Il y a quelques années l’histoire semblait écrite. Le déclin du pétrole était en cours, inéluctable et inévitable, et même les compagnies pétrolières le reconnaissaient et préparaient l’après or noir. La pandémie de 2020 avait fait s’effondrer la demande et pour de nombreux experts la consommation de pétrole ne retrouverait jamais ses niveaux d’avant le Covid-19. Toujours le même schéma, prendre ses désirs pour la réalité…
La solution pour les groupes pétroliers ? Abandonner les combustibles fossiles et se tourner vers les renouvelables, l’hydrogène et surtout les biocarburants. Une stratégie accueillie avec enthousiasme par les marchés financiers. On était alors au sommet de la bulle de l’investissement ESG (labélisé comme ayant à cœur les questions environnementales, sociales et de gouvernance), quand l’argent coulait à flot vers tout ce qui était présenté comme vert.
Les grandes compagnies pétrolières font machine arrière
Le retour au réel est comme toujours brutal. Après la débâcle en Bourse l’an dernier du secteur éolien, c’est au tour de la bulle des biocarburants d’éclater. Le secteur fait face à plusieurs sérieux problèmes. Des dépassements de coûts importants, des lacunes techniques et surtout une surabondance sur le marché de biocarburants à bas prix venus notamment d’Asie et de Chine. De plus, les prévisions enthousiastes sur l’envolée de la demande ne se sont jamais vraiment concrétisées. La consommation de pétrole augmente et les marges sur les biocarburants ont chuté.
Illustration, les grandes compagnies pétrolières qui pariaient sur les biocarburants font machine arrière. Le mois dernier, le groupe britannique Shell a annoncé suspendre son investissement dans ce qui devait être la plus grande raffinerie de biocarburants d’Europe à Rotterdam. Même coup de frein chez BP, qui a stoppé la création d’une usine du même type en Allemagne. Et les sites existants outre-Rhin, aux Pays-Bas, en Belgique, en France… sont à genoux. Plus d’une dizaine ont mis la clé sous la porte, quand les autres ont réduit leur production.
Aux Etats-Unis, Chevron qui en 2022 avait acheté le spécialiste des biocarburants Renewable Energy Pour 3,15 milliards de dollars a fermé deux de ses usines depuis le début de l’année compte tenu de conditions de marché jugées très défavorables.
Hypothèses erronées
Le problème est que l’engouement des années 2020-2022 pour les biocarburants a été construit sur des hypothèses erronées et notamment que le monde du Covid-19 allait être la nouvelle norme. La baisse de la consommation d’essence, de diesel et de kérosène était seulement le reflet des confinements et de la récession planétaire plutôt que d’une accélération de la transition.
Contrairement aux pronostics et prévisions faites alors par de multiples organismes et institutions, la demande de pétrole n’a pas reflué après avoir atteint un sommet en 2019… Quand les économies ont fini par redémarrer, surtout en Asie et en Amérique, les populations ont recommencé à se déplacer massivement.
En 2023, la demande de pétrole a atteint un sommet historique à plus de 102 millions de barils par jour en moyenne contre 100,5 millions en 2019. Et même avec des prévisions très prudentes, la consommation devrait être de l’ordre de 105 millions de barils par jour en 2029 selon l’Agence internationale de l’énergie.
Une stratégie européenne qui profite avant tout à la surproduction chinoise
Le monde consomme aujourd’hui plus d’essence, de diesel et de kérosène que jamais auparavant. Les carburants de substitution, biocarburants ou synthétiques à partir d’hydrogène, coûtent entre 2 et 6 fois plus selon leur nature et leur mode de production. Seules des subventions et des aides publiques massives sous la forme de baisses considérable des taxes peuvent soutenir la demande. Et cela est aujourd’hui menacé par le fait que les mouvements politiques critiques de la transition énergétique ont le vent en poupe en Europe comme en Amérique du Nord.
Et puis la demande n’est pas le seul problème. La ruée pour construire des usines de production de biocarburants, notamment en Chine, a créé une surproduction qui a déprimé les prix et rendus problématiques la rentabilité des projets annoncés et des équipements existants aux Etats-Unis et en Europe.
Fraude massive à l’huile de palme
L’an dernier, un rapport de la Cour des comptes européenne soulignait les « incohérences » des politiques conduites en faveur des biocarburants, d’une complexité inouïe, onéreuses pour les consommateurs, et béneficiant essentiellement… à des producteurs étrangers. Une trentaine d’usines de production de biodiesel ont poussé en Chine alimentant quasi exclusivement le marché européen.
Il y a aussi d’autres problèmes avec les biocarburants importés massivement d’Asie. Ceux qui sont concoctés à base d’huile de cuisson usagée cacheraient en fait un trafic d’huile de palme. L’Europe enquête depuis décembre 2023, mais sans surprise tarde à agir et à sévir…
E85, la France un cas particulier
Même les constructeurs automobile n’y croient pas. En France, grâce à un niveau de taxe très faible, l’éthanol E85 coûte environ la moitié du prix du litre d’essence. Du coup, même si la consommation est un peu plus élevée avec ce type de carburant, d’environ 20%, l’intérêt est évident pour l’automobiliste gros rouleur. Mais quasiment aucun constructeur ne propose d’origine des modèles capables de rouler avec ce carburant. Seuls Ford et le groupe Jaguar-Land- Rover commercialisent des voitures prévues pour ingurgiter ce carburant plus corrosif que le sans plomb. Cela contraint les adeptes de l’E85 à faire installer un kit par l’intermédiaire d’agents ou mélanger leur SP95-E10 avec un peu d’E85 à leurs risques et périls afin d’économiser quelques euros.
Mais la France est un cas particulier avec les pays scandinaves. Partout ailleurs, l’E85 est taxé de la même façon que l’essence sans plomb et compte tenu de son prix de revient est facturé un peu plus cher. Avec en plus l’augmentation de la consommation, il n’y a absolument aucun intérêt pour les automobilistes à acheter des modèles E85. Du point de vue des constructeurs engagés dans une transition à marches forcées vers l’électrique, le volume de vente est considéré comme trop insuffisant pour rentabiliser le coût du développement de modèles adaptés. Cela ressemble à une impasse.