<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Bruxelles accorde officiellement le label d’énergie «durable» au nucléaire et au gaz naturel

3 février 2022

Temps de lecture : 5 minutes
Photo : Centrale nucléaire
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Bruxelles accorde officiellement le label d’énergie «durable» au nucléaire et au gaz naturel

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La Commission européenne a résisté aux pressions qui voulaient l'empêcher d'accorder la qualification de «durable» à l'électricité d'origine nucléaire qui est pourtant la plus décarbonée qui soit. Elle l'a également accordé au passage au gaz naturel. Mais les opposants au nucléaire n'abdiquent pas pour autant. L'Autriche a l'intention de saisir la Cour de justice européenne pour contester la décision. L'Autriche bénéficie d'un potentiel hydroélectrique considérable ce qui lui permet de faire la leçon à tout le monde. Cela ne devrait pas empêcher la France d'annoncer vraisemblablement dès la semaine prochaine la commande de six nouveaux réacteurs EPR2.

L’intense bataille politique, économique, juridique et financière menée à Bruxelles depuis deux ans pour accorder le label «durable» au nucléaire et au gaz naturel, afin de leur donner accès à des financements privilégiés, a franchi une nouvelle étape le 2 février. La Commission européenne n’a pas cédé aux pressions des pays adversaires du nucléaire et de plusieurs ONG et a maintenu avec quelques modifications mineures son texte rendu public le 31 décembre dernier quelques minutes avant minuit.

Il reconnait, sous certaines conditions, la contribution de ses deux sources d’énergie à la lutte contre les émissions de gaz de serre. Les commissaires européens ont approuvé, lors de leur réunion hebdomadaire, une liste de critères permettant de classer comme «durables» les investissements dans des centrales nucléaires ou au gaz pour la production d’électricité. Un avantage financier jusqu’ici réservé aux énergies renouvelables. En clair, les banques européennes ont aujourd’hui un permis pour financer le nucléaire et le gaz.

Une opposition frontale entre les commissaires

Au sein même du collège des commissaires, les discussions étaient cirulentes entre «pro» et «anti» nucléaires. Thierry Breton, le commissaire français au marché intérieur,  ne se définit pas comme un «pro» nucléaire acharné, mais il lui paraît indispensable que le nucléaire soit accepté comme participant à la réalisation de l’objectif de neutralité carbone en 2050.

De son côté, Johannes Hahn, le commissaire autrichien n’a jamais fait mystère de son opposition frontale au nucléaire. Il l’a dit et redit. Ce fut le cas aussi de la commissaire portugaise Lisa Fereira. D’habitude, la Commission statue par consensus. Un vote, cette fois, a été nécessaire.

La Commission n’a pourtant cessé de répéter que le principe de ce label n’est pas de contraindre les États membres à opter pour telle ou telle option énergétique, mais de leur donner des possibilités. Les Etats européens sont souverains en matière de choix de stratégie de transition énergétique, la Commission veut inciter les investisseurs privés à la financer avec un seul objectif, réduire les émissions de gaz à effet de serre. «La taxonomie n’est pas un outil de politique énergétique, c’est un acte de politique financière, a expliqué la commissaire irlandaise aux Services financiers Mairead McGuinness. Nous avons besoin d’agir urgemment avec les outils en notre possession pour parvenir à la neutralité carbone. Certes, les solutions ne sont pas parfaites.» Les besoins de financement pour mener la transition énergétique sont estimés, par la Commission, à 350 milliards d’euros par an. Les finances publiques ne peuvent y parvenir. D’où la nécessité d’attirer les investisseurs et de gagner leur confiance.

Si la bataille est aussi acharnée à Bruxelles depuis des mois, c’est qu’elle déterminera en partie la stratégie de transition énergétique dans les prochaines décennies de nombreux pays. Selon qu’une source d’énergie sera qualifiée de «durable» ou pas aura un impact considérable sur les conditions de financement des équipements. Or les centrales coûtent des milliards d’euros à construire et fonctionnent ensuite pendant des décennies… Pour ce qui est du nucléaire, on est même largement au-delà du demi-siècle avec des durées de construction de l’ordre d’une décennie et des durées de vie comprises supérieures à 60 ans.

«Aujourd’hui, nous franchissons une nouvelle étape importante dans la transitionNous devons utiliser tous les outils à notre disposition, car nous avons moins de 30 ans pour y parvenir», a déclaré Mairead McGuinness.

Le compromis adopté qui qualifie à la fois de «durable» le nucléaire et le gaz naturel peut sembler étrange du strict point de vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les centrales nucléaires émettent 3 tonnes d’équivalent CO2 par Gigawatt produit tout au long de leur vie et les centrales à gaz naturel… 490 tonnes! Mais le compromis reflète avant tout le rapport de force en Europe entre les adversaires et partisans du nucléaire.

La commande de six nouveaux réacteurs en France sans doute annoncée la semaine prochaine

La France, qui a annoncé par la voix d’Emmanuel Macron il y a quelques mois vouloir relancer la construction de centrales nucléaires pour renouveler une partie de son parc, et plusieurs autre pays comme la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, les Pays-Bas ou la Finlande… soutiennent le nucléaire. ils estiment que c’est le meilleur outil aujourd’hui pour permettre une production permanente, stable et à des coûts maîtrisés d’électricité décarbonée. Emmanuel Macron pourrait d’ailleurs annoncer la commande de six nouveaux réacteurs EPR 2 dès la semaine prochaine. Leur financement, qui représente plus de 50 milliards d’euros, vient d’être grandement facilité.

Dans le grand marchandage pour obtenir la classification «durable» du nucléaire, si le gaz naturel, qui est une énergie fossile, a obtenu la même classification, c’est pour convaincre certains pays voulant remplacer leurs centrales au charbon par des centrales à gaz… dont l’Allemagne. Cette dernière a d’ailleurs obtenu des changements dans le texte final. Notamment la suppression des objectifs intermédiaires pour les centrales au gaz. Il était demandé d’utiliser au moins 30% de gaz renouvelables ou à faible teneur en carbone à partir du 1er janvier 2026, et au moins 55% de gaz renouvelables ou à faible teneur en carbone à partir du 1er janvier 2030. «Irréaliste», s’était insurgé l’écologiste allemand Robert Habeck, ministre de l’Économie et du Climat, par ailleurs adversaire acharnée du nucléaire décarboné… Désormais, les centrales au gaz devront fonctionner à base de gaz à faible teneur en carbone à partir seulement de 2035.

En revanche, pas de changements des contraintes sur la construction de nouvelles centrales nucléaires de troisième génération, EPR et SMR (petit réacteur modulaire). Les permis de construire devront avoir été obtenus avant 2045. Il n’y a pas en revanche de limite de temps pour les futures centrales dites de quatrième génération, à neutrons rapides, capables de fonctionner avec les déchets des centrales dites classiques et de produire très peu de déchets. Mais il est difficile d’imaginer que cette technologie soit opérationnelle avant plusieurs décennies. Surtout que la France qui était en pointe dans ce domaine a abandonné la partie sous la pression des mouvements écologistes. Lionel Jospin avait arrêté Superphenix en 1998 et Emmanuel Macron a mis fin en catimini à l’été 2019 au programme de recherche Astrid.

L’hypocrisie autrichienne

Pour en revenir au texte de la Commission européenne, plusieurs pays dont l’Autriche, le Luxembourg et dans une moindre mesure l’Allemagne, ont tenté jusqu’au bout de s’y opposer. L’Autriche et le Luxembourg ont même annoncé leur intention de saisir la justice européenne pour contester le label «durable» du nucléaire. «Nous allons préparer le terrain juridiquement dans les prochaines semaines et si cette taxonomie prend effet, alors nous lancerons une procédure devant la Cour de justice de l’UE», a déclaré le 2 février la ministre de l’Environnement Leonore Gewessler. Le Luxembourg s’est dit prêt à se joindre à cette plainte. L’Autriche, toujours, qui bénéficie d’un potentiel hydroélectrique considérable qui lui permet de donner des leçons à tout le monde, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ont aussi contesté le label durable accordé au gaz.

L’Autriche produit actuellement plus de 75% de son électricité à partir de renouvelables, essentiellement grâce à ses ressources hydroélectriques. Vienne continue cependant à importer de l’électricité issue notamment du nucléaire pour combler ses besoins énergétiques…

Bruxelles a répondu aux opposants que les énergies renouvelables, notamment éolienne et solaire, déjà labellisées par la Commission, ne pourront pas, à elles seules, répondre à la demande croissante d’électricité, en raison de leur production intermittente et aléatoire. D’où le besoin, de favoriser aussi l’investissement dans des moyens stables et pilotables.

L’exécutif fait valoir que le texte oblige les entreprises à déclarer l’ensemble de leurs activités gazières et nucléaires, permettant aux investisseurs qui le souhaitent de les exclure de leur portefeuille. Le document impose par ailleurs des conditions strictes à la labellisation du nucléaire et du gaz, notamment une limitation dans le temps et l’obligation de recours aux meilleures technologies disponibles.

Concernant le gaz, la Commission impose un plafond d’émissions de CO2 de moins de 100 g par kWh, un seuil impossible à atteindre avec les technologies actuelles. Mais… subtilité technocratique, une période de transition est prévue, et les centrales obtenant leur permis de construire avant le 31 décembre 2030, verront ce seuil relevé à 270 g, à condition qu’elles remplacent des infrastructures plus émettrices de gaz à effet de serre.

Durant la période de quatre mois (qui peut être prolongée de deux mois), qui a commencé le 2 février, le Parlement européen peut rejeter le texte par un vote à la majorité simple. Le Conseil européen peut aussi théoriquement s’y opposer, à condition de réunir 20 Etats membres, ce qui paraît hautement improbable.

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