Un cartel mondial pour sauver le pétrole

10 avril 2020

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Pont tanker wikimedia commons
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Un cartel mondial pour sauver le pétrole

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Un accord de principe entre les pays producteurs de pétrole, et plus particulièrement l'Arabie Saoudite et la Russie, a été annoncé le 9 avril sur une forte baisse de la production de l'ordre de 10 millions de barils par jour. D'autres pays producteurs, dont les Etats-Unis, le Canada, la Norvège et le Brésil, participeront à cette tentative de remise en ordre du marché pétrolier.

Réunis en visioconférence jeudi 9 avril, afin de trouver le moyen d’enrayer la chute des cours du pétrole et de stabiliser le marché, l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) et ses alliés, devenus depuis 2016 l’Opep+, sont parvenus à leur fin. Un accord «de principe» portant sur une baisse de la production quotidienne de 10 millions de barils a été annoncé. Il doit entrer en vigueur le 1er mai. Etaient représentés lors de cette réunion extraordinaire les 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) avec à sa tête l’Arabie Saoudite, leurs 10 partenaires menés par la Russie et même de nouveaux venus producteurs de pétrole à l’instar du Canada, de la Norvège et du Brésil.

On peut même dire que l’ombre des Etats-Unis, redevenu le premier producteur au monde grâce au pétrole de schiste (voir le tableau ci-dessous), planait sur la réunion. Donald Trump s’est notamment beaucoup employé pour qu’elle voit le jour. Le 2 avril, il annonçait dans un premier tweet triomphant: «je viens de parler à mon ami MBS [le prince héritier Mohamed ben Salman], qui a parlé avec le président Poutine, et j’espère et je m’attends à ce qu’ils réduisent leur production d’environ 10 millions de barils, et peut-être nettement plus.» Il ajoutait quelques temps plus tard dans un second tweet: «cela pourrait même aller jusqu’à 15 millions de barils. Bonne (excellente) nouvelle pour tout le monde!» Le Président des Etats-Unis a même menacé il y a quelques jours de taxer le pétrole saoudien et russe importé s’ils ne parvenaient pas à s’entendre.

Mais les Etats-Unis ne pouvaient être présents à la réunion et participer de fait au fonctionnement d’un cartel, leur loi antitrust l’interdit. Cela ne les empêchera de contribuer à la réduction de l’offre mondiale de pétrole, puisque leur production devrait baisser «organiquement» d’environ 4 millions de barils par jour lors des prochains mois. Le coût moyen très élevé de la production de pétrole de schiste, de l’ordre de 50 dollars le baril, rend tout simplement impossible l’exploitation de nombreux puits américains aujourd’hui impossible.

Producteurs Pétrole Monde 2019 CIA Factbook

Producteurs Pétrole Monde 2019 CIA Factbook

L’accord trouvé consiste donc en une baisse de production massive par l’Opep+ de 10 à 11 millions de barils par jour (10 à 11% de la production mondiale) en mai et juin additionnée d’une baisse de 5 millions de barils des producteurs extérieurs au groupe. L’Arabie Saoudite réduira sa production quotidienne de 4 millions de barils et la Russie de 2 millions. Cet accord sera révisé lors d’une prochaine réunion de l’Opep+ le 10 juin en fonction de l’évolution de l’économie mondiale et de la consommation de pétrole.

La baisse de la production comprise donc entre 10 et 15 millions de barils par jour correspond aujourd’hui à la baisse moyenne de la consommation sur l’année prévue par les experts. Mais cette estimation est incertaine et dépend d’un rebond de l’activité économique à partir de l’été. Car au mois d’avril, la demande de pétrole dans le monde devrait reculer de 25 à 27 millions de barils par jour par rapport à 2019. Cela explique sans doute pourquoi, l’accueil de l’accord sur le marché pétrolier a été très circonspect. Le baril est même retombé sous les 32 dollars. Il faut dire aussi que le baril a regagné plus de 40% en une semaine après être tombé à 23 dollars au début du mois d’avril. L’objectif premier de l’accord est avant tout de stabiliser un marché devenu chaotique du fait à la fois de l’effondrement de la demande lié à la pandémie et des rivalités acharnées entre pays producteurs.

Plus forte baisse de consommation de l’histoire

Vexée le 6 mars par la décision russe de refuser une nouvelle réduction, alors minime, de production pour faire face aux première conséquences de la pandémie de coronavirus, l’Arabie saoudite avait décidé de lancer une guerre des prix et en même temps d’augmenter sa production pour inonder le marché. «C’est la première fois que je vois un choc provoqué par une forte baisse de la demande et dans le même temps une forte augmentation de l’offre», expliquait alors stupéfait Ed Morse, le responsable des matières premières de Citigroup.

Au moment où se produisait, la plus forte baisse de consommation de pétrole de l’histoire, le plus grand pays exportateur de pétrole augmentait brutalement son offre! Les cours du pétrole se sont effondrés de 50% après avoir déjà perdu 25% après le déclenchement de l’épidémie en Chine. Et cela s’était seulement sur les marchés financiers.

Sur le marché dit physique, celui des vrais barils et des vrais tankers, le krach pétrolier a été encore plus sanglant, les barils contenus dans les soutes des pétroliers géants ne trouvant plus aucun acheteur sauf à des prix effondrés. La production de pétrole ne s’arrête pas comme cela. L’exploitation d’un champ ne se stoppe pas facilement. Fermer trop rapidement un forage peut en outre l’endommager définitivement. Comme en plus les capacités de stockage des barils dans le monde arrivaient rapidement à saturation et que les producteurs américains de pétrole de schiste appelaient au secours leurs alliés au Congrès et à la Maison Blanche, il devait se passer quelque chose.

Le diable se cache dans les détails

Le retournement s’est produit dès le début du mois d’avril. L’idée d’un nouvel accord de baisse de production bien plus massif entre les partenaires de l’Opep+ et leurs alliés de l’ombre est devenue publique. Notamment grâce à Donald Trump. Les cours du brut ont lors regagné près de 50% en quelques jours  et tout le monde a vu que cela pouvait fonctionner.

Maintenant, si le monde pétrolier respire mieux, le diable se cache dans les détails de l’accord «de principe» et de son exécution. Il faudra déjà respecter les engagements. Dans le passé, la Russie et certains petits pays de l’Opep n’ont pas été très regardants sur la vente de quelques centaines de milliers de barils supplémentaires… L’Arabie Saoudite ne semble plus prête à accepter ce petit jeu.

La question aussi est de savoir quel niveau de production servira de base de calcul. L’Arabie Saoudite, par exemple, a fait passer sa production en quelques semaines de moins de 10 millions de barils par jour à plus de 12,3 millions. Elle est la seule à pouvoir faire cela. La première semaine d’avril, la compagnie saoudienne Aramco a exporté 10,8 millions de barils par jour, soit 3,8 millions de plus qu’en mars. L’Arabie Saoudite devrait réduire sa production à partir d’un niveau de 11 millions de barils par jour.

Cet accord, s’il est mis en œuvre devrait permettre une stabilisation voire une remontée progressive des prix du pétrole. C’est évidemment une bonne nouvelle pour les pays producteurs, pour l’industrie pétrolière et dans une certaine mesure pour la transition énergétique en rendant le pétrole moins attractif. C’est en revanche une mauvaise nouvelle pour l’économie mondiale frappée par la plus grave crise depuis la seconde guerre mondiale. Pour sortir d’une récession aussi profonde, de l’énergie à prix cassé aurait été un atout.

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