Les énergies fossiles sont condamnées à décliner. La consommation de pétrole va baisser. Mais entre les discours volontaristes sur la transition énergétique et la réalité, il existe un gouffre. L’an dernier, les énergies fossiles représentaient plus de 80% de la consommation énergétique mondiale. Et l’entrée en Bourse il y a quelques jours de la plus grande compagnie pétrolière mondiale, Saudi Aramco, s’est faite en fanfare…
En forte hausse dans les jours suivant son introduction, Aramco est devenue la première société cotée au monde dont la valeur a atteint et même dépassé 2.000 milliards de dollars. En mettant sur le marché 1,5% de son capital et en levant ainsi 25,6 milliards de dollars, Aramco avait déjà réalisé la plus grosse introduction en Bourse de l’histoire. Lors de sa première séance de cotation, la semaine dernière, le 11 décembre, l’action Aramco a grimpé de 10%, le maximum autorisé en une journée à la Bourse de Ryad. Son cours est passé de 32 riyals (7,66 euros) à 35,2 riyals (8,43 euros) portant la valorisation de l’entreprise à 1.880 milliards de dollars. Le lendemain, le 12 décembre, le prix de l’action d’Aramco a encore augmenté de plus de 9% pour atteindre 38,60 riyals (9,25 euros). Cela a porté la valorisation de l’entreprise à 2.060 milliards de dollars. Au passage, la Bourse de Ryad est devenue la septième place mondiale avec une capitalisation de 2.560 milliards de dollars.
Reste à savoir quelle est la signification économique de cet engouement pour l’action Aramco? Elle est proche de zéro. Il s’agit avant tout d’une cotation «politique». Comme le montre un article du Financial Times, après avoir considéré que l’achat d’actions était un devoir patriotique avant l’entrée en Bourse d’Aramco, les autorités ont «poussé» les familles fortunées et les institutions financières du pays à continuer à acheter des titres afin d’atteindre la fameuse valorisation de 2.000 milliards de dollars. Le Royaume a facilité les prêts bancaires et même offert des actions gratuites aux acheteurs privés.
Tout a été fait pour que l’entrée en Bourse de la compagnie pétrolière nationale saoudienne reflète la puissance économique du pays. Ainsi, comme les grandes institutions financières internationales valorisaient plutôt Aramco autour de 1.500 milliards de dollars, elles ont été de fait écartées. Les coordinateurs «officiels» de l’entrée en Bourse, Bank of America, Citigroup, Credit Suisse, JPMorgan, Goldman Sachs et Morgan Stanley ont été marginalisés en faveur de HSBC et des banques locales NCB et Samba qui ont privilégié les investisseurs régionaux et locaux plus sensibles aux sollicitations.
Un enjeu politique majeur pour le Royaume
Aramco est de fait le coeur de l’économie saoudienne et représente l’essentiel de ses exportations et même des recettes fiscales de l’Etat saoudien. Le succès de son introduction en Bourse est ainsi devenu une illustration de la solidité financière et politique du Royaume. Le prince héritier Mohammed ben Salmane, dirigeant de fait du Royaume, avait déjà évoqué une valorisation de 2.000 milliards de dollars il y a quatre ans en présentant le projet. Longtemps retardée, l’opération s’inscrit dans un grand plan de réformes économiques et sociales destinées à sortir l’économie de l’Arabie saoudite de sa dépendance aux exportations de brut.
Aramco a promis la distribution de dividendes annuels de 75 milliards de dollars jusqu’en 2024. C’est l’entreprise la plus profitable au monde. En avril, le groupe a ouvert ses comptes pour la première fois, annonçant un bénéfice net de 111,1 milliards de dollars en 2018, près du double de celui d’Apple (59,53 milliards de dollars). Avant la révélation des comptes d’Aramco, Apple était considéré comme la société la plus rentable de la planète.
Pour donner un ordre d’idée, Aramco a dégagé l’an dernier un bénéfice supérieur à ceux combinés de J.P. Morgan Chase, Alphabet (la société qui détient Google), Facebook et Exxon qui représentent 106 milliards de dollars. La société a produit en 2018, 13% du pétrole mondial. Autre illustration de la taille d’Aramco, ces réserves pétrolières sont cinq fois supérieures à celles additionnées d’ExxonMobil, Shell, Chevron, Total et BP.
En août, le géant saoudien a annoncé un bénéfice en baisse de 12% au premier semestre 2019, en raison de la baisse des cours du pétrole. Ces profits devraient aussi avoir été affectés dans la deuxième partie de l’année par l’attaque menée le 14 septembre par plus de 25 drones et missiles de technologie iranienne contre deux installations majeures d’Aramco, celles de Abqaiq et de Khurais. Abqaiq est la plus grande installation de traitement pétrolier au monde. Khurais est le deuxième plus important champ pétrolier saoudien avec une capacité de production de 1,45 million de barils par jour. Ces attaques visaient clairement à perturber l’entrée en Bourse d’Aramco. Au moins sur cet aspect, elles ont échoué.