Les carburants de synthèse ou électro-carburants (e-fuels) font l’objet depuis de nombreuses années de polémiques et de rejets difficiles à justifier ou même expliquer. Ils présentent, comme tout vecteur d’énergie, des avantages et des inconvénients qu’il faut soigneusement mesurer et ainsi les utiliser à bon escient dans la stratégie de transition énergétique. A condition d’être fabriqués à partir d’hydrogène vert ou décarboné et à partir de carbone capté dans l’atmosphère, ils sont totalement neutres en termes d’émissions de gaz à effet de serre. Les carburants de synthèse peuvent être des substituts chimiquement identiques au kérosène, à l’ammoniac, au gaz naturel, au méthanol, à l’essence, au fioul… Ils peuvent ainsi remplacer parfaitement dans certaines activités industrielles (sidérurgie, cimenteries, verreries, chimie…) et dans les transports lourds (aérien, maritime voire terrestre) les carburants fossiles ce qu’il n’est pas toujours possible de faire avec de l’électricité. Au passage, l’humanité ne peut tout simplement pas se passer de ciment, de fer et d’engrais azoté sinon elle meurt de faim et ne peut plus rien construire…
Une technologie maîtrisée mais des coûts très élevés
Rejeter les carburants synthétiques à priori sous prétexte qu’ils permettraient de ne pas faire les efforts de transformation nécessaire et de faire perdurer certaines activités économiques est un raisonnement douteux. Il procède avant tout du recyclage crypto-marxiste de la haine anticapitaliste. Ce qui importe c’est le résultat, c’est-à-dire la décarbonation.
Le principal obstacle au développement des carburants synthétiques n’est pas aujourd’hui la technologie, maîtrisée dans son principe depuis la seconde guerre mondiale par l’Allemagne nazie avec le procédé Fischer-Topsch de liquéfaction du charbon, mais les coûts et le passage à une échelle industrielle. Fabriquer de l’hydrogène vert nécessite beaucoup d’électricité décarbonée tout comme la capture de CO2 dans l’atmosphère. Considérer qu’il s’agit d’un gaspillage d’énergie verte est là encore un raisonnement contestable. Puisque l’intérêt principal des carburants synthétiques consiste à les utiliser quand il n’existe pas d’autres possibilités pour se passer des combustibles fossiles.
Voilà pourquoi un peu partout dans le monde des projets se multiplient. Le Bureau français des e-fuels, qui regroupe des groupes énergétiques et aussi des utilisateurs potentiels de carburants synthétiques comme Airbus, Air France-KLM ou CMA-CGM, en a recensé plus de 500 avec des modes de production à partir d’hydrogène vert produit à partir d’électricité bas carbone renouvelable ou nucléaire.
« Là où les projets sont le plus nombreux est là où le prix de l’électricité est le plus bas », explique Charlotte de Lorgeril du cabinet Sia Partners, porte-parole du Bureau français des e-fuels. Sur les 500 projets existants, 77 d’entre eux, répartis dans le monde dont 5 en Europe, devraient disposer d’une capacité de production annuelle de plus de 200.000 tonnes équivalent pétrole. Sur ce total, une dizaine a atteint le stade de la décision finale d’investissement. Pas moins de 66 sur ses 77 projets concernent la production d’e-ammoniac destiné avant tout à la production d’engrais azoté. L’ammoniac de synthèse pourrait aussi être utiliser comme carburant marin pour les porte-containeurs géants. Cinq autres projets concernent la production d’e-méthanol et cinq la production d’e-kérosène, destiné à l’aviation.
24 projets en France
En France, le Bureau a recensé 24 projets de production de carburants de synthèse, dont 7 en cours de développement à l’échelle industrielle. Ils représentent une capacité de production annuelle équivalente à 528.000 tonnes de pétrole, de kérosène et de méthanol de synthèse. Leur production nécessitera entre 14 et 18 TWh d’électricité décarbonée par an, soit l’équivalent de 3% de l’ensemble de la production électrique française. La production électrique française est décarbonée à plus de 90% avec le nucléaire, l’hydraulique et les renouvelables intermittents éolien et solaire.
« La France a une électricité relativement bon marché et en grande quantité, on demande à ce qu’une partie soit dédiée aux e-fuels pour lancer la filière », plaide Cédric de Saint-Jouan, président de Vol-V. A partir de 2035, il estime qu’il sera impératif de développer des capacités de production électrique verte supplémentaires pour accompagner la montée en puissance de la filière et permettre de décarboner les transports maritime et aérien.