fonctionnement de son modèle de substitutions: «La meilleure description opérationnelle est celle d’Alice au Pays des Merveilles qui voit des fleurs et des fleurs, les prend, et alors voit de plus belles fleurs, les prend et jette les anciennes fleurs et continue ainsi. La question évidemment est qui prend les fleurs… peut-être les politiques ou les dirigeants de grandes sociétés sont-ils les vrais décideurs. J’ai eu de nombreuses discussions avec eux et ils ont été nombreux à me dire: «nous semblons être les preneurs de décisions, mais nous sommes si fortement conditionnés que finalement nous ne reconnaissons pas les décisions comme étant vraiment les nôtres. Nous cherchons surtout à optimiser les choses…». La contrainte réelle ne semble pas venir du domaine des ressources physiques, mais de la coopération et de la dynamique internationale.»
Une chose apparemment n’a pas fonctionné dans ce modèle, la part prise par l’énergie nucléaire. Après une croissance rapide et spectaculaire entre 1975 et 1985, après les chocs pétroliers, l’utilisation de cette source d’énergie a été stoppée par un phénomène que Cesare Marchetti n’avait pas inclus dans son modèle: la peur. Une crainte des populations et des décideurs politiques face au nucléaire difficile à mettre en équation, car elle a indéniablement des côtés irrationnels.
Léon Thau