La France a un sérieux problème de bornes de recharge pour les voitures électriques. Non seulement, il y en a trop peu, mais en outre elles sont mal réparties sur le territoire et un très petit nombre permet la recharge rapide pourtant indispensable aux longs trajets. Comme le montre de nombreuses études, le manque d’infrastructures publiques de recharge est un des freins majeurs au développement de la voiture électrique. Car elle offre des fonctionnalités inférieures à la voiture thermique et un usage différent du fait d’une autonomie limitée et de la nécessité d’anticiper la recharge.
Les ventes de véhicules décollent, pas l’installation des bornes
Cette situation devient d’autant plus problématique que les ventes de voitures électriques ont commencé à décoller en France cette année grâce notamment à de généreuses subventions. A la fin du mois d’octobre, plus de 87.000 véhicules électriques neufs avaient été commercialisés en France contre un peu moins de 43.000 pour l’ensemble de l’année 2019. Les constructeurs automobiles contraints de tout miser sur l’électrique pour respecter les normes d’émissions de CO2 imposées par l’Union Européenne s’inquiètent ouvertement de ce manque d’infrastructures.
Le gouvernement a bien promis, il y a seulement un mois, 100.000 bornes pour voitures électriques d’ici la fin de l’année 2021. Mais la promesse semble d’ores et déjà presque impossible à tenir tant les progrès réalisés au cours des derniers mois sont infimes.
«C’est un changement de société, toutes les planètes sont alignées. On va pouvoir aider les gens à avoir une voiture plus propre. Aujourd’hui, cette peur de la panne est en train de se résoudre», avait déclaré avec emphase Barbara Pompili, la ministre de la Transition écologique. Elle avait présentée une charte intitulée «Objectif 100.000 bornes». Outre l’investissement par l’État de 100 millions d’euros dans l’installation de stations de charge rapide «dans la quasi-totalité des aires de service du réseau d’autoroute et des routes nationales», plusieurs groupes énergétiques et de la grande distribution s’étaient engagés à installer des bornes.
Un retard considérable dans les bornes de recharge rapide
Mais la publication du dernier baromètre national des infrastructures de recharge par l’Avere (Association nationale pour le développement de la mobilité électrique) montre une toute autre réalité. D’après les chiffres publiés par le lobby du véhicule électrique, le nombre de points de recharge en France n’a augmenté que de 0,2% entre mai et octobre.
Avec 28.928 bornes disponibles, la France compte aujourd’hui un point de recharge pour 13 véhicules hybrides et électriques, ou un point pour 10 véhicules en circulation si l’on ne prend en compte que des véhicules purement électriques. Il y en a eu 305.000 vendus depuis 2010.
Dans son classement annuel EV Readiness 2020 effectué au début de l’année, la société Lease Plan avait calculé une moyenne de 0,44 point de recharge pour 1.000 habitants en France, le huitième rang en Europe derrière les Pays-Bas (2,53), la Norvège, le Luxembourg, la Suisse, la Belgique, la Suède et l’Autriche. Mais si l’on prend en compte les bornes à recharge rapide, la France accuse alors un retard considérable. Elles ne représentent dans l’Hexagone que 6,6% du total. La France se retrouve alors au vingtième rang sur… 22 pays! Les publicités pour les voitures électriques, qui vantent souvent leur temps réduits de recharge rapide, sont de ce fait à la limite du mensonge. Le réseau Ionity, dont les bornes permettent de retrouver en moyenne 150 kilomètres d’autonomie en trois-quarts d’heure ne comptait au début de l’année qu’une trentaine de stations en France. Et depuis février, le réseau rival Izivia (filiale d’EDF) a désactivé définitivement 189 de ces 217 bornes actives en France pour des raisons de sécurité.
La base de données était fausse…
En fait, depuis la fin du premier confinement, il ne s’est à peu près rien passé dans le monde de la recharge des véhicules électriques. La stagnation du parc (+0,2%) s’explique bien sûr par la crise sanitaire et le deuxième confinement ne devrait pas améliorer la situation. Mais il faut y ajouter la correction de la base de données précédente qui était fausse… L’autonomie théorique annoncée des véhicules électriques est souvent très optimiste. Il en va de même pour la réalité du nombre de bornes, sans compter celles qui sont en panne et la multiplication anarchique des normes sur le parc installé qui exclut de fait bon nombre de véhicules et de moyens de paiement.
En tout cas, certaines stations disposant de plusieurs types de connecteurs déclaraient deux à trois points de recharge différents alors qu’il ne s’agissait en réalité que d’une seule et même borne. Ce travail de clarification a fait «perdre» près de 1.000 points de recharge au total. Il faut y ajouter les fermetures de certains réseaux comme Bluely (à Lyon) et Bluecub (à Bordeaux), soit 868 points de recharge en moins. La seule bonne nouvelle est l’annonce il y a quelques jours de la reprise pour dix ans par Total du réseau de bornes de charge électriques Autolib installé par le groupe Bolloré à Paris. Total s’est engagé à moderniser les équipements existants et à installer des hubs de recharge rapide dans les parkings souterrains.
Les constructeurs exaspérés
Pour autant, on ne voit pas comment le gouvernement atteindra les objectifs qu’il s’est fixé. En langage diplomatique, Cécile Goubet, déléguée générale de l’Avere, explique qu’il faudra «la mobilisation de tous les outils existants, tant financiers que législatifs pour que l’objectif soit atteint». Et pourtant, en matière de mobilité électrique l’Avere a tendance en général à voir la vie en rose et à nier les problèmes.
Quant aux constructeurs automobiles, ils sont exaspérés. «Les constructeurs ont fait eux leur part du travail en mettant des voitures sur le marché», déclare Gilles Le Borgne, directeur de l’ingénierie de Renault. «C’est potentiellement très dangereux, car nous pourrions bientôt atteindre un point où la croissance de l’utilisation des véhicules électriques stoppe si les consommateurs concluent qu’il n’y a tout simplement pas assez de points de charge où ils doivent voyager ou qu’ils doivent faire la queue trop longtemps pour un chargeur rapide», alerte Eric-Mark Huitema, le directeur général de l’ACEA (Association européenne des constructeurs automobiles). Il s’exprimait alors pour l’ensemble de l’Union Européenne.